Baptiste Lefils, 3e cycle, Université Sorbonne Nouvelle (Paris 3)
Résumé : Les trois premières critiques d’art publiées par Beckett, « Le Monde et le pantalon » (1945), « Peintres de l’empêchement » (1948) et « Trois dialogues » (1949), sont rarement étudiées pour elles-mêmes. Leur date de publication – antérieure aux premières œuvres fictionnelles de l’auteur – incite à y voir les germes d’une œuvre à venir. De fait, ces écrits sur la peinture sont souvent lus comme des réflexions obliques sur l’art d’écrire. Si cette lecture ne manque pas de pertinence, elles passent cependant sous silence la composante essentielle de l’activité critique. Elles oblitèrent en effet la singularité des relations que le texte entretient avec son référent pictural. Cet article vise ainsi à établir l’originalité du geste critique de Beckett. Adoptant une approche poétique et esthétique de la critique d’art, j’y étudie les textes de Beckett comme des « critiques créatives » (Kremer). Dès lors, la critique beckettienne ne produit pas seulement un discours réflexif sur les peintres, mais elle prolonge aussi leur geste créatif dans l’écriture. Elle s’efforce de faire lire la peinture. Cette hypothèse appelle un développement en trois temps. D’abord, je montre que l’expérience picturale de Beckett imprègne le cadre théorique de sa critique. Ensuite, j’envisage les effets de cette expérience sur la poétique des textes à l’étude. Enfin, j’établis une analogie entre, d’une part, le rapport de Beckett à la peinture et, d’autre part, la relation de son lecteur à ses textes.
La critique d’art est la mise en pratique d’une écriture « transitive1 » : elle tire son existence d’une œuvre picturale ou photographique qui la précède. Elle établit donc un rapport de dépendance du texte à l’image. À suivre la distinction de Barthes entre « écriture » et « écrivance », le critique d’art serait un « écrivant », dans la mesure où sa pratique scripturale serait assignée à une fonction mimétique et communicationnelle. Cette distinction qui, selon Genette, « hante toujours [dans les années 2000] notre doxa littéraire2 » pourrait expliquer, du moins en partie, la place secondaire que la critique d’art de Samuel Beckett occupe, encore aujourd’hui, au sein des études beckettiennes.
Les trois textes sur l’art que l’auteur a proposés dans les années 1940 sont en effet rarement étudiés pour eux-mêmes. Leur date de publication – antérieure aux premières œuvres fictionnelles de Beckett – incite à en faire des écrits initiatiques. Ces textes seraient des épreuves, des esquisses de l’art beckettien. En outre, la nature réflexive et méta-artistique de ces œuvres a poussé certains critiques à les considérer comme des écrits programmatiques3. Si cette lecture ne manque pas de pertinence, elle passe cependant sous silence la composante essentielle de l’activité critique, car elle oblitère la singularité des relations que tout texte critique entretient avec les tableaux qui en sont la source.
Ainsi, cet article adopte la perspective d’une approche poétique et esthétique de la critique d’art. La critique de Beckett y est étudiée comme un acte de création qui implique un travail formel et imaginatif. Notre hypothèse est que, loin de la décrire ou de la commenter, Beckett « traverse4 » la peinture : il opère un « déplacement du regard critique, allant du visible à l’invisible, par un voyage de l’œil qui voit à l’œil qui crée5 ». Il me semble en effet que la notion de « traversée » proposée par Nathalie Kremer, à propos de Diderot et de Baudelaire, permet de penser la façon dont Beckett façonne son écriture critique par une fréquentation intime des œuvres. Il les traverse parce qu’il les parcourt, mais aussi parce qu’il les franchit et s’en détourne. Plutôt qu’une spéculation sur l’art, Beckett offre une « critique créative6 ». Il rejoue, et ainsi perpétue, son expérience esthétique de l’œuvre picturale à travers la création d’une œuvre scripturale. En ce sens, il adhère à la croyance baudelairienne selon laquelle « le meilleur compte rendu d’un tableau pourra être un sonnet ou une élégie7 », c’est-à-dire une œuvre nouvelle.
La spécificité du geste critique de Beckett prend forme dès les premiers articles qu’il fait paraître en revue entre 1945 et 1949. Les deux premiers, « Le Monde et le pantalon8 » et « Peintres de l’empêchement9 » explorent les œuvres des frères van Velde. Le dernier, « Trois dialogues10 », traite des œuvres picturales de Pierre Tal Coat, de Julien Masson et de Abraham van Velde. Paradoxalement, ces trois articles entretiennent un rapport distancié à la peinture. Outre l’absence d’ekphrasis, les textes à l’étude inventent des manières de faire diversion par rapport aux œuvres présentées. Dans « Trois dialogues », la forme dialoguée11 sert de repoussoir aux tableaux. Grâce à ce choix formel, Beckett déplace la référentialité de son texte. Si, comme le suggère le titre de l’article, les dialogues sont le référent premier de l’écriture, les peintures en sont un référent second. Elles sont l’objet du dialogue, lui-même objet de la représentation littéraire. De façon analogue, dans « Peintres de l’empêchement », en dénonçant d’emblée le caractère superfétatoire de son essai (« J’ai dit tout ce que j’avais à dire sur la peinture des frères van Velde […] ») (PE, p. 49), Beckett substitue à l’introduction des peintures la justification de son propre discours. Enfin, dans « Le Monde et le pantalon », la mise à distance des œuvres est revendiquée par la digression initiale : « Pour commencer, parlons d’autre chose » (MP, p. 9). À chaque fois, il s’agit de tenir le texte à distance des images.
