Passer au contenu

« Mais étaient-ce des signes ? »

Les embrassements graphiques du texte et de l’image

 

Margot Mellet, 3e cycle, Université de Montréal

Résumé : Image et texte, visible et lisible sont communément distingués – parfois jusqu’à l’opposition – comme deux domaines d’une expression, séparant ainsi en quelque sorte deux expertises et institutions : les Études littéraires et les Beaux-arts. Certains schémas classiques de mise en relation du texte et de l’image se définissent ainsi par une subordination idéalisant la présence de l’un au profit de la disparition de l’autre : l’illustration place l’image en complément d’une idée du texte ; la légende fait du texte un composé descriptif et informel. Lettrines, calligrammes et arts graphiques de la lettre sont justement à comprendre comme des dépassements d’une hiérarchie texte-image pour instaurer un modèle de cohabitation. Or, comme le souligne Christin1, plus qu’une cohabitation au hasard des créations, texte et image sont intimement et génétiquement liés puisque la puissance et la structure de l’écriture proviennent de la valeur graphique du support2. Entre étude des hybridités, des dispositifs et performance du geste d’inscription, l’article souhaite par l’étude de plusieurs créations faire éclater la relation texte-image en une diversité d’instances, en une multitude d’embrassements.

Revue Fémur
2563-6812
Revue Fémur

Dans l’édition de ce travail, je tiens à remercier en particulier l’une des petites mains en la personne d’Adrien Savard-Arseneault, pour son accompagnement et son engagement qui ont permis d’épaissir le signe de mon écriture.

À l’origine du monde

Outre les spéculations sur le modèle humain à l’origine de la création et les hypothèses sur l’incomplétude du tableau, L’Origine du monde de Courbet (1866) se définit comme une œuvre picturale qui pose de façon troublante la question du regard. Ayant eu accès à l’œuvre avant son exposition au public, les premiers commentateurs la décrivent comme un tableau de petite taille caché derrière un voile vert3 révélant la représentation d’un sexe féminin dont la gamme colorée ambrée rappelait les motifs de la peinture vénitienne. Au-delà de son esthétique quasi-anatomique, cette création ne semble pas pouvoir se départir de la dimension déterminante de son titre : invitation à méditer sans pudeur sur le lieu à l’origine du monde, le tableau n’est pas seulement la représentation du nu dans toute la symbolique qu’on peut lui assigner mais bien le cas d’une impossible dissociation entre le texte et l’image. L’audace du pinceau de Courbet, qui montre ce que la peinture académique s’évertuait à cacher et participe ainsi – avec Manet notamment – d’une révolution picturale, est une composante indéniable du tableau. Or les lettres assignées au tracé font de la contemplation – qui sinon relèverait davantage d’un voyeurisme – une quête : l’image puise sa force dans les mots qui l’intitulent. Ce sentiment d’être chacun·e visé·e dans sa condition humaine et de découvrir notre origine est moins du fait de l’image ou du texte que de leur embrassement. L’origine du monde se trouve en effet dans cet entre-deux, entre la représentation de ce que l’on ne doit pas montrer et le titre qui l’érige au rang d’universel. Tout le geste du dévoilement, qu’incarnait le premier voile vert, est alors un geste de compréhension d’une relation entre deux registres de signes4.

Je souhaite ici appréhender ce schéma d’intrication (texte, image, installation), moins en termes de supports ou de média qu’en termes d’intervention (principalement éditoriale) sur un espace d’inscription. Si les distinctions principales (image/texte) sont certes utiles aux théories et analyses pour délimiter une expertise, elles se reportent davantage à une question d’institution qui ne suffit pas à elle seule pour contenir toute la recherche entreprise par la création. Les pensées de l’interartialité notamment se sont accordées sur une certaine porosité entre pratiques artistiques (interagissant par des processus d’absorption, de passage, d’appropriation ou de recyclage5), en déclinant les appellations pour décrire les divers procédés. Or l’approche que je souhaite adopter ici n’est justement pas celle de nommer des phénomènes d’hybridation ou d’interdisciplinarité, mais de se délivrer d’une certaine binarité : il s’agit de dépasser les dissociations de l’image et du texte pour observer ce que produit leur unité, soit de regarder le dispositif de création en tant qu’embrassement.

L’étude se concentre sur les origines de plusieurs créations en formulant l’hypothèse que dans leurs arcanes, texte et image sont une même installation. Les créations qui suivent, directement ou indirectement littéraires, ont été choisies parce qu’elles incarnent dans leur poétique une épaisseur graphique de l’écriture. À la suite d’une première relecture des liens entre image et texte avec la pensée de la surface de Christin, les créations prises en exemple permettront de faire évoluer cette hypothèse au travers de cas concrets qui, loin d’incarner à eux seuls l’exhaustivité des rapports entre image et texte, posent justement la question de l’origine du signe.

La déraison graphique

Image et texte, régime du visible et du lisible sont communément distingués – parfois jusqu’à l’opposition –comme deux domaines d’expression, justifiant ainsi deux institutions et expertises : les Belles Lettres d’un côté et les Beaux-Arts d’un autre. Nos modes classiques de mise en relation texte/image (illustration, légende, ekphrasis) héritent en quelque sorte de cette démarcation. Caractérisés par un principe de subordination, ces schémas idéalisent la présence de l’un au profit de la disparition de l’autre :

Un objet ne devient visible qu’en rendant aveugle ce qui l’entoure6.

Sur cette même logique de la visibilité/absence (concernant le blanc dans la page chez Christin), l’illustration place l’image en complément d’une idée du texte tandis que la légende fait du texte un composé descriptif ou informel mais bien secondaire. Lettrines, calligrammes et arts graphiques de la lettre sont justement à comprendre comme des dépassements d’une hiérarchie texte-image qui se destinent à incarner des modèles de cohabitation. Par ces « belles » lettres s’affirment au moment de leur apparition des pratiques de création volontairement en résistance à un certain académisme. Leur revendication, parce qu’elles embrassent la dualité, évacue la question « qui du texte ou de l’image doit être saisi en premier ? » pour se concentrer sur ce qu’est un signe à l’origine. Les perceptions d’une hiérarchie texte/image sont peut-être moins le fait direct de modes opératoires des institutions artistiques qu’un symptôme d’une distinction plus profonde. La distinction texte et image émerge d’un a priori de la trace (une conception en amont de l’observation7) qui affirme qu’écriture et image ne s’accordent pas sur le même principe, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas la même origine.

Réfutant cette conception de l’écriture et de l’image, Christin rappelle une généalogie commune en passant notamment par la réalité d’un dispositif d’inscription : « [L]’écriture est née de l’image […] l’image elle-même était née auparavant de la découverte – c’est-à-dire de l’invention – de la surface : elle est le produit direct de la pensée de l’écran8 ». Chercheure spécialiste de l’histoire de l’écriture et des relations entre texte et image, Christin parle ici d’écran au sens large, soit comme l’espace où l’inscription et la diffusion coexistent. Comme elle le souligne dans son ouvrage L’image écrite, plus qu’une cohabitation au hasard des créations, texte et image sont intimement et génétiquement liés puisque la puissance et la structure de l’écriture proviennent de la valeur graphique du support9. Or cette valeur n’est pas une raison, ce qui délivre notamment l’écriture d’un impératif en quelque sorte intellectualisant. Le signe est d’abord une question d’incarnation matérielle avant d’être celui d’un registre d’appartenance. Dépasser le hiérarchique antagonisme entre image et écriture implique de dépasser une certaine recherche de l’esthétique : ce qui ne signifie cependant pas, pour citer une autre dualité qui détermine et normatise nos analyses, que la quête est alors celle du vrai.

Refusant la thèse de la raison graphique, notamment représentée par les travaux du chercheur anthropologue Goody10, Christin critique le principe de filiation verbale de l’écriture qui a eu pour conséquence de condamner une approche heuristique du signe :

[la thèse de filiation verbale] a entraîné pendant des siècles l’occultation quasi complète des fonctions graphiques du système, au point qu’elle a empêché les théoriciens les plus récents qui tentaient de dégager l’écriture de ses apriorismes linguistiques de conduire leur démonstration jusqu’à son terme11.

