Psychanalyse du roman La Classe de neige d’Emmanuel Carrère
Diego Cantú Patiño, 3e cycle, Université de Montréal
Résumé : Ni roman psychologique, ni thriller, ni conte fantastique, La Classe de neige d’Emmanuel Carrère est tout cela à la fois et bien plus : l’œuvre est avant tout la fable tragique du jeune Nicolas dont le destin semble scellé d’avance, et cela, dès les premières pages. Le récit est le sien, raconté à travers ses yeux, mêlant son intimité psychologique à la matière diégétique du roman à tel point qu’il se soupçonne, lui-même, d’avoir influencé le réel par le biais de son imagination. Notre lecture psychanalytique de ce roman dévoile la configuration archétypale particulière de ses personnages et de ses épreuves initiatiques qui aboutit en une logique tragique, elle-même héritée du domaine de l’inconscient collectif d’où proviennent toutes ces « choses sans nom ».
Introduction
Moment de vulnérabilité extrême, tant physique que psychologique, l’enfance constitue un état de conscience primitif où le sujet psychique se découvre et se construit. Les contes destinés aux enfants dépeignent ce processus à travers une langue imagée et métaphorique, qui prépare les plus jeunes à la découverte de leur propre monde psychique, notamment à l’orée du sommeil. Littérature et inconscient sont ainsi peuplés de choses heureuses… et de choses sans nom, dont l’horreur peut parfois dépasser le réel et la fiction.
La Classe de neige d’Emmanuel Carrère fait le récit de ces choses sans nom. « Un livre insaisissable1 » aux yeux de la critique, ni thriller, ni roman psychologique, ni conte fantastique, il en reprend les caractéristiques pour montrer « l’horreur du monde2 » à travers une tragédie qui s’amorce dès les premières pages. La dimension psychologique, peu pensée par les quelques études qui l’ont abordé, est l’objet de notre analyse : nous considérons ainsi La Classe de neige comme un roman de l’inconscient dont l’intrigue obéit aux dynamiques de divers mécanismes psychiques et suit, de ce fait, une logique (presque) prévisible. Puisant dans les théories psychanalytiques de Sigmund Freud et Carl G. Jung, les travaux mythocritiques de Joseph Campbell et Mircea Eliade, et les travaux masculinistes de Robert Bly, Robert Moore et Douglas Gillette, notre étude se partage en quatre axes : les trois premiers s’attardent à mettre en évidence, respectivement, les archétypes, les motifs initiatiques et les mécanismes psychiques présents dans l’œuvre, tandis que le dernier résume la dynamique de ces éléments qui influence le cours de l’intrigue.
Histoire d’un roman
L’horrible conte
Cinquième roman de fiction d’Emmanuel Carrère, La Classe de neige paraît en 1995 et reçoit le Femina la même année3, avant d’être adapté en long-métrage par Claude Miller et l’auteur en 1998, salué par la critique4. Le récit suit Nicolas, enfant timide et solitaire de treize ans, doté d’une grande imagination, aux relations tendues avec son père, dont le métier nécessite de longs déplacements en voiture. Parti en classe de neige dans les Alpes avec son école, Nicolas demeure à l’écart du groupe : seul Hodkann, enfant turbulent et intrigant, lui témoigne une certaine amitié, tandis qu’un moniteur du chalet, Patrick, le prend sous son aile. La narration interne de Nicolas mêle cauchemars et rêveries au récit de cette épreuve initiatique qui lui fait découvrir son corps et sa sexualité. Or, quand le meurtre d’un garçon du hameau voisin, René, sème la terreur parmi les habitants du village et les élèves de la classe, un lien terrifiant s’établit entre cet incident, le père de Nicolas et une rumeur de trafic d’organes. Les micro-récits du jeune garçon précipitent alors les événements lorsqu’il partage l’une de ses fabulations à Hodkann : la terrible nature de son père se dévoile et condamne le fils.
L’œil critique
L’écriture de Carrère est connue pour brouiller les rapports entre réel et fiction : « ils ne se contaminent pas l’un l’autre de manière indistincte ; c’est, plutôt, l’imaginaire qui passe les bornes de la fiction pour anticiper ou comprendre un réel qui s’impose, mais échappe5. » Des études portant sur l’ensemble de l’œuvre de Carrère ont repéré ce procédé dans plusieurs de ses récits6. Dans La Classe de neige, c’est le monde psychologique de Nicolas qui semble prédire et devancer un destin aussi tragique qu’inévitable, qui pourrait pourtant se lire comme une matérialisation de ses peurs et de sa fascination pour la mort ; quelques études ont ainsi tenté d’interpréter les dynamiques narratives qui animent l’intrigue. Pour Marie-Pascale Huglo « [l]a narration romanesque, qui relie ici l’intériorité de Nicolas au monde qui l’entoure (l’effraie), est un dispositif capable de faire apparaître l’émergence de la rumeur avant même sa transmission effective7 ». Pour Éric Bordas, « La Classe de neige raconte la mutilation définitive d’un petit garçon victime du poids des secrets […] [qui] conservent leur formidable pouvoir de destruction, en jouant de l’opposition entre le présent du ressenti (tu) et le futur d’un à-vivre trop angoissant (à taire)8 ». Enfin, l’approche ethnocritique de Sophie Ménard invite à « penser la représentation du réel [dans ce récit] comme un bricolage de logiques culturelles qui disent certes la violence du monde, mais aussi la violence inhérente aux ratés de la socialisation9 ».