La mise à distance concertée des tableaux traduit une gêne à l’égard de l’art contemporain. Ainsi, les trois essais soutiennent la thèse selon laquelle les peintres contemporains redéfiniraient, par leur pratique, les rapports classiques entre sujet et objet12. Le peintre contemporain serait empêché par la conviction selon laquelle aucun sujet ne peut entrer en relation avec le monde. Là où règnent les catégories de la subjectivité, aucun objet n’existe. La vision défendue par Beckett est donc celle d’une peinture de l’« empêchement » : l’artiste peint malgré l’impossible expressivité de la peinture. Aussi, la persistance beckettienne dans l’échec à représenter des images fait écho à la persévérance de la peinture contemporaine dans l’échec de l’expression.
Dès lors, la critique d’art de Beckett déplace la difficulté classique des rapports entre texte et image. Le défi que relève Beckett n’est pas celui de braver l’incommensurabilité du visible et du lisible, mais celui de faire d’une peinture sans objet l’objet d’une écriture. Si le texte critique tire son existence de la relation de dépendance qu’il entretient avec l’image artistique, la conception beckettienne de l’art sape la possibilité même d’une critique d’art. En concevant l’image à commenter comme étant par essence non expressive, Beckett confronte son écriture à l’impossible : réussir à exprimer l’échec de l’expression, sans en trahir le caractère empêché. Sa « traversée » de la peinture contemporaine constitue une mise à l’épreuve de ses propres moyens d’expression13. Je montrerai donc que Beckett rejoue au niveau de sa pratique scripturale l’échec qui préside aux œuvres qu’il commente.
En effet, Beckett met en scène son propre empêchement en ménageant dans son texte une réflexion sur l’impossibilité théorique de la critique d’art. Lorsqu’il réfléchit à la pratique critique, le texte ne vise pas tant à opposer une « mauvaise » et une « bonne » manière de commenter l’art qu’à discréditer a priori sa propre entreprise. De cette manière, en décrivant l’empêchement théorique de la critique d’art, Beckett supporte la mise en cause de sa propre écriture. Le travail stylistique de l’auteur est ainsi mis au service d’un « épuisement14 » du langage méta-artistique. Cependant, ce double dispositif d’empêchement ne ruine pas l’ensemble de l’entreprise critique : il en redéfinit simplement les modalités. Ainsi, les trois textes critiques apparaissent, en dernière instance, comme la transposition scripturale de cette résignation à l’art que Beckett pense voir chez Bram van Velde. Ce faisant, plutôt que de se soumettre à l’image, le texte s’y adosse, l’affronte pour offrir à son lecteur une expérience esthétique analogue à celle du spectateur des tableaux.
1. Théorie de l’empêchement
Dans la dernière partie de « Trois dialogues », Beckett affirme que, si certains artistes « ont senti que l’art n’est pas nécessairement expression » (TD, p.25), « tant d’efforts prodigués pour rendre l’art indépendant de son occasion n’ont réussi qu’à élargir son répertoire » (TD, p. 25-26). Disant cela, Beckett touche au paradoxe de sa propre théorie sur l’art. L’art non expressif, purement intransitif, est demeuré jusqu’à Bram van Velde un vœu pieux. De fait, il ne suffit pas à l’art d’être non mimétique (abstrait) pour ne rien exprimer. Il faut aussi qu’il renonce à faire de la question de l’expression le centre de ses préoccupations. Pour être intransitif, l’art doit être à la fois non mimétique et non réflexif. Aussi, mon hypothèse est que l’écriture critique de Beckett est guidée par la « théorie fantastique » (Ibidem), selon laquelle un tel art est possible. Cependant, il est difficile de soutenir la thèse d’une écriture non expressive alors que cette thèse est formulée par cette écriture elle-même. Afin de dépasser cette contradiction, je suppose que le topos d’écriture intransitive15 représente, pour Beckett, un horizon hors d’atteinte qui, pourtant, structure sa pratique. De cette façon, le choix des a priori théoriques de Beckett peut être compris comme une manière de saboter les conditions de possibilité de son propre discours. En retournant la critique d’art contre elle-même, Beckett s’en prend aux « occasions » intellectuelles de son écriture.
Le début de l’article « Le Monde et le pantalon » développe ainsi une remise en cause de la posture des critiques d’art vis-à-vis des œuvres. Pour ce faire, Beckett expose deux manières d’entrer en relation avec un tableau. Soit le spectateur est ce que Beckett appelle un « amateur » ; dans ce cas, il fait vivre la « surface colorée » (TD, p. 30) en l’investissant de son jugement subjectif, d’une multiplicité de significations et d’appréciations personnelles. Soit le spectateur est un « critique », auquel cas il choisit d’« étrangler » (MP, p. 19) l’œuvre en en jugeant la valeur artistique à partir de présupposés arbitraires. Or, le « critique » et l’« amateur » entretiennent des rapports belliqueux : « L’impossible est fait, nous dit Beckett, pour que [l’amateur] choisisse, pour qu’il prenne parti […], pour qu’il cesse de regarder, pour qu’il cesse d’exister, devant une chose qu’il aurait pu simplement aimer, ou trouver moche, sans savoir pourquoi. » (MP, p. 15) Le « critique » nuit donc doublement à l’art. D’une part, il ne participe pas au mouvement intersubjectif qui fait sa raison d’être. D’autre part, il entrave ce mouvement en imposant à « l’amateur » sa méthode de mortification de l’art. Cette représentation « vitaliste » valorise une attitude non critique, plus intéressée par le plaisir et la jouissance que par le savoir et l’argumentation.