La raison graphique – formulée ainsi depuis les travaux de Goody – désigne une conception bien précise de l’écriture selon laquelle la construction des sociétés modernes repose sur une rationalité propre au support graphique et que les structures logiques, qu’incarnent la liste, le tableau, la formule et la recette, sont les conditions du développement d’une pensée permettant « de poser et résoudre les problèmes12 ». Autrement dit, pour Goody et l’ensemble des théories classiques le prenant consciemment ou non en héritage, l’écriture, parce qu’elle consiste à inscrire une information dans un espace graphique délimité et donc tend à objectiver le discours, permet « cet exercice de rumination constructive13 », soit d’organiser et de domestiquer la pensée dite sauvage14 (celle du refoulé, des lapsus, des mythes).

Cherchant à « pousser plus loin l’analyse des effets de l’écriture sur les “modes de pensée” (ou sur les processus cognitifs15) », Goody fait de la donnée graphique le début d’une pensée de l’écrit et de la figure de l’homme moderne un homo graphicus. Ne s’intéressant pas à d’autres formes graphiques, notamment celles ayant précédé, l’écriture est dans cette lecture logocentrée – et très occidentale – une raison graphique du langage qui permet le développement d’une pensée logique.

La pensée de la déraison graphique de Christin s’inscrit de toute évidence comme une résistance à la théorie de Goody mais aussi plus largement comme une déconstruction d’un édifice scientifique bâti sur l’idée que l’écrit possède une raison graphique propre qui ne doit rien à l’image. Exprimée comme une anti-sémiotique, la déraison place l’écriture dans le temps du déchiffrement et donc dans le dispositif de lecture. L’écriture émane autant d’un phénomène analogue à la révélation qu’à une théorie ou invention du support. Par l’étude des relations entre écriture alphabétique et écritures idéo-picto-phono-graphiques, Christin définit le texte hors d’un figement dû à un régime d’inscription. L’écriture comme l’image est un mouvement de la trace qui évolue entre détermination du support, logique visuelle et organisation de l’espace. La raison graphique dans cette approche du signe est déconditionnée (ou dé-domestiquée) non seulement pour remettre en question une supériorité de l’écrit, sur laquelle la tradition humaniste classique s’est fondée, mais également un modèle culturel qui dématérialise ou idéalise un principe de connaissance.

La thèse de Leroi-Gourhan – selon laquelle les première images dessinées par l’humain ne sont pas inspirées par le réel même si elles en reproduisent l’apparence16 – a le mérite pour Christin de rappeler justement qu’« un tracé n’est rien sans le support sur lequel il s’inscrit et qu’il ne peut se définir comme un signe qu’en relation avec lui17 ». La relation ici peut être en partie comprise comme un fragment du geste (le geste menant au support et à l’action d’inscription). Or le principe d’idéalisme que Leroi-Gourhan développe trahit un certain conditionnement de l’image vis-à-vis de l’écriture en reproduisant un préjugé issu de la philosophie occidentale. La distinction de Leroi-Gourhan entre l’écriture et l’image dépend de la disposition spatiale (libre pour l’image et linéaire pour l’écriture). Cette perception, qui n’est fondée par aucune théorie archéologique, reproduit pour Christin un amalgame d’une théorie de l’écriture : celui de considérer l’essence de l’écriture dans l’efficacité ou la lisibilité immédiate18. Cette pré-conception de l’image de Leroi-Gourhan s’ancre dans une essentialisation bien plus profonde notamment formulée par Lessing19 : la Littérature, parce qu’elle relève de l’articulé, est un art du temps tandis que les Arts plastiques, parce qu’ils relèvent de la matière, sont des arts de l’espace. Cette distinction n’implique pas seulement une séparation catégorique mais également une hiérarchie : le texte relève de l’invisible que ne peut atteindre l’image qu’en se pliant aux contraintes spécifiques du Beau.

Enracinant la force de l’écriture dans l’image, les travaux de Christin défendent un principe de synergie plutôt que de différenciation qui permet de comprendre l’écriture depuis l’épaisseur du visible et dans une pluralité d’instances. Défendre l’origine iconique de l’écriture ne signifie pas éliminer le langage de sa genèse, bien au contraire : c’est s’opposer à la thèse selon laquelle cette origine ne serait due qu’à un agent unique, c’est défendre le caractère fondamentalement double de ses sources et l’affranchir d’une perspective unique20.

À l’origine de l’image et du texte se situe l’invention d’un support, d’un dispositif plastique qui est investi par un geste dans sa dimension performative21 d’in-formation d’une matière. Dans le cas de la création littéraire, la page est alors investie pour reconditionner une poétique, ce qui amène justement des auteurs comme Leiris, Mallarmé ou plus récemment Phillips à appréhender l’esprit graphique de la lettre.

Le blanc de l’écrit en mouvement

Retournant à une essence graphique de l’écriture, le projet littéraire de Mallarmé, analysé notamment par Christin, et tout particulièrement le poème Un Coup de dés jamais n’abolira le hasard22, est une restitution du « processus de l’écriture primitive23 » qui aura marqué son siècle par « un mouvement profond de réévaluation et de recréation de la lettre24 ». Le poème en question se compose de vers libres disposés sur onze pages doubles25. Impacté moins par une poétique littéraire que par l’exploration typographique des journaux papiers – ce qui l’amène à distendre la page et à jouer de la mesure graphique du signe26 – et d’autres affiches à visée publicitaire composées autant de vides que de traces, Mallarmé invente l’écran sur le papier. C’est-à-dire qu’il pense la page papier au-delà de ses restrictions classiques (qu’il s’agisse de format ou de mise en page du texte) : la page mallarméenne est structurée sur les mouvements de l’écriture dans un espace ouvert, où les vides sont des respirations graphiques. L’architecture de la page fait passer la lecture du mode classique du défilement (sur le modèle de la ligne) au mode de la recherche (sur le modèle de la vague). Dans Un Coup de dés jamais n’abolira le hasard, l’écrivain place l’écriture dans une relative liberté27 en se distanciant de l’impératif poétique de l’énonciation, d’une raison du texte, qui le fige dans une tradition (celle de l’impression) et dans une expression (la grammaire). Le poème est alors pensé comme l’occasion de ranimer l’épaisseur du trait et de reconstituer son rapport avec ce qui l’entoure dans la page, avec le vide. Le blanc mallarméen est en ce sens une donnée visuelle du poème : « Les “blancs”, en effet, assument l’importance, frappent d’abord […] [l]e papier intervient chaque fois qu’une image, d’elle-même, cesse ou rentre, acceptant la succession d’autres28 ». Christin analyse le poème sur le modèle du ciel, comme une double page ouverte invoquant une lecture divinatoire des signes et procédant à l’invention de la page par la donnée graphique blanche, lieu donc où l’œil interroge la surface et le mouvement des signes. Les vers ne sont en réalité pas isolés et disjoints dans Un Coup de dés jamais n’abolira le hasard, puisqu’ils sont en contact par la force graphique de la page. Dans cette reconfiguration de la page, l’espace blanc29 est le lieu du lien : c’est ce qui organise les signes en un ensemble qui fait exploser la raison de la ligne.

Épreuve du Coup de dés pour l’édition d’Ambroise Vollard

La plastique de la lettre

Le récit d’une navigation contenue dans le poème est donc moins le fait d’un modèle narratif que d’un principe graphique. La disposition poétique ne fait pas figure de (logique du calligramme) mais est l’image du texte.

« [L]orsqu’une écriture est encadrée, elle devient une image30. » (traduction de l’auteure)

Les créations de Leiris justement, bien qu’elles soient désignées comme des calligrammes, se revendiquent de la poétique mallarméenne du signe. Les calligrammes de Glossaire31 sont des dépassements d’une logique de figuration (que l’on retrouve surtout chez Apollinaire et qui consiste à mimer une forme par l’agencement du texte) en ce qu’ils explorent une perspective graphique qui est inhérente à l’écriture et non apposée au texte.