Le cadre psychanalytique
En prolongation de ces trois études, notre approche considère les micro-récits de Nicolas comme des manifestations de son monde intérieur qui, en conséquence, font de la diégèse du récit une matière psychologique où se manifestent, à travers plusieurs motifs et symboles, des archétypes issus de l’inconscient collectif, concepts issus de la psychanalyse jungienne. L’inconscient collectif constitue ainsi une strate additionnelle de l’appareil psychique, qui serait acquise dès la naissance ; alors que des complexes psychologiques occupent l’inconscient personnel, l’inconscient collectif est peuplé d’archétypes qui seraient des représentations collectives psychiques des instincts développés par notre espèce animale face à une situation donnée. Mythologiquement et culturellement, l’archétype est une représentation qui peut s’incarner dans les figures et les personnages de toute production culturelle : variable donc dans leur contenu, leur structure de base demeure intemporelle et transculturelle. Les archétypes se concrétisent lorsqu’ils émergent dans une œuvre d’art ou bien dans l’inconscient personnel d’un individu, ce qui génère un complexe ; ce processus se nomme coloration ou actualisation10.
Suivant la pensée de Jung, les analystes Robert Moore et Douglas Gillette, en proche collaboration du poète Robert Bly, développent dans les années 1990 un système quaternaire d’archétypes dits du masculin sacré/divin (mature masculine), présent dans toute psyché masculine11. La psyché du petit garçon (boy psychology) possède ainsi quatre archétypes dits immatures : l’enfant divin, l’enfant précoce, l’enfant œdipien et le héros ; avec la croissance du jeune garçon, tous évoluent vers une psyché adulte (man psychology) et leur correspondante mature : le roi, le magicien, l’amant et le guerrier12. Chaque archétype possède par ailleurs une ombre : chez Jung, le concept d’ombre remplace le ça freudien et renvoie à la totalité de l’inconscient personnel du sujet, sans connotation péjorative (l’ombre est donc l’inverse de la conscience)13. Chez Moore et Gillette, l’ombre est une entité psychique pleinement autonome, sorte de double négatif et pernicieux de l’égo qui « représente une condition psychologique qui n’a pas été intégrée ou qui n’est pas cohérente14 ». L’ombre de chaque archétype est une sorte d’alter-égo négatif, composée d’un pôle actif et d’un pôle passif, qui constituent chacun un archétype à part entière, d’où la dénomination de système d’ombre bipolaire15. La théorie de Moore et Gillette comprend donc près de 24 archétypes (une poignée parmi toutes les représentations qui peuplent l’inconscient collectif), présents dans tout appareil psychique masculin, mais dont la manifestation et l’intensité de chacun varie en fonction des contextes, des situations et du caractère de l’individu, plus enclin à manifester tel archétype plutôt qu’un autre. L’équilibre psychique du sujet dépend d’une manifestation équilibrée de la version lumineuse des quatre archétypes, par opposition à leur ombre16.
Le paysage psychologique de La Classe de neige
Jeunes en quête d’initiation
Le roman introduit une première palette de personnages en bas âge, dont le premier en tête est Nicolas, protagoniste et narrateur intra-diégétique du récit. Jeune garçon effacé, n’ayant qu’une faible agentivité dans le récit, il préfère se laisser diriger, dorloter et prendre en charge par les adultes et n’entretient que peu d’amitiés avec les garçons de sa génération. Cette mise à l’écart est en partie l’œuvre de ses parents : l’on apprend qu’ils préfèrent le garder à la maison pour le déjeuner, au lieu de le laisser socialiser à la cantine, de sorte que « […] chaque fois, quand sa mère le ramenait, c’était comme s’il avait été nouveau et devait reprendre à zéro les relations nouées le matin17 » (Cla, p. 4). Ignorant, voire inconscient, vis-à-vis de son propre corps et de sa sexualité, son imagination débordante et son avidité pour les histoires lui font voir le monde comme « un tissu de fables, un répertoire de schémas narratifs potentiels que la moindre alarme convoque18 ». Carrère construit un personnage qui, malgré son âge biologique, en raison de l’isolement dont il est victime, semble encore pris dans sa propre préhistoire de sujet psychologique, c’est-à-dire l’état d’infans qui précède l’acquisition du langage et que Jung définissait comme19
l’état enfantin de la conscience […]. C’est comme s’il n’était pas encore tout à fait né, mais qu’il était encore englobé par le corps psychique de ses parents. La naissance psychique, et celle de la différenciation consciente d’avec les parents, n’a normalement lieu qu’à la puberté, avec l’irruption de la sexualité. […] Jusqu’à ce que cette période soit atteinte, la vie psychique de l’individu est régie en grande partie par ses instincts, et peu voir aucun problème ne surgissent20.