Cependant, le préambule de l’article « Le Monde et le pantalon » ne vise pas tant à établir un partage entre bonne et mauvaise critique qu’à discréditer toute tentative critique. Bien que Beckett appelle implicitement de ses vœux une critique vertueuse, une « critique d’amateur », il n’en instaure pas les conditions de possibilité. Comme le pense Danièle de Ruyter-Tognotti, si l’adresse à « l’amateur » « semble dirigée vers un récepteur virtuel dans l’intention toute pédagogique de le tancer et de le réveiller de sa passivité16 », elle « ne permet pas de donner de la réalité à un interlocuteur17 ». En effet, l’efficacité de l’interpellation directe est sapée par la désignation de l’interlocuteur à la troisième personne du singulier. « Au fond, conclut de Ruyter-Tognotti, le commentaire beckettien invente l’image d’un homme qui se prend pour un amateur, c’est-à-dire celle de quelqu’un dont l’existence – d’amateur – est une erreur18 ».
La performativité de l’adresse ne produit pas non plus d’effets sur l’énonciateur lui-même. Si le plaisir de l’amateur est d’abord valorisé, il apparaît ensuite comme problématique :
Ce qui suit ne sera qu’une défiguration verbale, voire un assassinat verbal, d’émotions qui, je le sais bien ne regardent que moi. Défiguration, à bien y penser, moins d’une réalité affective que de sa risible empreinte cérébrale. Car il suffit que je réfléchisse à tous les plaisirs que me donnaient, à tous les plaisirs que me donnent, les tableaux d’A. van Velde, et à tous les plaisirs que me donnaient, à tous les plaisirs que me donnent, les tableaux de G. van Velde, pour que je les sente m’échapper, dans un éboulement innombrable. (MP, p.24)
Bien qu’en soulignant la dimension autocentrée de son étude Beckett semble ici se réclamer d’une « critique d’amateur », il exprime en réalité le caractère insaisissable des plaisirs de l’amateur. Pour ce faire, dans ce passage, Beckett suggère ce que pourrait être une « critique d’amateur ». Il s’agirait d’un ressassement onaniste de la formule « tous les plaisirs que me donnent les tableaux ». Aussi, malgré une diatribe contre les « critiques », Beckett ne trouve pas dans la posture de l’« amateur » une situation plus enviable. Le texte qu’il annonce (« ce qui suit ne sera pas ») est un texte sans objet. Même le caractère indicible du plaisir ne semble pas pouvoir être objet de discours : lorsqu’il essaie de le dire, le langage s’égare en tournures fautives. Ainsi, l’expression « un éboulement innombrable » s’annule d’elle-même puisque le sens de l’adjectif qualificatif – « innombrable », c’est-à-dire que l’on ne peut compter – est contredit par l’utilisation de l’article indéfini qui singularise le phénomène et le rend, de fait, dénombrable. Beckett discrédite l’« amateurisme » qu’il semble, en outre, appeler de ses vœux.
Dès lors, la mise en scène d’une axiologie rigide entre le « critique » et l’« amateur » ne vise pas l’invention d’une critique vertueuse. Elle programme plutôt l’échec de la critique beckettienne en lui offrant des fondements énonciatifs viciés. Cette déstabilisation des fondements épistémologiques du discours sert alors de support théorique à une poétique de l’empêchement.
2. Poétique de l’empêchement
Beckett semble en effet mobiliser des procédés stylistiques et rhétoriques capables de porter atteinte à l’intégrité sémantique de ses écrits sur l’art. L’écriture de Beckett cherche à se déployer dans l’interstice de la signification. Hésitant sans cesse entre sens et non-sens, elle trouve dans la co-présence de ces deux pôles le pouvoir de leur annulation mutuelle. Il se trouve dans les textes à l’étude juste assez de sens pour empêcher d’en faire des textes absurdes – exhibant leur absurdité – , et juste trop peu pour dissuader d’en faire des textes voués à communiquer un message sur l’art. Ainsi, comme les toiles de Bram van Velde, les écrits sur l’art de Beckett tendent à n’être ni expressifs ni réflexifs.
Instabilité référentielle
En effet, l’intelligibilité de la pensée de Beckett sur les van Velde est en partie entravée par une entreprise de déstabilisation des renvois référentiels à l’intérieur du discours. Ainsi, dans « Le Monde et le pantalon », l’énoncé tend à amalgamer les réflexions sur Abraham van Velde et celles sur Gerardus van Velde.
Pour ce faire, Beckett mobilise différents procédés. D’abord, il cherche à associer les frères van Velde en jouant sur la manière dont il les nomme. Dans « Peintres de l’empêchement », les deux artistes sont désignés par des diminutifs de leur prénom (Bram et Geer), tandis qu’ils sont identifiés par l’initiale de leur prénom dans « Le Monde et le pantalon ». Ainsi, dans son premier article, Beckett semble plus attaché à produire un effet de confusion entre les deux peintres. De fait, la différence entre les deux frères est plus faiblement marquée, car seule une lettre les distingue. Ensuite, cette confusion est entretenue par des jeux de reprises périphrastiques. Lorsque Beckett choisit par exemple de désigner Abraham par « l’aîné » (MP, p. 24), il laisse au lecteur la responsabilité de la référence. S’il veut l’identifier, le lecteur doit se reporter à la courte biographie des peintres proposée une page avant. Enfin, l’auteur déstabilise les références pronominales de son texte :