Le calligramme se fonde par essence sur un jeu avec la valeur graphique de l’écriture et donc, dans la perspective de Christin, se réfère à une recherche de connivence entre texte et image. Dans la disposition graphique qui permet de faire le lien entre un discours poétique et la représentation d’une forme se noue une recherche poétique qui amène à repenser non seulement l’espace du texte mais également la structure de la page inscriptible : le pattern de mise en page a changé, le contrat d’écriture ne repose ainsi plus sur le même équilibre entre présence et absence du signe. Or ce lien image/texte demeure un effet d’arrangement et de mise en page, tordant l’écriture pour suivre les contours d’une forme prédéfinie pour être reconnaissable et identifiable. La création de Leiris à la différence souhaite « délivrer les mots de leur mémoire factice – étymologique ou culturelle – et les réinvestir par celle, hasardeuse mais nécessaire à sa création et à sa vie, de celui qui les prononce32 ». Dans Glossaire, le mot demeure au centre de la poétique de Leiris mais constitue avant tout une donnée plastique, il vise à saisir le support pour faire du geste d’écriture un processus architectural ou, terme plus proche de nos modèles de pensées actuels, un design du signe.

Car le mot seul fascine Michel Leiris. C’est pour en évaluer les prestiges qu’il s’est essayé à l’incarner sous les deux espèces que l’écriture mettait à sa disposition, celles du discours et de la figure33.

Le geste d’écriture, comme dans la conception mallarméenne, est alors un double mouvement : négation de la phrase et investissement du blanc, soit exhiber une forme simple, un dessin évident dans son signifié tout en dissimulant la motivation d’un texte : il ne s’agit plus d’écrire en travaillant un style poétique, en construisant une logique narrative mais d’écrire en travaillant la donnée graphique, soit la déraison de la lettre.

Les commentateurs du Glossaire ont tous considéré les calligrammes comme des exercices gratuits. Analysant longuement le volume, Gérard Genette, dans Mimologiques, ne fait jamais allusion à eux. Mépris ? Méprise ? Les deux à la fois sans doute. Et si l’aspect plastique de ces textes est certainement la cause du mépris que manifestent à leur égard les analystes littéraires, Michel Leiris est lui-même, dans une certaine mesure, responsables de la méprise. Ces calligrammes qui ne « commencent » pas et qui ne sont donc pas des phrases (et encore moins des phrases de dictionnaire) peuvent en effet s’interpréter comme de véritables images parce qu’ils comportent des titres. Or l’on sait bien à quoi sert le titre d’un tableau : à rendre possible un discours à son sujet. Il constitue la preuve implicite du fait que le document qu’il commente n’appartient pas à l’ordre du langage mais à une pensée visuelle, à une divagation muette, à un imaginaire de la matière… Le titre doit permettre d’ancrer l’étrangeté de l’image dans le monde verbalisable. Le titre dit que l’image est hors de lui34.

Les titres de Leiris (comme Fronde et Hache) désignent la forme du poème (représentant donc une fronde ou une hache), ce qui est une logique commune aux calligrammes d’Apollinaire (le calligramme intitulé Poème en forme de Violoncelle est un poème en forme de violoncelle). Or les calligrammes de Leiris se distinguent parce qu’ils ne relèvent pas d’une transposition du régime linguistique vers le registre graphique mais sont une recherche d’embrassement texte/image sans visée figurative. L’approche du texte est alors une réinvention de ses principes, autrement « qu’à travers ses conditions de parole35 ». Le calligramme Le roc dans l’urne dans le cercle vicieux dans le mur raviné par la double ÉCHELLE36, articule comme une poupée russe forme et glose. À la différence de l’éparpillement des autres calligrammes comme L’écartelé, la création se déploie tout en demeurant enclose sur elle-même utilisant cinq corps de caractères (lorsque généralement deux à trois étaient présents). L’image est ici une pensée écrite.

Leiris, Le roc dans l’urne dans le cercle vicieux dans le mur raviné par la double ÉCHELLE, 1939

Chaque lettre prise dans la valeur graphique de son signe devient un mot, l’inscription devenant image, devenant mot. La lecture est ici question de profondeur de l’image puisque les signes ne sont plus limités à un unique registre d’expression mais sont en mouvement entre deux modes d’appréhension, permettant ainsi de lire le texte dans la trace et de voir l’image dans le verbe.

Nous ne lisons pas le mot nous le voyons. […] nous abandonnons à travers lui notre mode de lecture lettre à lettre pour retrouver celui qui appartient à l’écriture idéographique : cet amour ressemble à ce qu’il dit37.

Marquant les étapes de lectures et donnant la direction, de l’intérieur vers l’extérieur de la composition sémiotique, le titre donne une première direction de lecture qui introduit au mouvement d’un support. Écrivain visuel, Leiris ne se fait pas peintre, il ne transpose pas puisque sa poésie respecte le signe en tant qu’embrassement entre texte et image, car c’est dans le passage d’un mot vu à une figure lue que se noue l’histoire poétique. L’embrassement revient ici à faire du signe un espace suffisamment profond pour que s’alternent les appréhensions de la lettre et de la forme en une dynamique verticale.

La coïncidence dans le recouvrement

Le fait que le regard puisse passer d’un registre d’inscription à un autre sans changer de perspective (à la différence du calligramme figuratif qui implique soit une proximité [pour lire le texte] soit une distanciation [pour voir la figure]) évoque une notion d’épaisseur de la page, qui ne relève pas des caractéristiques physiques du support mais d’une recherche de coïncidence graphique. Plus qu’une stratification ou qu’une superposition (dispositions qui gardent isolées et distingables les strates ou les couches), le terme de coïncidence ici permet de comprendre un alliage et un alignement de deux composants en un même corps. Faisant de la page écrite un tableau à l’instar de Mallarmé et investissant la lettre comme le support d’une plus large composition graphique, l’artiste britannique Tom Phillips a entrepris à partir de 1966 de procéder à une réédition invasive d’un livre déjà paru. Retitré A Humument, le projet se présente sous la forme d’une série de rééditions de l’ouvrage d’origine intitulé A Human Document38. Dans la succession des pages, l’espace des mots est investi par Phillips comme support pour des compositions graphiques qui, si elles recouvrent au fil des rééditions de plus en plus de l’espace lisible du roman39, laissent intacts quelques mots par page pour recomposer un récit à partir d’une matière d’origine.

Page 1 de A Humument dans la seconde version de 2010, Tom Phillips Website

Nommé « livre altéré40 », le projet ne se fonde pas tant sur un geste de cut-ups que sur un mouvement entre première et successives traces. Entre palimpseste et petimento, A Humument joue sur la texture de la trace et de l’épaisseur du support. Dans les deux modes de la sur-inscription, qu’il s’agisse d’une sur-écriture dans le cas du palimpseste ou d’une sur-couche dans le cas du petimento, « a trace always remains41 ». Ce qui signifie, dans le cas de Humument, que la première inscription participe graphiquement d’un détournement. La page est une co-présence de signes qui témoignent d’une épaisseur également temporelle puisqu’au fur et à mesure des rééditions, l’image érode le texte originel, non pas pour le consumer, mais pour en révéler une nouvelle valeur. Réécriture par le tracé et le dessin, A Humument se présente comme une œuvre de coïncidence graphique entre image et texte. Les consonnances du titre avec le terme « humus » sont des échos, d’ailleurs, à un progressif travail du signe et de sa porosité, dont les états sont rendus disponibles sur le site de l’auteur42. Terreau sensible et plastique, la page se libère des catégories de la raison graphique pour devenir un tableau à partir de mots assimilés par le travail de réédition de Phillips. Le récit humain évolue pour devenir un document composé à partir de l’enracinement du signe dans une recherche graphique (le terme composé humument résume cet embrassement).

Page 33 d’A Humument dans la première version de 1973, Tom Phillips Website
Page 33 d’A Humument dans la seconde version de 2007, Tom Phillips Website

La disposition, ou l’intervention graphique, mène à repenser le support de la page papier dans le cas de Mallarmé, Leiris ou Philipps et ce, moins pour produire fondamentalement une nouvelle littérature que pour questionner les signes littéraires et rappeler une génétique graphique dans la lettre. La force de l’écriture est trouvée dans l’image, et ce qui permet leur embrassement est justement un travail plastique à partir de la porosité du support d’inscription. La recherche littéraire est à ce titre un travail d’invention d’un lieu où les catégories texte et image s’annulent dans l’édition, pour laisser place à une expérience d’un geste qui déplace les traces, allant de l’écriture au signe et du signe au trait.