Ce portrait révèle chez Nicolas, « enfant malade et capricieux » (Cla, p. 128), l’archétype de l’enfant œdipien comme entité dominante dans sa psyché, avec l’enfant précoce en second lieu, et les archétypes de leur ombre respective. Le système d’ombre de l’enfant œdipien se compose des archétypes de l’enfant à maman (pôle actif) et du rêveur (pôle passif) ; ce dernier manifeste notamment un caractère isolé, fragile et rêveur :
[Le rêveur] amène un garçon à se sentir isolé et coupé de toute relation humaine […] Il accomplit peu de choses et semble être renfermé et déprimé. La plupart du temps, ses rêves ont tendance à être mélancoliques. […] En vérité, ce caractère montre de façon détournée la déception du garçon de ne pas s’être emparé de la Mère21.
L’enfant précoce, quant à lui, « est à l’origine de notre curiosité et de notre instinct aventurier […]. Il nous pousse à être émerveillés par le monde extérieur et intérieur22 », caractère que semble manifester l’imaginaire foisonnant de Nicolas.
Hodkann, quant à lui, est présenté dès le début comme l’alter-égo inversé de Nicolas : « Il était aussi effacé et craintif que Hodkann était hardi et autoritaire » (Cla, p. 20). Le récit travaille à en faire un cas d’exception, comme Nicolas : surdéveloppé pour son âge, inspirant une crainte et un magnétisme inexplicable sur les autres enfants
[i]l protégeait et récompensait ses vassaux, mais aussi bien les disgraciait sans raison, les remplaçait par d’autres qu’il avait jusqu’alors dédaignés ou maltraités. Avec Hodkann, on ne savait jamais sur quel pied danser. On l’admirait et le craignait. Même les adultes semblaient le craindre : d’ailleurs, il avait presque la taille d’un adulte, la voix d’un adulte, sans rien de la gaucherie des enfants trop vite poussés. Il bougeait, parlait avec une aisance presque déplacée (Cla, p. 19).
De ce portrait ressort tout d’abord l’achétype de l’enfant divin (version immature du roi), particulièrement le pôle actif de son ombre, le petit tyran : « version sombre de l’enfant Jésus, il est le centre de l’univers et les autres n’existent que pour assouvir ses moindres désirs23. » Cependant, l’archétype du héros (version immature du guerrier) prédomine chez Hodkann, plus précisément le pôle actif de son ombre, le harceleur, dont « les stratégies sont calculées pour proclamer sa supériorité et son droit à dominer ceux qui l’entourent24 ».
Notons toutefois que cette catégorisation n’est pas fixe, dans la mesure où les variations des caractères des garçons, au fil du récit, traduisent une oscillation naturelle de leur appareil psychique entre les versions lumineuses de leurs archétypes et leur ombre respective. Nicolas et Hodkann sont de plus l’ombre l’un de l’autre en ce qu’ils sont l’inverse de ce qui manque à chacun, soit leurs archétypes respectifs qui, ensemble, complètent le système quaternaire de la psyché masculine immature. Relevons enfin un dernier personnage : le petit René, dont les circonstances de son assassinat par le trafiquant d’organes, au chapitre 12, nous portent à l’associer à l’archétype de l’enfant divin.
Mentors et prédateurs
Du côté des adultes, deux personnages répliquent la configuration de Nicolas et Hodkann : le père du premier et Patrick, le moniteur du chalet. Le père de Nicolas est une figure dont « [l]e profil et [la] nuque exprimaient le souci, une fureur amère et butée » (Cla, p. 11) ; autoritaire et castrateur, il incarne l’archétype du tyran (pôle actif de l’ombre du roi), ainsi que celui du sadique (pôle actif de l’ombre du guerrier) :
Le tyran déteste, craint et envie toute forme de nouvelle vie qu’il perçoit comme une menace envers la mince emprise qu’il a sur sa propre royauté. […] S’il était solidement ancré dans son propre pouvoir générateur et dans son ordre intérieur – ses structures du soi – il serait enchanté par la naissance d’une nouvelle vie dans son royaume25.
Dans ses autres apparitions, ses interventions sont sèches et autoritaires, et ses décisions irrévocables : « il préférait conduire lui-même son fils au chalet. […] Tant pis, il avait décidé » (Cla, p. 13-14). Son emprise sur Nicolas est même physique : « il lui [Nicolas] jeta un coup d’œil menaçant et lui mit la main en étau sur la nuque pour le faire avancer. » (Cla, p. 33) Ce geste revient dans un autre souvenir : « Un jour, il demanda à Nicolas d’approcher […]. Il lui entoura la nuque de sa main, serra un peu. C’était pour montrer son affection, mais cela faisait mal et Nicolas tourna doucement le cou pour se dégager » (Cla, p. 36).