A. van Velde peint l’étendue. G. van Velde peint la succession.
Puisque, avant de pouvoir voir l’étendue […] il faut l’immobiliser, celui-là se détourne de l’étendue naturelle, celle qui tourne comme une toupie sous le fouet du soleil. Il l’idéalise, en fait un sens interne. […]
Celui-ci, au contraire, est entièrement tourné vers le dehors, vers le tohu-bohu des choses dans la lumière, vers le temps. (MP, p. 35-36)
Dans cet extrait, l’hypozeuxe se conjugue à la superposition typographique pour créer un effet de quasi-équivalence entre les deux premiers paragraphes et, ce faisant, entre les deux peintres. Cette interchangeabilité est renforcée par l’utilisation des pronoms démonstratifs « celui-là » et « celui-ci ». En toute rigueur, Beckett fait un usage correct de ces deux pronoms démonstratifs : « celui-là » renvoie au terme le plus éloigné dans l’énoncé (A. van Velde) et « celui-ci » au plus proche (G. van Velde). Cependant, en utilisant « celui-là » avant « celui-ci », il substitue à la logique du français – selon laquelle « les formes en-ci sont censées renvoyer à ce qui est le plus proche […] dans le texte et la forme en-là à ce qui est le plus éloigné19 » – une autre logique selon laquelle l’ordre des pronoms suit l’ordre d’apparition des noms repris. Ce faisant, le texte éloigne artificiellement les pronoms et leur antécédent et rapproche trompeusement le pronom « celui-là » et l’antécédent du pronom « celui-ci » (G. van Velde). En même temps que Beckett affirme la nécessité « de ne pas confondre les deux œuvres » (MP, p. 25), il instaure les conditions de possibilité de cette confusion.
Finalement, les jeux sur la référentialité de son texte, qu’elle soit patronymique, pronominale ou périphrastique, doivent être actualisés par le lecteur. Beckett le rend d’ailleurs sensible à l’effet déroutant de son texte : « Cette distribution des rôles est des plus inattendues. Tout laissait prévoir l’inverse. Et j’ai bien peur que nous n’allions vers des constatations qui devront les renverser en effet, pour tout esprit soucieux de cohérence. » (MP, p. 26) Pour peu qu’il ait un « esprit soucieux de cohérence », le lecteur construit ainsi l’instabilité d’un énoncé qui n’est ni proprement inaccessible, ni simplement identifiable. Le brouillage de la référence relève alors plus d’un effet de lecture, que d’une véritable indétermination sémantique. Il reste que « Le Monde et le pantalon » programme cet effet en multipliant les espaces d’incertitudes référentielles. Et Beckett d’ironiser : « C’est ça, la littérature » (MP, p. 35).
Humour et « autres foirades »
En outre, dans le cadre d’un discours critique, la référentialité du texte est partie prenante du sérieux de l’énoncé. C’est pourquoi l’humour constitue un outil essentiel du processus de dislocation sémantique du texte. La tonalité comique remet en question la visée descriptive ou interprétative du texte critique, car elle sème le doute sur les motivations de l’énonciateur : s’agit-il d’élaborer une connaissance – même partielle, même partiale – de l’art ou de produire un effet sur le lecteur ? Or, dans les textes à l’étude, le doute du lecteur quant au sérieux de Beckett n’est jamais levé.
On le sait, le titre du premier article de Beckett est une référence à une blague placée en exergue du texte20. Cette plaisanterie n’est pas gratuite. Le thème de la création qui y est abordé n’est pas sans rapport avec la critique d’art. De même, la reprise de cette blague dans Fin de partie pourrait nous inciter à la considérer comme un « véritable noyau narratif premier en forme de kôan zen21 ». L’article de Beckett serait alors un « programme anamorphique d’écriture22 ». Il me semble pourtant que ces interprétations « sérieuses » de l’épigraphe sont, pour reprendre une expression de Beckett, « une méthode […] ingénieuse pour le ramener sain et sauf dans le giron de saint Luc » (TD, p. 26.). Il s’agit de négliger la dimension humoristique, voire subversive, qui consiste à placer sa critique d’art sous le patronage d’une plaisanterie. Mon hypothèse est précisément que les textes sur l’art de Beckett peuvent être lus comme des parodies de critique d’art, et qu’il est offert au lecteur de penser que Beckett ne fait que « déconner sur les frères van Velde » (MP, p. 46).
J’aimerais tester cette hypothèse sur l’article « Peintres de l’empêchement ». À première vue, Beckett structure sa critique d’art de manière canonique. D’abord, il élabore un discours de la méthode : « ce qui importe […] c’est d’affirmer quelque chose, que ce soit sans précédent ou avec, et d’y rester fidèle. […] Et cela semble tout particulièrement vrai des opinions ayant trait à la peinture moderne, sur laquelle il n’est pas possible de s’en faire une, même fragile, par les méthodes ordinaires. » (PE, p. 50-51) Il développe ensuite sa thèse (« Je suggère que la peinture des van Velde est une assurance que l’École de Paris […] est encore jeune et qu’un bel avenir lui est promis » (PE, p. 53)) qu’il problématise à l’aide d’une réflexion sur l’histoire de la peinture (« l’histoire de la peinture et l’histoire de ses rapports avec son objet » (PE, p. 54)). Ainsi la défend-il en montrant que les frères van Velde apportent des réponses originales aux dilemmes de la peinture moderne. La conclusion entérine cette originalité grâce à une métaphore stéréotypée : les van Velde auraient ouvert le « chemin en avant » (PE, p. 59) de la peinture moderne.