La quête du geste

Oscillant entre la lettre et l’esquisse, la marque de Michaux rencontre le support papier en s’incarnant comme une recherche phénoménologique particulière43. Le mode d’appréhension de Michaux est en quête non d’une mise en relation interdisciplinaire de deux registres d’inscriptions, mais d’un élément considéré comme plus fondamental pour l’auteur : le mouvement. Le déploiement du geste sur la page correspond, dans sa pratique, à une progressive délivrance de la raison graphique comme impératif à produire du sens par le discours. Il est ainsi autant un processus – qui désigne « cette dimension du discours qui a la capacité de produire ce qu’il nomme » (« Le genre comme performance » [1994] dans Judith Butler44, p. 17) – qu’une procédure, au sens de méthode d’implémentation d’un projet de création. Le tracé de Michaux peut être saisi comme une littérature qui « fait l’épreuve du contact45, 46 » en ce qu’il refuse la « colle » (terme employé par Tourte) qui reviendrait à figer un sens dans un lieu où il ne peut plus apparaître, gêner une recherche du signe et empêcher une ampleur du geste. La recherche d’intimité entre le signe et le support évoque justement l’ambition poétique de Mallarmé – « le texte fasse corps avec le papier même » (lettre de Mallarmé à Edmond Deman du 28 avril 1888 citée dans Edmond Deman, éditeur de Mallarmé47) – en ce qu’il s’agit de trouver cette connivence signe-matière en dépassant un principe d’écriture. Aux prémisses de son parcours, passage peut-être obligé de la libération du poignet48, c’est tout d’abord une forme de référentialité – entre ce qui a été dessiné et ce que l’on peut en dire – que l’on rencontre49. L’auteur affirme une volonté de « participer au monde par des lignes […], une ligne plutôt que des lignes […], une seule que sans relâcher le crayon de dessus le papier je laisse courir50 » qui se traduit par une rébellion graphique.

Le poème « Dessins commentés » a en ce sens un statut particulier au sein du recueil La Nuit remue51 : commentaire et prolongement de dessins, il établit une association entre deux modes d’expressions qui sont, dans la création de Michaux, non pas à comprendre comme des antagonistes en compétition, mais comme des tâtonnements poreux. La Plume – personnage inventé (Plume 1930) et instrument réel – constate sa propre disparition au travers d’une description qui fait à la fois figure de moquerie de sa propre imprécision et d’ekphrasis.

Cet amas de têtes forme plus ou moins trois personnages qui tremblent de perdre leur être ; sur la surface de la peau les yeux braqués brûlent du désir de connaître ; l’anxiété les dévore de perdre le spectacle pour lequel ils vinrent au-dehors, à la vie, à la vie52.

Dans ce poème-commentaire, le lien établi entre les écrits et les traces n’est pas uniquement symbolique ou thématique mais est inhérent à une recherche de ce qui produit le mouvement du corps (pour ne pas dire de l’âme) : « [t]el est mon dessin, tel il se poursuit53. »

Si Michaux tourne le dos au/du papier pour acquérir une liberté de mouvement, cela n’implique pas que les signes, dans son système de tracé, ne cultivent pas une intimité forte avec un récit. Dans le texte autobiographique Portrait de A. (1930), Michaux développe un signe-image qu’il résume par un unique mot : « boule54 ». Moi roulé sur lui-même, cercle parfait55, le rond ou la ronde est le principe de composition d’un idéal qui n’est pas sans évoquer justement un tableau sur papier à l’encre de Chine daté de 1970.

Michaux, Sans titre, 1970 (Galerie Le Point Cardinal, Paris)

Cet idéal du rond est justement l’invention d’un espace où les mots peuvent tisser des liens véritables entre eux tout comme le trait d’union – qui sera un motif très important dans la dernière période de l’artiste – est ce qui relie l’individu au monde.

De la naissance à la mort, un trait

modèle universel.

Du matin à la nuit

de l’unicellulaire à la baleine

de la cueillette à l’industrie

Traits irréductibles de l’élémentaire,

sans alarmes sans ornements

premier début et dernière des traces

de la tribu à la Société

de la main à l’empire des bureaux

Des traits plus petits que les plus petits, partout

bâtonnets infimes qui échappent à la vue

des traits infiniment savent se répandre, se multiplier

au-dedans des corps humains impuissants

Maîtres des maladies56.

Son émancipation du régime verbal, qui ne cessera cependant pas de l’accompagner même durant ses années de peinture, est à comprendre comme une invention de signes dont son voyage en Chine de 1931 (Un barbare en Asie) influencera grandement la forme. Les compositions idéographiques trouvent une logique formelle dans la tradition de la calligraphie, ce qui permet déjà de penser une poétique entre texte et image en floutant les lisibilités. Déployant un art du geste, le dessin est dans cette inspiration un mi-chemin entre silhouette et racine qui d’abord expose l’individu ou un groupe restreint d’individus pour ensuite saisir le mouvement de leur communion.

Michaux, Composition, s.d.

Dans cette recherche de l’appréhension du signe au-delà des catégories, ni le discours ni la ligne ne suffisent tout à fait à saisir le mouvement du corps sans le contraindre à certains impératifs de structure et de raison. Poésie et peinture, si elles permettaient de penser une libération, se révèlent finalement être des systèmes analogues d’agression dans la mesure où elles conditionnent à des pratiques et des mécanismes de présence. Essayant d’échapper au figement, la trace rejoint une conscience du signe (Mouvements 1951).

Michaux, Mouvements, 1950

La quête des tracés transparaît dans Parcours (1966), où les lignes amorcées progressivement manœuvrent vers leur propre déstructuration sous la forme de signe dansants qui eux-mêmes finiront par s’abroger et s’abréger dans le principe du trait.

Michaux, Parcours, planche III, 1966 (Musée d’Art moderne de Paris)

L’épuration du trait qui se manifeste dans le tracé de Michaux (souhaitant parvenir à un essentiel dans le signe) peut évoquer justement un détachement vis-à-vis d’une commune logique de l’image ou de l’écrit : celle d’une productivité ou d’un emplissage de la page. Si les premières peintures insistent beaucoup sur la tête ou le visage (termes qui semblent interchangeables pour lui), ce sont principalement des espaces pleins et « hermétiquement noirs57 ». Ce noir invasif des premiers temps, comme la dimension bavarde des poèmes, laissera la place au vide, espace qui participe autant du mouvement qu’il est immobile. C’est une lecture phénoménologique évoquée plus haut qui peut alors réapparaître ici : la présence du mouvement se définit progressivement dans les pages de Michaux par l’absence de la trace, ou, pour paraphraser Christin citée précédemment, le geste « devient visible en rendant aveugle ce qui l’entoure ». L’épreuve du contact est alors un jeu d’équilibre entre un signe se refermant sur lui-même et l’ouverture d’un espace de création. La dernière composition de Michaux, Par des traits (1984), marque l’aboutissement d’un processus dont l’automatisme a saveur de déclaration surréaliste58. Le geste ayant pris désormais suffisamment d’aisance pour ne plus noircir les lieux de l’inscription, par conditionnement de la plume ou du pinceau, peut désormais recouvrir une liberté de mouvement et non-mouvement. Cette économie ou épuisement du geste a valeur d’arte povera suivant une conception du savoir-faire plutôt que de la production.

Ce qui peut apparaître selon les catégories historiques comme une régression dans l’écriture, en passant par le travail de la valeur graphique du signe pour saisir sa substantifique invention, évoque un travail de sémiologue : Michaux comme Christin parviennent à une analogue conclusion, la déraison graphique, celle de considérer le tracé comme une unité élémentaire à partir de laquelle s’invente le signe. Les multiples plasticités des créations créent ce jeu de l’invention de l’écran au regard de ceux·celles qui observent : « le tableau se fait tablette59 ».