Patrick en est tout l’inverse : « c’est la séduction décontractée d’un beau garçon sans histoire et sans secret, d’une pure surface chaleureuse26. » Protecteur et attentionné, tout en sachant rester ferme, il manifeste les archétypes du roi et de l’amant dans leurs versions lumineuses : « En conjonction avec sa fonction d’organisation, l’énergie du roi manifeste comme deuxième bien vital la fertilité et la bénédiction […]. Le bon roi a toujours su mettre en avant ceux qui le méritaient27. » L’archétype de l’amant, quant à lui, est source d’érotisme, de créativité et de spiritualité au sein de la psyché et manifeste une « énergie masculine […] tendre, douce, nourricière et attentionnée à sa façon28 ». Le récit, qui n’est autre que le regard de Nicolas, ne peut s’empêcher de remarquer la beauté physique du jeune homme : « sa queue de cheval, son visage allongé aux yeux très bleus, sa façon détendue de bouger et de plaisanter. » (Cla, p. 54) Au fil des chapitres, Patrick ne cesse de bénir Nicolas en le reconnaissant, en le soutenant et en l’encourageant, tout d’abord en lui offrant un bracelet brésilien et, par métonymie, le vœu que Nicolas formule à son intention (chapitre 4). Lorsqu’il l’accompagne acheter de nouveaux vêtements, il le place sur le siège conducteur au cours du trajet (chapitres 10 et 11), en position d’égal, et lui fait découvrir « un rapport à la musique qu’il ignorait, à travers un médiocre appareil29 », expérience sensuelle qui l’introduit au monde créatif et coloré de l’archétype amoureux, dont son père l’avait toujours privé : « [à] la télévision, ce genre de musique incitait ses parents à baisser le son, mécontents. » (Cla, p. 50) Patrick sauve même son protégé d’une hypothermie, à la suite d’une fugue nocturne (chapitre 16), et le soigne avec tendresse pendant sa première convalescence (chapitres 17 et 18), avant de le ramener à la maison après la révélation finale (chapitres 28 à 31). Figure paternelle positive en contraste avec son propre père et modèle de masculinité, le jeune moniteur suscite plusieurs sentiments chez le petit garçon, qui vont de l’admiration à une forme d’énamourement : « [il] aurait voulu […] plus tard, ressembler à Patrick : aussi bon conducteur, aussi à l’aise, aussi souverainement libre de ses mouvements. » (Cla, p. 51) Notons aussi que l’opposition entre Patrick et le père de Nicolas est plus marquée qu’entre ce dernier et Hodkann : là où ressort une certaine complémentarité psychique entre les deux garçons, qui mènerait à un développement mutuel bénéfique, il n’y a qu’antagonisme entre les adultes d’où émanent des pulsions psychiques contraires, l’une de mort (thanatos) et l’autre de vie (eros).
En dernière instance, notons que les personnages féminins sont pour la plupart relégués au troisième plan : la maîtresse, Marie-Ange et la mère de Nicolas interviennent faiblement au cours du récit dans lequel elles n’ont que peu d’agentivité. Seule une femme semble manifester un archétype ancien : la femme de la station-service dans laquelle s’arrêtent Patrick et Nicolas, au chapitre 30, en route pour ramener le garçon chez lui. Comparée à la Fée Bleue de Pinocchio par le garçon, cette apparition est d’une « douceur enveloppante, magique, presque insoutenable. Elle était belle : précieuse, douce et belle. […] [Son regard] l’enveloppait tout entier de cette tendresse céleste qui émanait d’elle » (Cla, p. 143). La vive jalousie qu’éprouve Nicolas face à l’amant de cette femme (« Jamais de sa vie Nicolas n’avait haï quelqu’un ainsi, pas même Hodkann », Cla, p. 145) s’apparente à une réaction œdipienne qui nous conduit à l’identifier à l’archétype de la mère, dans sa version lumineuse, dont « les qualités qui lui sont associées sont la maternité et l’empathie, l’autorité surnaturelle du féminin, une sagesse et une exaltation spirituelle qui transcendent la raison, un instinct altruiste, et tout ce qui chérit, soutient, maintient et cultive la vie30 ».
Un microcosme (bi)polaire
Le cadre hivernal du roman peut lui-même se lire comme la combinaison de deux espaces psychiques : les mondes extérieur et intérieur. L’intérieur est avant tout incarné par le chalet, protecteur et bienveillant, c’est le monde utérin de la mère, et donc de l’inconscient. L’extérieur renvoie à la montagne, glaciale, vide et blanche, où rôde l’ombre du prédateur pédophile, c’est le monde phallique du père et de la conscience. Cependant, cette première lecture doit tenir compte du contexte de la classe de neige comme « hétérotopie initiatique, qui relève d’un script culturel scolaire du XXe siècle. Elle est un espace-temps, mi-didactique, mi-sportif, où les garçons font l’expérimentation de leur virilité31 ». Or, toute initiation, telle que conçue par Moore, Gillette et Bly, nécessite un espace sacré et un initiateur, afin de séparer les jeunes garçons de ce même monde utérin (et notamment de leur famille) et préparer leur transition dans l’âge adulte, sous la supervision d’un homme ayant fait l’expérience de l’initiation et pouvant, à son tour, guider les néophytes dans cette transformation. De ce fait, le chalet se resignifie en espace sacré d’une micro-société masculine qui contraste avec la nature féminine de la montagne. La configuration des espaces, comme celle des archétypes, dévoile ainsi un paysage (bi)polaire dont les significations mythologiques sont aussi fluides que l’opposition (poreuse) entre le monde psychologique de Nicolas (la fiction) et la diégèse du récit (le réel).