Cependant, la thèse de Beckett est prise à l’intérieur d’un discours humoristique : « Nous apprenons à l’heure qu’il est […] que l’École de Paris (sens à déterminer) est finie ou presque » (PE, p. 53). Le « nous » de modestie ainsi que la mention de l’heure participent d’un pastiche des journaux radiophoniques. Beckett développe le pastiche en proposant un calembour sur le double sens de l’expression « l’heure qu’il est ». Plutôt que de la prendre dans son sens large (« actuellement », « ces temps-ci »), il la prend en un sens restreint (« à telle heure »). Dès lors, Beckett précise le fuseau horaire (« méridien Greenwich ») qui détermine l’heure qu’il est lorsqu’il écrit. De fait, l’heure du lectorat parisien23 connaît un décalage horaire d’une heure sur le méridien de Greenwich. L’utilité de définir le fuseau horaire ne se comprend que si le lecteur peut deviner « l’heure qu’il est » pour l’énonciateur en prenant simplement en compte les effets de décalage horaire. En apportant cette précision, Beckett suggère donc à ses lecteurs que l’énonciation de son texte est synchronisée avec sa réception, comme c’est le cas dans l’annonce radiophonique. Ce pastiche de discours journalistique permet de tourner en dérision la solennité – déjà moquée dans « Le Monde et le pantalon24 » – des discours sur l’art contemporain. Beckett jette ainsi le trouble sur le sérieux de son entreprise. Le lecteur sensible aux jeux de mots et au ton ironique de l’auteur est en droit de se demander si « Peintres de l’empêchement » est une critique d’art ou une parodie de critique d’art.
En somme, la poétique beckettienne offre au lecteur deux possibilités. Soit il prend au sérieux ce qu’il lit et se laisse « couillonner à [lire] sur l’art » (PE, p. 58). Soit il considère les écrits de Beckett comme parodiques et discrédite ses réflexions sur l’art. Pour le lecteur, c’est « prendre ou être pris ». C’est faire échouer la portée critique du texte, ou consentir à un effort intellectuel voué à l’échec. La lecture semble donc comme un point nodal du dispositif d’échec mis au point par Beckett.
3. Esthétique de l’empêchement
C’est pourquoi, après avoir étudié la mise en œuvre poétique de l’empêchement, j’aimerais en examiner les conséquences esthétiques. Si, comme je le pense, la critique de Beckett est une « critique créative », qui prolonge par l’écriture le geste déceptif de la peinture contemporaine, il faut considérer que les textes à l’étude visent à produire sur le lecteur un effet analogue à celui des tableaux sur Beckett lui-même. L’expérience cognitive et affective que Beckett fait des tableaux informe son écriture autant qu’elle conditionne une expérience de lecture.
La dépression du spectateur
Les trois articles critiques de Beckett mettent en avant une expérience subjective des œuvres. « Le Monde et le pantalon » est placé sous le signe du plaisir25, « Peintres de l’empêchement » sous celui du trouble26 et « Trois dialogues » se referme sur une image de la dépression (TD, p. 30). Pour Beckett, l’art s’éprouve plutôt qu’il ne se pense. Chaque article pourrait alors être lu comme la transcription d’une réaction face à l’art contemporain. À travers ces articles, Beckett narrerait les évolutions progressives de ses impressions. Ainsi, le plaisir de la première rencontre laisse place à l’inquiétude de la seconde, elle-même supplantée par le désespoir de la dernière. On pourrait également voir dans chaque article la trace d’un psychodrame. Chaque article mettrait alors en scène le passage du plaisir de la sensation immédiate à l’errance désespérante de la pensée à laquelle condamnent des œuvres sans objet. C’est sous l’angle de cette narrativité interne à chaque article que je propose de lire « Trois dialogues ».
Au fil des dialogues, en effet, la frustration du locuteur « B. » apparaît de plus en plus marquée. Certes, le premier dialogue s’ouvre sur des prises de parole dont le rythme syncopé, permis par des tournures adverbiales, traduit une urgence à dire. En ce début de dialogue, Beckett met en scène un locuteur plus soucieux d’exprimer un souhait, de se « réfugier dans [son] rêve », que de se soumettre au débat. Ainsi, lorsque « D. » reproche à « B. » ce « point de vue violemment externe et personnel, qui [n’aide] en rien au sujet de Tal Coat », ce dernier se terre dans le silence qu’un blanc typographique signale. Le plaisir du locuteur beckettien se heurte à l’impossibilité de son universalisation. La représentation de cette frustration première est redoublée par la mise en scène de la tristesse de « B. » à l’aide de didascalie. Après la dernière protestation de « D. », « B. » « sort en pleurant à chaudes larmes » (TD, p. 22. En italique dans le texte). De cette manière, Beckett met en scène les effets psychologiques produits par l’expérience des œuvres de Tal Coat, Masson et Bram van Velde. L’extase produite par le geste novateur de ces artistes a pour contrepartie un sentiment d’insatisfaction causé par la difficulté d’expliquer ce geste en une pensée rationnelle et partageable.