Ce qui sera décrit comme « l’invention de l’écran60 » apparaît dès lors comme la condition d’émergence de la différenciation entre trace du visible et du lisible. Par l’entremise de la question de l’outil ou de l’instrument, Michaux comprend le geste comme une conjoncture de son environnement de création. Que l’on considère dans le projet de l’auteur la danse du poignet pivot ou la performance du tracé, les catégories artistiques et leurs héritages – même l’influence pourtant déterminante de la calligraphie chinoise – sont mises en suspens au profit d’une recherche du phénomène du signe et ré-inventent la page :

Mais étaient-ce des signes ? C’étaient des gestes, les gestes intérieurs, ceux pour lesquels nous n’avons pas de membres mais des envies de membres, des tensions, des élans. Les signes, eux, sont à la surface, ils ne bougent pas plus loin que les mains et les pieds61.

Les signes de Michaux sont bien des gestes qui, au-delà de la figure romantique que l’on peut y voir, demeurent très clairement des interventions d’un corps vers un support. Cette mesure de l’intervention établit une relation, invente l’écran par la production de signes, tout en investissant alors un espace délimité qui n’est plus le lieu exclusif d’un registre (image ou texte) mais d’un embrassement entre les deux qui dissout leurs distinctions. La recherche de performativité (qui est ce qui lie le projet de Michaux avec des lectures phénoménologiques62) fait du signe un geste d’invention de la surface, ce qui cause notamment un flou des frontières entre les arts caractéristiques du travail du réalisateur Peter Greenaway63, notamment dans son film The Pillow Book.

L’écran calligraphique

Adaptation libre de Notes de chevet de Sei Shōnagon (œuvre de la littérature japonaise écrit aux environs de l’an mille64), The Pillow Book de Peter Greenaway (1996) est un film qui tisse le thème de la transmission par une exploration des textures et porosités de l’inscription. Remédiation d’une composition de mots, le film de Greenaway opère le transfert d’une poétique du fragment à l’écran. Les notes d’origine (près de 300), que Shōnagon rédige à la mort de sa maîtresse, l’Impératrice Sadako, sont l’une des premières manifestations dans la littérature japonaise d’un genre qui sera célébré par la suite : celui des zuihitsu ou « [écrits] au fil du pinceau ». La dimension énumérative (noms de montagnes, de mers, de rivières, de palais) et l’enchaînement pêle-mêle des notes (récits de choses vues, de scènes sur le vif) constituent l’essence de l’œuvre de Shōnagon mais également d’un genre littéraire à sa suite65. C’est justement cette dimension du fil et du tracé que Greenaway, inspiré comme l’était Michaux par les sinogrammes, va retravailler à l’écran. Prenant comme inspiration une création qui déjà à l’époque de sa parution constitue une recherche de l’instant, Greenaway développe dans sa réalisation une poétique qui se libère de conventions de lecture ou d’une raison de l’écran. Si les notes de Shōnagon dans leurs traductions anglaises se retrouvent dictées et montrées directement à l’écran, c’est pour être investies d’un autre roman intime : celui du personnage principal, Nagiko, fille de calligraphe.

Le film retrace l’évolution de Nagiko et sa vengeance sur l’ancien éditeur de son père. La scène d’ouverture présente un rituel, fil rouge d’une narration : à chaque anniversaire, le père de Nagiko calligraphie le visage de sa fille pour célébrer sa venue au monde. Alors âgée de quatre ans, Nagiko entrevoit par l’interstice des panneaux de papier une scène de chantage sexuel entre son père et l’éditeur de ce dernier. Marquée par le rituel calligraphique, Nagiko devenue adulte n’aura de cesse de trouver le parfait amant-calligraphe. Après une suite de tentatives et d’échecs, elle rencontre Jérôme, un traducteur anglais dont l’éditeur s’avère être l’ancien éditeur du père de Nagiko. Avec la complicité de Jérôme, elle élabore un plan de vengeance sur l’éditeur en lui missionnant une série d’hommes dont la peau a été calligraphiée de sa main. Dans un concours de circonstances tragiques, Jérôme meurt et son corps est exhumé par l’éditeur qui en fait son propre livre de chevet. Le dernier homme calligraphié envoyé par Nagiko tue l’éditeur, et le film se clôt sur le retour au rite originel, Nagiko calligraphiant le visage de la fille issue de son amour avec Jérôme.

La mise en relation par le signe de deux récits de femme évolue à l’écran jusqu’à l’amalgame graphique :

Capture d’écran d’une scène de The Pillow Book (1996) de Peter Greenaway
Capture d’écran d’une scène de The Pillow Book (1996) de Peter Greenaway
Capture d’écran d’une scène de The Pillow Book (1996) de Peter Greenaway

Le transfert d’une poétique de l’écriture à une structure de l’image en mouvement n’a pas été opéré dans le cas de The Pillow Book par un respect narratif, puisque le scénario est une histoire inédite, mais par un principe de montage et travail graphique de l’écriture d’origine. Image et texte sont d’abord embrassés par la narration qui conte une épopée calligraphique66 :

Dans tout le film domine l’écriture chinoise : soit en tant que pages que l’on peut penser issues du Pillow Book ; soit en tant qu’inscriptions sur le visage de Nagiko faites par son père, puis, le jour de la mort de ce dernier, par l’éditeur ; soit en tant qu’inscriptions faites par ses amants sur son corps avec un mélange de calligraphies, puis, finalement sur les treize hommes que Nagiko envoie à l’éditeur comme les treize chapitres d’un livre dont le dernier signe la mise à mort de l’éditeur avec son consentement (le film se termine aussi par Nagiko écrivant sur le visage de sa fille nouveau-né). Le jeu de l’écriture sur la toile renvoie au jeu de l’écriture sur les corps et vice versa67.

La poétique du geste calligraphique est transmise à l’écran par un principe de superposition des cadres pour faire de l’écriture une donnée de la contemplation et, de l’image, une donnée de la lecture :

Dans ces plans, le point de vue, en se multipliant, s’affirme en une répétition formelle et signifiante qui confère à l’image un espace concentrique. Cette forme visuelle […] fonctionne en « couches » superposées, [et] provoque […] un réel décentrement de la perspective visuelle. Ce décentrement s’accompagne d’une ambiguïté du sens, par surcharge, qui déjoue nos habitudes de lecture tout en étayant puissamment la narration68.

D’un point de vue thématique, autant que structurel, la calligraphie définit donc le personnage principal et détermine le montage des signes à l’écran : demeurant sans traduction, bien que le film se destine à un public franco-britannique, les inscriptions calligraphiques sont des données graphiques et plastiques :

Dans une interview, il disait, en effet, regarder l’idéogramme comme une synthèse complexe de textes et d’images : une unité minimale de cet agencement. L’idéogramme a une valeur plastique et graphique et attire par sa forme visuelle69.

Capture d’écran d’une scène de The Pillow Book (1996) de Peter Greenaway

L’embrassement graphique permet également de revenir à l’origine du signe. Le signe, selon le mythe japonais rappelé dans le film, est non seulement l’origine du monde mais également celle de l’humain :

When God made the first clay model of a human being, He painted the eyes…, and the lips… and the sex. And then He painted in each person’s name lest the person should ever forget it. If God approved of His creation, He breathed the painted model into life by signing His own name.

Référence à un récit rappelé par Ermolieff, l’histoire de l’origine des choses se cristallise autour du principe d’inscription, soit, ce sur quoi insiste Ermolieff, l’encrage du signe dans une matière. Narration très proche de l’analyse sémiotique de Christin, le rapport de l’humain au monde est une appréhension de la surface et, par ses gestes et ses interventions sur cette matière, une invention graphique :

Pao Xi, dans les temps anciens, régnait sur le monde. Il contempla les figures dans le ciel, puis les phénomènes sur la terre. Puis il créa les huit trigrammes afin de pouvoir commencer à communiquer avec le pouvoir de l’Efficience Infinie. Donc, à l’origine des choses est le wen, le signe écrit dans la civilisation chinoise. La surface – j’insiste sur ce terme – de l’apparence demeure le lien initial de l’homme avec le monde70.