L’échec initiatique du petit Nicolas
À la fois récit et rite initiatique, La Classe de neige convoque une structure mythologique classique : départ/séparation, initiation, retour. Chaque étape comporte une série de motifs initiatiques, dont l’ordre et la manifestation varie dans les mythes fondateurs cosmogoniques qui constituent, au sein de leur culture, des guides d’initiation32. Nicolas le pressent lui-même : « la classe de neige allait être une épreuve terrible. » (p. 20) Cependant, dès la phase de séparation et l’appel à l’aventure aux chapitres 1 et 2, le processus est entravé par son père : « [l]e père de Nicolas dit alors, assez brusquement, que le principal objectif de l’école n’était pas, selon lui, de couper les enfants de leur famille. » (Cla, p. 13) En opposition directe avec la logique de l’initiation, le père prive Nicolas d’une première épreuve, celle du franchissement du seuil de l’aventure, qui devient le trajet de 400 km pour se rendre au chalet, et creuse l’écart avec ses camarades masculins.
Arrivé à destination (chapitre 3), le garçon fuit l’emprise paternelle : « [i]l espérait seulement que son père ne reviendrait pas, que la classe de neige continuerait ainsi, tous les jours comme ce jour, et que sa fièvre durerait. » (Cla, p. 89) À la place d’intégrer le chalet comme un espace de défi et de transformation, Nicolas s’y réfugie comme dans les bras d’une mère protectrice, suivant l’instinct de l’archétype œdipien qui l’habite. Cet instinct transparaît dans le vœu que Nicolas formule auprès du bracelet brésilien offert par Patrick : « il pouvait, au point où il en était, demander que tout se passe bien pendant la classe de neige. Et pourquoi pas que tout se passe bien toute sa vie ? » (Cla, p. 23) Dans la dimension mythologique, Patrick fait office d’adjuvant dans la quête initiatique de Nicolas : le bracelet devient une amulette lui procurant une protection magique. D’autres objets symboliques, disséminés dans le roman, sont également pourvus d’une signification mythologique : le sac de Nicolas devient une balise attirant la menace paternelle (chapitres 3, 9 et 28) ; l’écorché des stations Shell (chapitres 1 et 12) devient son totem, auquel font écho les prothèses et les échantillons de son père (chapitre 5), annonciateurs du démembrement du petit garçon ; l’affiche du petit René (chapitres 19, 21 et 22) agit comme un porte-malheur33.
Au chapitre 13, un rêve érotique conduit Nicolas à sa première éjaculation. Terrifié, il fugue et se réfugie dans la voiture de Patrick où il s’endort et risque une hypothermie. La séquence mobilise trois motifs initiatiques : d’abord, la violence du rêve érotique rappelle le démembrement (en soi omniprésent dans le récit), auquel fait suite le voyage nocturne au cœur d’un monde glacial et mortifère qui ouvre le passage à l’inframonde sous forme d’un regressus ad uterum (retour à la matrice originale), lorsque la fièvre que déclenche l’escapade (chapitres 17 et 18) plonge Nicolas dans un état embryonnaire qu’il ne veut plus quitter :
Il aimait être malade, avoir de la fièvre […]. Il aimait ces bruits bizarres, bourdonnements, grésillements, dont il ne savait pas s’ils venaient du dehors ou de l’intérieur de son corps. Il aimait qu’on s’occupe de lui sans rien exiger […]. Il passa une journée merveilleuse, tantôt se laissant glisser dans la somnolence habitée de la fièvre, tantôt jouissant d’être éveillé, immobile, écoutant de son lit la rumeur du chalet sans être obligé d’y participer.x (Cla, p. 83)
L’involution du garçon est alors interrompue par la rumeur du trafic d’organes et le motif du corps démembré. La disparition de René (chapitre 19) conduit Nicolas à cette fameuse conversation avec Hodkann (chapitre 20) où il invente un récit qui cache, en vérité, un secret inconscient : son escapade devient une mission d’espionnage où il aurait aperçu un homme dans le parking, l’un des trafiquants d’organes traqué par son père afin de venger son petit frère à qui ils auraient pris un rein. Pendant ce bref moment de transmission et de performance de la rumeur, la « fabulation identificatoire34 » permet à Nicolas de devenir le héros archétypal de sa quête initiatique face à son alter-égo. Or, l’annonce de la mort de René (chapitre 21) dévaste Nicolas : « [l]eur conversation nocturne, ses propres inventions lui faisaient maintenant l’effet d’un crime, d’une participation inavouable, monstrueuse, au crime qui s’était déroulé pour de bon. » (Cla, p. 107) « Le récit de Nicolas agit sur la réalité : il en modifie d’abord la perception et désigne indirectement, pour finir, le véritable monstre : son père. Les fables se retournent contre celui qui les a diffusées […]35 ». C’est Hodkann qui fait alors preuve d’un véritable héroïsme (non fabulatoire) et parle à la police, trahissant le « secret romanesque36 » qui le liait à Nicolas et précipitant l’échec du processus initiatique de son camarade, qui devient le fils d’un prédateur.