Progressivement, l’insatisfaction engendre la dépression :
Je n’ignore pas qu’il ne nous manque plus maintenant, pour amener cette horrible affaire à une conclusion acceptable, que de faire de cette soumission, de cette fidélité à l’échec, une nouvelle occasion, un nouveau terme de rapport, et de cet acte impossible et nécessaire un acte expressif, ne serait-ce que de soi-même, de son impossibilité, de sa nécessité. Et, ne pouvant aller jusque-là, je sais que je me place, et avec moi peut-être un innocent [Bram van Velde], dans ce qu’on appelle encore, si je ne me trompe, une situation peu enviable, familière aux psychiatres. Qu’est-ce en effet que cette surface colorée qui n’était pas là avant ? Je ne sais pas, n’ayant rien vu de pareil. Cela semble sans rapport avec l’art, en tout cas si mes souvenirs de l’art sont exacts. (TD, p. 30)
À la fin de « Trois dialogues », « B. » fait état d’un « manque » impossible à combler. Ce manque est creusé par l’impossibilité pour le spectateur de donner un sens ou une référentialité aux œuvres de Bram van Velde. L’expérience de l’œuvre n’est pas compatible avec l’idée pourtant rationnelle selon laquelle l’art est nécessairement expressif. Si, comme le dit Beckett, ses tableaux n’ont strictement aucun objet alors le spectateur ne peut que les regarder comme des « surfaces colorées » que ni la raison ni l’imagination ne peuvent appréhender. Le regard du spectateur est condamné à errer, sans but, sur le tableau. Ainsi, « cette peinture solitaire, solitaire […] de la solitude qui tend les bras » (MP, p. 45) place le spectateur – Beckett – dans cette « situation peu enviable, familière au psychiatre » qu’est la dépression27. Le terme dépression doit ici se comprendre dans le double sens du terme. En effet, la dépression du spectateur consiste à la fois en un sentiment de chagrin écrasant (sens psychiatrique) et en une impression de vide, de manquer d’air (sens physique). Pour le spectateur, les deux sens sont indistincts : le chagrin est causé par un manque irrémédiable de signification.
À la solitude du peintre sans objet répond donc la dépression du spectateur sans référent. Or, cette angoisse face à l’œuvre informe l’écriture de Beckett qui, à son tour, conditionne l’expérience de lecture. Il faut donc penser que la dépression du critique-spectateur engendre celle du lecteur.
La dépression du lecteur
De cette façon, si l’empêchement concerté de la critique d’art est une manière de mimer l’empêchement du peintre, il est surtout une façon de programmer celui de la lecture. L’écriture de Beckett doit donc être pensée comme le balisage d’un parcours de lecture déceptif.
« Le Monde et le pantalon » se joue par exemple des attentes génériques du lecteur grâce à un dispositif paratextuel piégeux. Lorsqu’il paraît pour la première fois, l’article porte le titre : « Les Peintres van Velde ou le monde et le pantalon ». Le titre est précédé d’une épigraphe qui explicite le titre en dévoilant la blague d’où il a été tiré. Avant de commencer la lecture du corps du texte, le lecteur de 1945 peut donc formuler deux attentes : soit il s’agit d’un texte sérieux présentant l’œuvre de deux frères ; soit il s’agit d’un texte parodique sur les liens entre la cosmologie et la fabrication textile. Si l’ambivalence du titre a pu être levée par la publication dans une revue intitulée Cahiers d’art, elle est reconduite dans la première phrase : « Pour commencer, parlons d’autre chose, parlons de doutes anciens, tombés dans l’oubli » (MP, p. 9). L’expression inaugurale rejoue ainsi toutes les ambiguïtés du dispositif paratextuel. « Parlons d’autre chose » peut vouloir dire « parlons d’autre chose que de l’art dont ces Cahiers traitent », comme « parlons d’autre chose que d’humour et de théologie, ce dont traite l’épigraphe ». L’épanorthose, pour sa part, ne clarifie pas l’énoncé : « les doutes anciens » font-ils référence aux considérations théologico-métaphysiques moquées dans l’épigraphe, ou renvoient-ils aux tonalités méditatives d’un discours sur l’art ? Le lecteur est invité à adopter une posture dubitative. À la question « qu’est-ce que cette surface [écrite] » (TD, p. 30), il doit répondre, comme Beckett face aux tableaux de Bram van Velde, « je ne sais pas, je n’ai jamais rien vu de pareil » (Ibidem). En déstabilisant ses repères paratextuels, le texte guide paradoxalement l’errance du lecteur. Puisque ni l’hypothèse du canular ni celle de la critique d’art ne peuvent être ni validées ni invalidées, les attentes du lecteur sont condamnées à être déçues. L’expérience de lecteur est une expérience de frustration.
D’insatisfaction en insatisfaction, le lecteur est livré à la dépression. On l’a vu, ce qui achève de déprimer « B. » dans « Trois dialogues » est le sentiment d’une inadéquation entre son expérience des œuvres et les possibilités de son langage méta-artistique. Or, c’est à une inadéquation comparable que le lecteur est confronté lorsqu’il constate que le discours méta-textuel lui-même ne permet pas de rendre compte de son expérience de lecture. La frustration du lecteur tient donc au double empêchement des textes qui ne sont porteurs, ni d’un message critique et ni d’un message réflexif.
En effet, le langage beckettien échoue à produire un discours méta-textuel. Si Beckett n’a de cesse d’affirmer le caractère répétitif de son argumentation, la lecture de ses textes invite à nuancer, voire à récuser ce propos. Ainsi au début de « Peintres de l’empêchement » peut-on lire « J’ai dit tout ce que j’avais à dire sur la peinture des frères van Velde dans le dernier numéro des Cahiers de l’art » (PE, p. 49). De même, dans « Trois dialogues », « D. » somme « B. » d’« énoncer encore une fois, et aussi simplement que possible, la situation et l’acte que vous pensez être les siens [ceux de Bram van Velde] » (TD, p. 23. Je souligne). Par ces deux phrases, Beckett suggère que l’ensemble de sa pensée a été formulé dans « Le Monde et le pantalon », et qu’il ne fait que la répéter. Cependant, à force de reformulations, les thèses défendues se transforment, au point que le lecteur est bien en peine de superposer les théories développées dans chaque essai.