Le rituel calligraphique entre Nagiko et son père est un legs : le geste est le dispositif permettant une transition et une transmission d’un individu à un autre, d’un âge à un autre, d’un mode d’être à un autre, d’un récit à un autre mais aussi, une reconnaissance de l’autre donc une connaissance de soi. L’art de la belle écriture mis en scène dans la réalisation est étroitement lié à une érotique du geste. Parmi la diversité des supports d’inscription montrés à l’écran, la peau humaine est la surface qui domine. Si le signe écrit est « l’origine des choses » et du rapport de l’humain au monde71, le geste d’inscription sur peau humaine est une recherche de retour au commencement mais également une poétique pour réinventer ce rapport. Le corps des hommes-livres est en réalité réinventé selon une poétique précise : le support, le signe et sa disposition sont une même mise en scène d’un embrassement graphique. Les vivants supports incarnent une cohérence entre le message, la matière et le média72.

Le geste de création, mythifié et scénarisé, est également anatomisé dans sa fabrique puisque la réalisation du livre de chevet de l’éditeur est décomposée à l’écran. Jérôme, l’amant de Nagiko ayant trouvé la mort, devient l’homme-livre 6, ou The Book of the Lover. Il est par la suite exhumé par l’éditeur qui souhaite en faire son livre de chevet personnel, donc décomposer le corps pour recomposer une forme de livre. Du dépeçage (l’extraction de la peau sur le support vivant) à la reliure, en passant par l’ébourrage (qui consiste à réduire la peau au derme en ôtant les poils et les lambeaux de chair qui n’avaient pas été éliminés lors du dépeçage), les multiples bains et le travail de ponçage, le processus éditorial est dévoilé à l’écran sans retenue73. The Pillow Book, en plus de remédier le livre sous une nouvelle forme et plasticité74, compose avec la profondeur de plusieurs signes et de leur réciproque interpénétration75 au travers de l’épaisseur graphique.

Ce qui a permis l’embrassement du texte et de l’image tout au long des différentes explorations se révèle être une appréhension praticulière de la surface : particulière au sens où elle écarte, par différentes poétiques, une distinction plastique entre image et texte, entre forme et lettre. Recherche du signe, les déraisons graphiques des œuvres citées se rejoignent dans une représentation du geste à rebours.

Le geste à rebours

Le geste porté sur les différentes surfaces (de la toile de Courbet à la page de Mallarmé, du calligramme de Leiris à la réédition invasive de Phillips, de la quête de Michaux jusqu’à l’écran calligraphique de Greenaway) témoigne d’un processus de dévoilement de la nature graphique du signe écrit qui nécessite un déchiffrement de la surface. Les invitations au déchiffrement du signe, habituellement catégorisé comme écriture ou image, que proposent les créations précédemment citées rappellent un moment justement à l’origine de la lecture. Invention d’une surface et émergence du signe chez Christin76, le déchiffrement est ce qui permet de prendre, par le regard, le geste à rebours, soit en essayant de retracer son cheminement graphique (la cohérence de sa trace) et son implémentation plastique (son inscription matérielle). Le foie de Plaisance est justement un objet qui incarne ce rebours. Maquette étrusque de bronze d’un foie de mouton, grandeur réelle77, daté de la fin du IIe siècle avant J.-C., le foie de Plaisance était utilisé comme outil de divination par héparoscopie (étude du foie d’animaux sacrifiés). La série d’inscriptions gravées que présente cet objet est sujette à de multiples interprétations (notamment parce que la majorité d’entre elles sont des abréviations). Si aucune lecture n’a jusqu’ici trouvé de consensus dans les mots (hormis deux inscriptions, une désignant le soleil, l’autre désignant la lune), c’est moins parce que l’objet en tant que tel répond d’une raison graphique qu’il n’oriente vers une autre lecture. Le foie de Plaisance est en réalité une carte, celle du ciel, dont le sens est assuré par l’espace, par l’organisation des signes plutôt que le déchiffrement distinct des inscriptions78. En ce sens, le déchiffrement est d’abord une conscience de la surface d’inscription avant de devenir une interprétation intellectuelle sur le monde. Cette mesure plastique qui fait se joindre texte et image dans une épaisseur graphique est ce qui relie également le Manuscrit de Voynich (livre illustré daté de 1404/1438) et le Codex Seraphinianus (livre illustré paru en 1981). Dans ces deux œuvres, l’écriture semble être une déraison graphique volontaire : écrit en des langues non identifiées et non déchiffrées à ce jour, malgré les efforts inventifs des cryptologues, ces livres ramènent la lettre au signe. La raison de l’inscription, particulièrement dans le cas du Codex Seraphinianus, qui développe une esthétique en spirale et ondulations, déraisonne si prise comme une donnée linguistique.

Page du Manuscrit de Voynich, XVe-XVIe siècles (Beinecke Rare Book & Manuscript Library, Yale University)
Page du Codex Seraphinianus

Loin de condamner ces langues au mystère, la valeur qu’elles apportent ici est celle de participer à la surface graphique de la page et, ce faisant, de faire émerger une porosité génétique entre texte et image. Les embrassements du texte et de l’image – liés à des effets de présence, d’absence et d’intimité – démontrent que la littérature est autant un art du temps que de l’espace : dans le rebours du geste, l’image et le texte sont signes d’un même monde.

Bibliographie

BATTLES, Matthew, Palimpsest: A History of the Written Word, First Edition, New York, W.W. Norton & Company, 2015.

BUTLER, Judith, Humain, inhumain : le travail critique des normes. Entretiens, Paris, Éditions Amsterdam, 2005.

CHRISTIN, Anne Marie, Poétique du blanc. Vide et intervalle dans la civilisation de l’alphabet, Leuven, Peeters-Vrin, 2000, (« Accent »).

CHRISTIN, Anne-Marie, L’image écrite, ou La déraison graphique, Paris, Flammarion, 1995, (« Idées et recherches »).

CITTON, Yves, « 1. Qu’est-ce qu’un geste ? », in Gestes d’humanités, Paris, Armand Colin, 2012, (« Le temps des idées »), p. 27‑58, [En ligne : https://www.cairn.info/gestes-d-humanites–9782200279714-p-27.htm].

DU CAMP, Maxime, Les convulsions de Paris, 5e édition, Paris, Hachette, 1881, [En ligne : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k22414n].

Emergences – Resurgences, Henri Michaux (éd.), Milano, Skira [u.a.], 2000.

ERMOLIEFF, Anne, « Pillow Book ou l’expression de deux fascinations sans limites : la chair et la calligraphie », Savoirs et clinique, nº 15, avril 2012, p. 151‑156.

GERVAIS, Bertrand, « Imaginaire de la fin du livre : figures du livre et pratiques illittéraires », LHT Fabula, janvier 2016.

GOODY, Jack et BAZIN, Jean, La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, Éditions de Minuit, 1986, (« Le sens commun »).

HUANG, Bei, « Henri Michaux et l’aventure du geste », Littérature, Vol. 175 / 3, Paris, Armand Colin, 2014, p. 106‑122.

KRAUSS, Rosalind E., The Optical Unconscious, Cambridge, MIT Press, 1993.

KRISTEVA, Tzvetana, « The Pillow Hook: The Pillow Book as an “Open Work” », Nichibunken Japan Review: Bulletin of the International Research Center for Japanese Studies, Vol. 5, 1994, p. 15‑54.

LEHMAN, Peter, « Being Naked Playing Dead: The Art of Peter Greenaway by Alan Woods », Film Quarterly, Vol. 52 / 1, octobre 1998, p. 72‑74, [En ligne : https://www.jstor.org/stable/1213396].

LEIRIS, Michel, MASSON, André et YVERT, Louis, Glossaire j’y serre mes gloses suivi de Bagatelles végétales, Paris, Gallimard, 2014, (« Collection poésie ).

LEROI-GOURHAN, André, Le geste et la parole. [I], Technique et langage, Paris, Albin Michel, 2014.

LESSING, Gotthold Ephraim et TEINTURIER, Frédéric, Laocoon ou Des frontières respectives de la peinture et de la poésie, Paris, Klincksieck, 2011, (« L’esprit et les formes »).

LÉVI-STRAUSS, Claude, La pensée sauvage, Paris, Presses Pocket, 2010, (« Agora »).