Patrick se doit d’extirper Nicolas du chalet pour le ramener chez lui, au point de départ, rebroussant le schéma de l’initiation classique. La rencontre avec la Fée Bleue au chapitre 30 signe cet échec : même la maternité primordiale ne peut le sauver : « Nicolas comprit que dans cette minute allait se jouer sa vie. Il fallait qu’il parle à la fée. Qu’il lui dise de le sauver, de l’emmener avec elle là où elle allait. Il n’aurait pas à s’expliquer, il était sûr qu’elle comprendrait, qu’une phrase suffirait » (Cla, p. 144). Son mutisme le condamne au silence des marginaux et confirme son statut de « raté de la socialisation37 ». Le garçon est abandonné par tous ses adjuvants face à l’horreur triomphante : même le bon roi est vaincu par le tyran : « Patrick était réduit aux mêmes pauvres gestes que tout à l’heure, la main pressent l’épaule, le demi-sourire triste et affectueux » (Cla, p. 136). La protection magique conférée à son vassal s’effrite : « Le bracelet brésilien était tombé » (Cla, p. 145) ; et le récit se clôt sur l’échec de la bénédiction et l’impossibilité d’une rédemption : « Nicolas savait que la porte allait s’ouvrir, qu’à cet instant sa vie commencerait et que dans cette vie, pour lui, il n’y aurait pas de pardon. » (Cla, p. 148). Le silence du garçon, dernier rempart, l’enferme dans sa préhistoire psychique alors que son destin l’entraîne vers une « liminarité qui relève d’une désintégration individuelle et familiale38 ».
Corps masculins sans lendemain
Analphabétisme sexuel
L’échec initiatique est d’autant plus terrible qu’il empêche l’individu de mûrir sexuellement. Nicolas est, en effet, entièrement aliéné de son corps qui lui apparaît comme un « territoire mystérieux qui [s’étend] à l’intérieur d’eux-mêmes [les enfants] » (Cla, p. 59), qu’il semble à peine découvrir et contrôler comme l’indique l’énurésie dont il est victime, l’un de ses « pires cauchemars » (Cla, p. 18). L’exercice de méditation au chapitre 12, visant la prise de conscience du corps, suscite en lui une terrible angoisse : « Nicolas avait l’impression de haleter, de courir en tous sens à l’intérieur de lui-même, en se cognant aux cloisons. » (Cla, p. 60) Toutes ces fabulations identificatoires bouillonnent dans l’imaginaire de Nicolas et se lient à la trame narrative du récit, traduisant entre autres l’éveil sexuel du garçon qui, sans le savoir, a déjà eu des activités masturbatoires en fantasmant sur le conte de La petite sirène : « il jouait avant de s’endormir à être la petite sirène et de ses propres mains parcourait ses cuisses, […] c’était si doux, si triste, cette sensation, qu’il aurait voulu qu’elle dure toujours39. » (Cla, p. 74) Cette expérience contraste avec l’ignorance de Nicolas vis-à-vis de son propre sexe, « il n’aimait pas [le] nommer parce qu’aucun de ses noms ne lui semblait le vrai » (Cla, p. 72), et lui préfère une périphrase (« la chose sans nom », Cla, p. 116). Survient alors le rêve érotique du chapitre 13, qui met en scène une véritable union sexuelle avec Patrick, métaphorisée par le manège de la chenille du parc d’attractions évoquée dans un souvenir au chapitre 6 :
Il n’y aurait plus que cela dans la vie, […] la force centrifuge […] les collant l’un contre l’autre, très fort, et ce trou qui se creusait dans son ventre, l’aspirait de l’intérieur, se comblait un instant, se creusait à nouveau, fouillait de plus en plus loin, et le ventre de Patrick contre son dos, ses cuisses autour des siennes, son souffle dans son cou. (Cla, p. 66)
L’agitation provoque la première éjaculation de Nicolas, phénomène nouveau et inconnu : « il avait peur. Il n’osait ramener la main vers son visage, approcher de sa bouche […] cette substance gluante, cette sécrétion de méduse qui était sortie de lui. » (Cla, p. 68) Apeuré, il fugue et s’enferme instinctivement dans la voiture de Patrick, lieu symbolique qui se substitue au personnage (source du rêve érotique), et donne au garçon un espace sécuritaire pour explorer sa sexualité en convoquant le souvenir de la Petite sirène. Une deuxième expérience homosexuelle se manifeste ensuite dans l’attraction de Nicolas envers Hodkann, d’abord dans le fantasme d’une conversation intime, au chapitre 8 : « il imaginait leurs chuchotements, la proximité du grand corps chaud de Hodkann. […] Des larmes coulaient sur ses joues, il posait sa tête si fière sur les genoux de Nicolas et Nicolas caressait ses cheveux. » (Cla, p. 39) Puis dans la réalisation de cette même conversation, au chapitre 26 : « debout, pressé contre la poitrine de Hodkann qui continuait à lui caresser les cheveux et répétait doucement son prénom, il sentait la chaleur de son corps immense […] d’où seule saillait cette chose dure et sans nom qui se pressait contre son ventre » (Cla, p. 124). En amont de l’intimité désirée, Nicolas (en passif) souhaite dominer Hodkann (son actif) et inverser la configuration archétypale. Or, quand la conversation survient, la rumeur partagée a déjà précipité la tragédie du récit et « [l]a tendresse sincère de Hodkann se heurte à une castration définitive40 ».