Ainsi, dans « Le Monde et le pantalon », « A. van Velde peint l’étendue. G. van Velde peint la succession » (MP, p. 35). Dans « Peintres de l’empêchement », Geer van Velde est un artiste de « l’empêchement-objet » (PE, p. 57) et Bram van Velde est un artiste de « l’empêchement-œil » (Ibidem). Dans « Trois dialogues », Bram van Velde est « le premier à se soumettre entièrement à cette incoercible absence de rapport qui lui vaut l’absence de termes » (TD, p. 29). Si, dans tous les cas, Beckett réfléchit aux relations de la peinture des van Velde avec leur objet, les relations décrites ne sont pas les mêmes d’un article à l’autre.
D’abord, Beckett défend l’idée d’une peinture « transcendantale28 ». Abraham et Gerardus van Velde représentent les conditions de possibilité de l’objet, c’est-à-dire les catégories subjectives (l’espace et le temps) à partir desquelles l’humain le perçoit. Dans le deuxième article, Beckett retourne sa thèse : les frères van Velde peignent précisément ce qui empêche la représentation de la chose en objet. Ce faisant, Beckett ne rompt pas totalement le fil de la réflexion qu’il développe dans son premier article, car le temps et l’espace font partie de ces « empêchements ». C’est parce que le sujet ne peut voir la chose hors du temps et de l’espace qu’il est condamné à ne pas voir le monde tel qu’il est. En revanche, la distribution des rôles au sein de la fratrie n’est plus la même que dans « Le Monde et le pantalon ». Il n’y a plus d’un côté le peintre du temps et de l’autre celui de l’espace : il y a celui qui peint le temps et l’espace comme catégorie du sujet (« empêchement-œil »), le kantien ; et celui qui peint le temps et l’espace comme des catégories du réel (« empêchement-objet »), l’héraclitéen29. Dans le dernier article, Beckett décrit un Bram van Velde soumis à l’empêchement de l’expression : sa peinture ne représente rien, ni l’objet, ni la chose, ni même la condition de représentation de l’objet. Sa peinture ne peint plus, comme dans « Peintres de l’empêchement », le « refus d’accepter comme donnée le vieux rapport sujet-objet » (PE, p. 58), elle se « soume[t] entièrement à cette incoercible absence de rapport » (TD, p. 29). Si comme le lui suggère Beckett, le lecteur cherche à retrouver dans « Peintres de l’empêchement » et dans « Trois dialogues » la reformulation des thèses du premier article, il constate que la répétition annoncée est en fait une variation. Le lecteur doit se rendre à l’évidence : ce que disent les textes de la peinture n’est pas moins sujet à caution que ce qu’ils disent d’eux-mêmes.
Ainsi, comme les œuvres de Bram van Velde, la critique de Beckett tend à échouer dans l’expression comme dans la réflexivité. Comme ces œuvres, elle produit « cette impression de chose dans le vide » (TD, p. 26), cette impression de vide : elle programme la dépression du lecteur.
En définitive, les trois premières critiques d’art de Beckett sont des « critiques créatives », car elles ne visent pas seulement un discours réflexif sur les peintres, mais elles prolongent également leur geste créatif dans l’écriture. Ce prolongement se réalise sous trois formes. D’abord, l’empêchement que Beckett perçoit dans les œuvres imprègne et entrave son entreprise théorique. Ensuite, le mimétisme de Beckett prend la forme d’une écriture hésitante et distanciée qui porte atteinte à l’élaboration d’un sens. Enfin, ses textes construisent une expérience de lecture en miroir de l’expérience qu’il fait des tableaux. Bien que Beckett récuse la subordination ekphrastique de son écriture aux tableaux, ses œuvres critiques sont traversées par la volonté d’établir une correspondance existentielle entre la page et la toile. Lire la page et voir la toile apparaissent comme deux faces d’une même expérience. Dès lors, plutôt que d’y déceler une réflexion sur l’écriture, lisons dans ces critiques une confrontation à l’innommable, une expérience initiatique de laquelle émerge une conception singulière de ce que l’art – et, sans doute, la littérature – peut être.