MALLARMÉ, Stéphane, « À Edmond Deman. 28 avril 1888 », in Henri Mondor, Lloyd James Austen, (éds.). Correspondance, Vol. 3, Paris, Gallimard, 1969, (« NRF »), p. 188.

MALLARMÉ, Stéphane, Œuvres complètes, Bertrand Marchal (éd.), Paris, Gallimard, 1998, (« Bibliothèque de la Pléiade »).

MALLARMÉ, Stéphane, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard : poème, fac-similé de l’édition de 1914, Paris, Gallimard, 2014.

MALLARMÉ, Stéphane et PAPP, Tipor, Un Coup de Dés Jamais n’abolira Le Hasard, Éditions Mitsou Ronat, Paris, Change errant, 1981.

MALLOCK, W. H., A Human Document, United States, Adamant Media Corporation (« Elibron Classics »), 2005.

MELLET, Margot, « Défaire et remédier le livre. Analyse de la figure-écran du livre dans The Pillow Book de Peter Greenaway », Études du livre au XXIe siècle, 2021, [En ligne : https://projets.ex-situ.info/etudesdulivre21/liv2/mellet/].

MICHAUX, Henri, La nuit remue, Paris, Gallimard, 1997, (« Collection Poésie »).

MICHAUX, Henri, BELLOUR, Raymond et TRAN, Ysé, Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1998, (« Bibliothèque de La Pléiade »).

MIRANDETTE, Marie Claude, Le contrat du peintre. L’interartialité comme réflexivité dans le cinéma de Peter Greenaway, mémoire de master, Université de Montréal, 2013, [En ligne : https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/9110].

MOSER, Walter, « “Puissance baroque” dans les nouveaux médias. À propos de Prospero’s Books de Peter Greenaway », Cinémas, Vol. 10 / 2-3, octobre 2007, p. 39‑63, [En ligne : http://id.erudit.org/iderudit/024815ar].

MOSER, Walter, « L’interartialité : pour une archéologie de l’intermédialité », in Marion Froger, Jürgen E. Mülle, (éds.). Intermédialité et socialité. Histoire et géographie d’un concept, Vol. 14, Münster, Nodus Publikationen, 2007, (« Film und Medien in der Diskussion »), p. 69‑92.

PHILLIPS, Tom et MALLOCK, W. H., A Humument: A Treated Victorian Novel, 4th ed, New York, N.Y, Thames & Hudson, 2005.

SAN MARTIN, Caroline et BOUCHY, Karine, « Surface, Coprésence, Circulations. The Pillow Book de Peter Greenaway », Lignes de fuite, Vol. 02, 2016.

SEI SHŌNAGON et BEAUJARD, André, Notes de chevet, Paris, Gallimard Unesco, 2009, (« Connaissance de l’Orient »).

TOURTE, Élise, « “Contre la colle les uns les autres” : l’épreuve du contact chez Henri Michaux », Les Lettres Romanes, Vol. 72 / 3-4, juillet 2018, p. 385‑394, [En ligne : https://www.brepolsonline.net/doi/10.1484/J.LLR.5.117223].


  1. Anne-Marie Christin, L’image écrite, ou La déraison graphique, Paris, Flammarion, 1995, (« Idées et recherches »).↩︎

  2. Ibidem.↩︎

  3. Maxime Du Camp, Les convulsions de Paris, 5e édition, Paris, Hachette, 1881, p. 189‑190.↩︎

  4. Les adaptations du tableau qui suivront, si elles se saisiront de l’articulation entre force du mot et impact du visuel, oublieront quelque peu le rôle de la première mise en scène, laissant de côté le voile de pudeur pour se concentrer sur ce que l’image peut révéler d’une mythologie humaine par son intitulé : le pendant masculin et phallique (L’Origine de la guerre d’Orlan, 1989) est une déclinaison du lien entre exhibition visuelle et éloquence textuelle.↩︎

  5. Walter Moser, « L’interartialité : pour une archéologie de l’intermédialité », in Marion Froger, Jürgen E. Mülle, (éds.). Intermédialité et socialité. Histoire et géographie d’un concept, Vol. 14, Münster, Nodus Publikationen, 2007, (« Film und Medien in der Diskussion »), p. 69‑92.↩︎

  6. Anne Marie Christin, Poétique du blanc. Vide et intervalle dans la civilisation de l’alphabet, Leuven, Peeters-Vrin, 2000, (« Accent »), p. 13.↩︎

  7. Le point de vue développé ici a valeur pour une lecture occidentale de l’écriture et de l’image.↩︎

  8. Op. cit., p. 8.↩︎

  9. Op. cit.↩︎

  10. La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, Paris, Éditions de Minuit, 1986, (« Le sens commun »).↩︎

  11. Anne-Marie Christin, op. cit., p. 16.↩︎

  12. Jack Goody et Jean Bazin, op. cit., p. 267.↩︎

  13. Ibidem, p. 97.↩︎

  14. La formule « pensée sauvage » est une allusion à Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Presses Pocket, 2010, (« Agora ») : « La pensée sauvage se définit à la fois par une dévorante ambition symbolique, et telle que l’humanité n’en a plus jamais éprouvé de semblable, et par une attention scrupuleuse entièrement tournée vers le concret (Ibidem, p. 263). »↩︎

  15. Jack Goody et Jean Bazin, op. cit., p. 31.↩︎

  16. André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole. [I], Technique et langage, Paris, Albin Michel, 2014.↩︎

  17. Anne-Marie Christin, op. cit., p. 17.↩︎

  18. Ibidem, p. 19.↩︎

  19. Laocoon ou Des frontières respectives de la peinture et de la poésie, Paris, Klincksieck, 2011, (« L’esprit et les formes »).↩︎

  20. Anne-Marie Christin, op. cit., p. 33.↩︎

  21. Citton décrit notamment les liens entre geste et performance (« 1. Qu’est-ce qu’un geste ? », in Gestes d’humanités, Paris, Armand Colin, 2012, (« Le temps des idées »), p. 27‑58).↩︎

  22. Stéphane Mallarmé et Tipor Papp, Un Coup de Dés Jamais n’abolira Le Hasard, Éditions Mitsou Ronat, Paris, Change errant, 1981.↩︎

  23. Anne-Marie Christin, op. cit., p. 260.↩︎

  24. Ibidem.↩︎

  25. Ce nombre varie selon les éditions, la version dans la revue Cosmopolis de mai 1897 était concentrée en 9 pages recto-verso, la version de Firmin-Didot s’étalait sur 24 grandes pages (38 sur 29 cm).↩︎

  26. Mallarmé, s’il préférera le Garamond (dans l’édition de Gallimard) au Didot (dans l’édition de 1980), accorde cependant une importance secondaire à la typographie, n’étant pas « le véhicule exclusif du sens » (Anne-Marie Christin, op. cit., p. 221).↩︎

  27. Relative parce que si les fragments poétiques sont espacés dans la double page, ils ne sont pas placés au hasard : ils suivent un schéma dont la précision a été à l’origine de nombreuses discordes entre Mallarmé et l’éditeur Vollard (voir à ce sujet les notes et commentaires de Marchal dans Stéphane Mallarmé, Œuvres complètes, Bertrand Marchal (éd.), Paris, Gallimard, 1998, [« Bibliothèque de la Pléiade »]).↩︎

  28. Mallarmé cité par Anne-Marie Christin, op. cit., p. 215-216.↩︎

  29. Ce blanc devait d’ailleurs être plus vaste puisque les épreuves du poème issues de l’imprimerie Firmin-Didot présentaient des pages de 38 sur 29 cm, soit des doubles pages de plus de 50 cm de largeur. L’édition de Gallimard (Stéphane Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard: poème, fac-similé de l’édition de 1914, Paris, Gallimard, 2014) a fait l’économie dans les marges.↩︎

  30. Rosalind E. Krauss, The Optical Unconscious, Cambridge, MIT Press, 1993, p. 284.↩︎

  31. Michel Leiris, André Masson et Louis Yvert, Glossaire j’y serre mes gloses suivi de Bagatelles végétales, Paris, Gallimard, 2014, (« Poésie »).↩︎