Dans sa découverte sexuelle, Nicolas semble donc manifester une orientation homosexuelle, voire bisexuelle, que notre système jungien pourrait expliquer comme suit : l’archétype de l’enfant œdipien domine la psyché du garçon, équivalent du pervers polymorphe de la théorie freudienne, deux concepts qui renvoient à une énergie archétypale primitive qui pousse l’individu masculin vers l’osmose psycho-sensorielle avec le monde – tentative d’union avec l’archétype maternel – et qui peut pousser le sujet à l’expérimentation sexuelle pendant sa jeunesse. Lorsque l’archétype évolue en celui l’amant, ce dernier dénote un caractère tendre qui peut paraître efféminé, bien qu’il ne soit qu’un aspect particulier de l’énergie masculine mature41. Ainsi, la sensibilité de Nicolas serait une conséquence directe de cet archétype et son attirance envers Patrick et Hodkann s’expliquerait par l’attraction magnétique qu’exercent les archétypes qu’ils manifestent sur sa psyché. En quête d’évolution, celle-ci chercherait à intégrer ces éléments positifs et lumineux dans son propre système pour se compléter, se renforcer et contrer la menace paternelle, comme un organisme qui tente d’assurer sa survie. Si l’on superpose la lecture d’une romance homosexuelle, proposée par Éric Bordas, rappelons que Jung considérait l’homosexualité comme le résultat non pathologique d’une sur-identification de l’homme à l’archétype de l’anima, soit la part contra sexuelle propre à toute psyché masculine, comme en atteste l’épisode masturbatoire de Nicolas : le jeune garçon s’identifie à la petite sirène et jouit d’être elle, et non d’elle42. Son admiration envers Patrick et Hodkann tiendrait donc d’un amour romantique, conjugué à son désir de liberté pour échapper à son père. L’amour se réalise alors à travers deux accouplements : l’un réel avec Hodkann, alors que la castration est imminente, l’autre symbolique avec Patrick, qui inverse et contre ce motif puisque Nicolas (en passif) reçoit en lui le pouvoir archétypal de la figure royale et amoureuse, à travers la figure d’un jeune homme accompli et rayonnant, qui plus est en transgressant l’interdit paternel du parc d’attractions.
Thanatos : morbidité macabre et démembrement
Nous évoquons le complexe de castration qui, dans son acception freudienne, renvoie à l’angoisse que ressent le jeune garçon face à l’idée d’être privé de son phallus (retranchement qui expliquerait la différence sexuelle)43. Si l’imaginaire du corps morcelé et la découverte de la sexualité semblent convoquer ce complexe, c’est davantage la pulsion de mort (thanatos) qui se manifeste : une énergie psychique qui, dans sa forme la plus primitive (la pulsion de mort originelle) tend vers l’annihilation totale. L’archétype jungien du tyran suit une dynamique semblable : « il déteste et craint toute nouvelle forme de vie qui pourrait menacer la faible emprise qu’il a sur sa propre royauté. […] Le tyran n’est pas créateur et générateur, mais uniquement destructeur44 ». La suppression du petit René suit cette logique : le tyran convoite particulièrement l’archétype de l’enfant divin, car premier prétendant au trône en tant que version immature de l’archétype royal. Tout au long de La Classe de neige, la pulsion travaille à ramener Nicolas à l’état de néant, or elle émane de son propre géniteur qui agit par un instinct contre-nature : l’assimilation de la figure paternelle à une figure prédatrice et pédophile constitue un véritable tabou, une « horreur sans nom » que la psyché du petit garçon ne peut que refouler au plus profond de son inconscient pour se protéger, et qui pourtant revient à travers l’imaginaire du corps démembré45.