Bibliographie
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Roland Barthes distingue « écriture intransitive » et « écrivance ». Voir Barthes Roland, « Écrivains et écrivants, Essais critiques (1964) », in Oeuvres complètes, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p. 1277‑1282↩︎
-
Gérard Genette, « Fiction ou diction », Poétique, Vol. 134 / 2, 2003, p. 131‑139, p. 135.↩︎
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Il s’agirait de méditations méta-poétiques dans lesquelles se refléterait « la conception que Samuel Beckett s’était forgée de l’écriture et de son art en tant qu’écrivain ». Edith Fournier, « Préface », in Samuel Beckett, Trois dialogues, Paris, Éditions de Minuit, 1998, p. 9.↩︎
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Nathalie Kremer, Traverser la peinture: Diderot-Baudelaire, Vol. 424, Leiden, Boston, Brill Rodopi, 2018, (« Faux Titre »), p. 9.↩︎
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Ibidem.↩︎
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Kremer, Nathalie, Traverser la peinture, op. cit., p. 9.↩︎
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Charles Baudelaire, « “À quoi bon la critique ?”, Salon de 1846 », in Oeuvres complètes, Vol. 2, Paris, Gallimard, 1976, (« Bibliothèque de la Pléiade »), p. 418.↩︎
-
Samuel Beckett, « Le Monde et le pantalon [1945] », in Le Monde et le pantalon, suivi de Peintres de l’empêchement, Paris, Éditions de Minuit, 2010. (Abrégé MP). Première publication en 1945 dans Cahiers d’art.↩︎
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Samuel Beckett, « Peintres de l’empêchement [1949] », in Le Monde et le pantalon, suivi de Peintres de l’empêchement, Paris, Éditions de Minuit, 2010. (Abrégé PE). Première publication en 1948 dans Derrière le miroir.↩︎
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Samuel Beckett, op. cit. (Abrégé TD) Première publication en 1949 dans Transition Forty-Nine.↩︎
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Pour écrire cet article, Beckett s’est librement inspiré de ses échanges avec Georges Duthuit, désigné par la lettre « D » dans le texte. Beckett est désigné par la lettre « B. ».↩︎
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La manière dont Beckett mobilise la philosophie de Berkeley, Kant, Hegel et Heidegger pour penser cette question dans « Le Monde et le pantalon » a été analysée dans Danièle de Ruyter-Tognotti, « LE MONDE ET LE PANTALON : Miroir de la poétique beckettienne », Samuel Beckett Today / Aujourd’hui, Vol. 2, 1993, p. 111‑123, p. 113‑116↩︎
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L’idée d’une mise à l’épreuve de l’écriture dans l’activité critique m’est suggérée par un article de Pierre Vilar. Cependant, Vilar parle de l’épreuve que constitue le genre de la critique d’art, tandis que je pense avant tout à l’épreuve que constitue le tableau comme autre de l’écriture. Voir Pierre Vilar, « Un pantalon cousu de fil blanc : Beckett et l’épreuve critique », Études françaises, Vol. 42 / 2, 2006, p. 85‑102↩︎
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Cf. Gilles Deleuze, L’Épuisé, Paris, Éditions de Minuit, 1992, (« Théâtre »)↩︎
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En littérature, ce topos trouve sa formulation la plus radicale dans les années 1960-1970, avec les théories structuralistes et les théories de la déconstruction. Dans les années 1940, la réception de la phénoménologie heideggérienne par les auteurs français prépare ce fantasme de l’écriture littéraire comme négation du référent. Que l’on pense à La Nausée de Sartre ou à Thomas l’obscur de Blanchot, le thème du néant, comme horizon de l’existence et de l’art, imprègne l’imaginaire littéraire de cette époque. Voir Jean-Paul Sartre, La nausée, Paris, Gallimard, 2008, (« Folio », 805) ; Maurice Blanchot, Thomas l’obscur, Paris, Gallimard, 2005, (« L’imaginaire »))↩︎
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Danièle de Ruyter-Tognotti, op. cit., p. 119.↩︎
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Ibidem.↩︎
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Ibidem.↩︎
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Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat et René Rioul, Grammaire méthodique du français, Paris, PUF, 2009, (« Quadrige »), p. 376.↩︎
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« Le client : Dieu a fait le monde en six jours, et vous, vous n’êtes pas foutu de me faire un pantalon en six mois. / Le tailleur : Mais, monsieur, regardez le monde, et regardez votre pantalon. » (MP, p. 9).↩︎
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Pierre Vilar, op. cit., p. 85.↩︎
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Ibidem. Pierre Vilar propose cette hypothèse pour la mettre à distance et redonner au texte de Beckett le statut de critique d’art.↩︎
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« Le Monde et le pantalon » paraît pour la première fois dans une revue parisienne (Cahiers d’art) à l’occasion de deux expositions des van Velde à Paris en 1945.↩︎
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Voir les attaques contre les critiques d’art analysées dans la première partie de cet article.↩︎
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Cf. Les réflexions liminaires de Beckett sur le plaisir de l’amateur d’art que j’ai commentées dans la première partie de cet article.↩︎
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« La peinture moderne est déjà assez troublante en elle-même sans qu’on veuille la rendre plus troublante encore. » (PE, p. 49).↩︎
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Dans la perspective psychanalytique d’Évelyne Grossman, l’objet absent de la peinture est une métaphore qui renvoie au motif de l’abcès – du trou – dans lequel « [elle] verrai[t] volontiers […] un avatar de la sensation chez Beckett, un symptôme inscrit dans son corps et qui signe la relation complexe, entre douleur et jouissance, qu’il entretient avec le réel » (p. 26). Si, je souscris à l’idée que l’expérience de la peinture se donne à lire, chez Beckett, comme une expérience existentielle, je pense toutefois que la dimension négative, déceptive de cette expérience prime sur sa dimension érotique. Voir Evelyne Grossman, « Peinture et écriture », in L’esthétique de Beckett, Paris, SEDES, 1998, (« Esthétique »), p. 17‑28.↩︎
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Je choisis de faire une lecture kantienne mais d’autres lectures sont possibles, notamment hégéliennes. Voir Danièle de Ruyter-Tognotti, op. cit.↩︎
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Cf. « C’est la représentation de ce fleuve où, selon le modeste calcul d’Héraclite, personne ne descend deux fois. » (MP, p. 36).↩︎
Baptiste Lefils prépare actuellement l’agrégation de Lettres modernes. En parallèle, il élabore un projet de thèse qui porte sur les enjeux interprétatifs, cognitifs et fictionnels des récits adressés des XXe et XXIe siècles. Il s’intéresse particulièrement aux écrits d’Albert Camus, de Pierre Michon, d’Olivier Rolin, d’Éric Chevillard et de Tanguy Viel. Avant cela, il a réalisé un mémoire de Master intitulé « Écriture et rêverie dans Notre-Dame-des-Fleurs de Jean Genet et Vies minuscules de Pierre Michon ». En outre, son intérêt pour la question des relations entre textes et images s’inscrit dans la continuité de travaux qu’il a menés sur les biographies d’artiste fictives dans la littérature contemporaine.
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