  32. Anne-Marie Christin, op. cit., p. 261.↩︎

  33. Ibidem.↩︎

  34. Ibidem, p. 264‑265.↩︎

  35. Ibidem, p. 267.↩︎

  36. Michel Leiris, André Masson et Louis Yvert, op. cit., p. 83.↩︎

  37. Anne-Marie Christin, op. cit., p. 273‑274.↩︎

  38. W. H. Mallock, A Human Document, United States, Adamant Media Corporation, (« Elibron Classics »), 2005.↩︎

  39. Tom Phillips et W. H. Mallock, A Humument: A Treated Victorian Novel, 4th ed, New York, N.Y, Thames & Hudson, 2005.↩︎

  40. Bertrand Gervais, « Imaginaire de la fin du livre : figures du livre et pratiques illittéraires », LHT Fabula, janvier 2016.↩︎

  41. Matthew Battles, Palimpsest: A History of the Written Word, First Edition, New York, W. W. Norton & Company, 2015.↩︎

  42. Tom Phillips Official Website, section Humument.↩︎

  43. Élise Tourte, « “Contre la colle les uns les autres” : l’épreuve du contact chez Henri Michaux », Les Lettres Romanes, Vol. 72 / 3-4, juillet 2018, p. 385‑394.↩︎

  44. Humain, inhumain : le travail critique des normes. Entretiens, Paris, Éditions Amsterdam, 2005.↩︎

  45. Op. cit., p. 386.↩︎

  46. Le contact est défini comme suit par Tourte : « l’action inchoative de deux corps qui se touchent, le sens qui en résulte » (Ibidem, p. 386).↩︎

  47. Stéphane Mallarmé, « À Edmond Deman. 28 avril 1888 », in Henri Mondor, Lloyd James Austen (éds.), Correspondance, Vol. 3, Paris, Gallimard, 1969, (« NRF »), p. 188.↩︎

  48. L’entreprise de libération du geste de création de Michaux peut évoquer à ce titre la formule de « main-graphie » de Leroi-Gourhan dans son étude sur le geste (op. cit.).↩︎

  49. Les textes de Michaux associés à sa peinture datent, pour la majorité, de la période 1935-1951 : Entre centre et absence (1936) ; Peintures (1939) ; Arbres des Tropiques (1942) ; Exorcismes (1943) ; Labyrinthes (1944) ; Meidosems (1948) ; Mouvements (1951) (Henri Michaux, Raymond Bellour et Ysé Tran, Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1998, [« Bibliothèque de La Pléiade »]).↩︎

  50. Emergences – Resurgences, Henri Michaux (éd.), Milano, Skira [u.a.], 2000, p. 11.↩︎

  51. Henri Michaux, La nuit remue, Paris, Gallimard, 1997, (« Poésie »).↩︎

  52. Henri Michaux, Raymond Bellour et Ysé Tran, op. cit., I, « Dessins commentés », p. 436-437.↩︎

  53. Ibidem., I, « Dessins commentés », p. 436-437.↩︎

  54. Bei Huang, « Henri Michaux et l’aventure du geste », Littérature, Vol. 175 / 3, Paris, Armand Colin, 2014, p. 106‑122.↩︎

  55. « une boule hermétique et suffisante, un univers dense et personnel et trouble où n’entrait rien » (Plume, p. 110).↩︎

  56. Henri Michaux, Raymond Bellour et Ysé Tran, op. cit., III, « Par des traits », p. 1252.↩︎

  57. Ibidem., I, « Plume », p. 706 en parle pour les états de conscience traversés.↩︎

  58. Si la méfiance de Michaux envers les mots peut recouvrir des airs d’automatisme, l’association entre Michaux et projet surréaliste ne pourra être menée plus loin.↩︎

  59. Bei Huang, op. cit.↩︎

  60. Anne-Marie Christin, op. cit.↩︎

  61. Henri Michaux, Raymond Bellour et Ysé Tran, op. cit., I, « La Nuit remue », p. 431.↩︎

  62. Élise Tourte, op. cit.↩︎

  63. Le cinéma de Peter Greenaway est notamment étudié par les théories de l’interartialité (Walter Moser, « “Puissance baroque” dans les nouveaux médias. À propos de Prospero’s Books de Peter Greenaway », Cinémas, Vol. 10 / 2-3, octobre 2007, p. 39‑63. Marie Claude Mirandette, Le contrat du peintre : l’interartialité comme réflexivité dans le cinéma de Peter Greenaway, mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2013).↩︎

  64. Sei Shōnagon et André Beaujard, Notes de chevet, Paris, Gallimard Unesco, 2009, (« Connaissance de l’Orient »).↩︎

  65. Tzvetana Kristeva, « The Pillow Hook: The Pillow Book as an “Open Work” », Nichibunken Japan Review: Bulletin of the International Research Center for Japanese Studies, Vol. 5, 1994, p. 15‑54.↩︎

  66. « I thought that if I could look at the notion of the Oriental ideogram as a completely synthesised notion of text and image that here would be a good template for cinema », Peter Greenaway cité par Peter Lehman, « Being Naked Playing Dead: The Art of Peter Greenaway by Alan Woods », Film Quarterly, Vol. 52 / 1, octobre 1998, p. 72‑74, 266.↩︎

  67. Anne Ermolieff, « Pillow Book ou l’expression de deux fascinations sans limites : la chair et la calligraphie », Savoirs et clinique, nº 15, avril 2012, p. 151‑156.↩︎

  68. Caroline San Martin et Karine Bouchy, « Surface, Coprésence, Circulations. The Pillow Book de Peter Greenaway », Lignes de fuite, Vol. 02, 2016, p. 3.↩︎

  69. Ibidem.↩︎

  70. Anne Ermolieff, op. cit.↩︎

  71. Ibidem.↩︎

  72. Parmi les 13 hommes-livres (The First Book of Thirteen [I], The Book of the Innocent, The Book of the Idiot, The Book of Impotence, The Book of the Exhibitionist, The Book of the Lover, The Book of the Seducer, The Book of Youth, The Book of Secrets, The Book of Silence, The Book of the Betrayed, The Book of False Starts, The Book of the Dead), l’homme-livre du silence est un messager dont la langue a été calligraphiée, l’homme-livre de l’impotence est un vieil homme courant dans les rues, l’homme-livre des secrets est un moine qui a été écrit dans les endroits cachés, et enfin le dernier homme-livre est un sumo envoyé à l’éditeur pour l’assassiner.↩︎

  73. Jusqu’aux « chutes » du support qui sont également montrées puisque les restes du corps de Jérôme après dépeçage (organes, os) apparaissent à l’écran.↩︎

  74. Margot Mellet, « Défaire et remédier le livre. Analyse de la figure-écran du livre dans The Pillow Book de Peter Greenaway », Études du livre au XXIe siècle, 2021.↩︎

  75. « Alors le montage de The Pillow Book ne serait pas uniquement un montage alterné, et l’utilisation de la couleur et du noir et blanc une tentative de différencier ; il s’agirait plutôt d’une juxtaposition qui met en relation des segments filmiques qui se questionnent et se répondent l’un par l’intermédiaire de l’autre. Peter Greenaway propose une manière singulière de concilier discontinu et continu, où le continu et le discontinu s’échangent, changent de place, sortent de leurs catégories habituelles et a priori. » (Caroline San Martin et Karine Bouchy, op. cit., p. 2‑3)↩︎

  76. Op. cit.↩︎

  77. Soit 126 mm de long, 76 mm de large et 60 mm d’épaisseur.↩︎

  78. Anne-Marie Christin, op. cit.↩︎


Margot Mellet est doctorante en Littératures de langue française à l’Université de Montréal en recherche et création. Elle développe une réflexion littéraire sur l’épaisseur de l’écriture : à la croisée entre les pensées des médias et des humanités numériques, elle convoque des notions comme celles de la machine littéraire, de la fabrique du savoir, et des petites mains. Un chapitre sur les petites mains a notamment été publié en 2023 dans le cadre de l’ouvrage « Communication scientifique et science ouverte » (Mahé, Mayeur, DeBoeck supérieur). Elle publie l’ensemble de ses recherches et créations sur son site personnel : Blank.blue.

Les commentaires sont fermés, mais les rétroliens et signaux de retour sont ouverts.

Articles récents