Les objets symboliques évoqués dans le troisième axe se relaient ce motif de chapitre en chapitre : l’écorché des stations Shell, « un bonhomme en plastique dont le dessus se soulevait comme le couvercle d’une boîte, découvrant le squelette et les organes » (Cla, p. 9-10), annonce le destin du garçon au premier chapitre et revient au chapitre 12, lors de l’exercice de méditation dirigé par Patrick, dont l’itération au chapitre 23 est pervertie par la rumeur déjà libérée : « tout était raide, serré, ramassé comme on l’est lorsqu’on vous attaque de toutes parts et jusqu’à l’intérieur de vous-même » (Cla, p. 114). Le coffre-fort offert par le père est redouté par Nicolas, qui craint que son géniteur n’en possède la clé et vienne fouiller à l’intérieur à son insu, et donc fouiller son intimité (chapitre 11). Les morts atroces des Histoires épouvantables, la mention du « Dictionnaire médical » (Cla, p. 23), que Nicolas lit avec avidité, et les instruments du père (« pinces », « bistouris », « prothèses », Cla, p. 28) contribuent à tisser le réseau thématique avec, en derniers maillons, l’évocation semi-explicite du viol :
Nicolas ne savait pas ce que voulait dire violer […] et de toute façon devinait que cela avait un rapport avec la chose sans nom, entre ses jambes, que c’était une forme de torture touchant à cela, la pire de toutes, peut-être consistant à le couper ou l’arracher. (Cla, p. 116)
S’ajoute à cela le souvenir de la visite au parc d’attractions (chapitre 6) où « le père met en garde son fils contre sa propre pulsion infanticide46 » :
Il y a des gens qui font ça, figure-toi. Des gens méchants. Ça s’appelle du trafic d’organes. Ils ont des camionnettes avec tout le matériel pour opérer, ils rôdent autour des parcs d’attractions, ou près de la sortie des écoles, et ils enlèvent des enfants. (Cla, p. 34)
Face à cet imaginaire macabre qui traverse l’entièreté du roman, les « fables intérieures » du petit garçon « prolifèrent et révèlent, dans leur multiplication, les déplacements d’un même archétype sous différentes formes47 », la pulsion de mort, qu’il se réapproprie à travers cet acte performatif tenu secret, car « le secret joue un rôle fondamental dans la genèse de l’identité du moi48 ». Or, la réappropriation du motif passe par une érotisation de la pulsion de mort dans les micro-récits, comme dans la conversation fantasmée avec Hodkann (chapitre 8) où la tendresse de l’aveu et de la consolation se prolonge dans un désir de protection d’une possible invasion du chalet par des trafiquants d’organes, qui tourne au véritable massacre : « Les corps à demi nus des enfants surpris dans leur sommeil s’entasseraient au pied des lits superposés. Des flots de sang couleraient sur le plancher. […]. Il n’y aurait que des morts, dans le chalet, des montagnes d’enfants morts. » (Cla, p. 40) De même, la mort de honte de Maxime Ribotton (chapitre 10) face à une crise de colère de son père, professeur de musique de la classe, déclenche la compassion des élèves (Cla, p. 49-50), et finalement, l’histoire de l’enfant paralysé à la suite d’une anesthésie ratée, « enseveli dans un bloc de ténèbres éternelles » (Cla, p. 111)49.
De tous les micro-récits, c’est le fantasme de l’accident mortel du père de Nicolas (chapitre 9) qui retient notre attention : « Peut-être la voiture avait-elle glissé sur une plaque de verglas, embouti un arbre, et son père agonisait, la poitrine défoncée par le volant. » (Cla, p. 44) Le garçon se réapproprie la pulsion de mort à travers un scénario tragique digne de pitié qui constitue presque une vengeance sur le père :
Imaginant cela, Nicolas sentait des larmes prêtes à jaillir de ses yeux, et il en éprouvait une grande douceur. Il ne voulait pas que ce soit vrai, bien sûr, mais en même temps aurait aimé tenir vis-à-vis des autres ce rôle de l’orphelin, héros d’une tragédie (Cla, p. 45).
La dynamique rappelle celle du Familienroman (roman familial des névrosés) : complexe freudien, il explique l’angoissante séparation de l’enfant de ses parents, dont le dernier stade de manifestation concerne la rêverie diurne : « l’activité fantasmatique prend pour tâche de se débarrasser des parents, désormais dédaignés, et de leur en substituer d’autres, en général d’un rang social plus élevé50 ». Ce stade ne peut se réaliser qu’avant la prise de conscience de la différence sexuelle par l’enfant. En ce qui concerne la fugue nocturne de Nicolas, il semble y avoir conflit entre une pulsion de vie et une pulsion de mort, lorsqu’il rêve, tout en jouissant dans la voiture de Patrick, de sa propre mort par hypothermie alors qu’il sombre dans le sommeil. Rappelons que l’éveil sexuel marque la séparation définitive de l’enfant du monde psychique de ses parents, or Nicolas ne peut vivre ce dernier dans le chalet, monde utérin et maternel, ni dans le monde extérieur et glacial du père : seul un espace intermédiaire peut accueillir ce petit geste initiatique, soit la voiture, métonymie de Patrick, amant initiateur et archétype royal dont le pouvoir limité ne peut que ralentir l’influence paternelle mortifère qui gagne le véhicule (malgré sa victoire provisoire par la suite).
Un dernier geste, sous-entendu en quelques phrases, dévoile une tentative extrême du garçon pour échapper à son destin à travers ce qui peut se comprendre comme une tentative de suicide : « C’était la première fois qu’il prenait un somnifère. Il savait qu’on pouvait mourir si on en avalait beaucoup à la fois. À l’époque du déménagement et de la longue absence de son père, il avait cherché dans toute la maison le tube dont celui-ci se servait. » (Cla, p. 136)
L’art de Carrère : écrire l’Unheimliche
La tragédie de l’indicible
À travers tout le roman, un champ lexical périphrastique tente de nommer un élément qui échappe tant à la conscience de Nicolas qu’à la compréhension des lecteurs : « cette chose sans nom » (Cla, p. 25), « l’horreur était tapie là » (Cla, p. 34), « cette horreur qui n’avait pas de nom, qu’il sentait depuis toujours roder autour de lui » (Cla, p. 119). C’est l’Unheimliche freudien (inquiétante étrangeté/familiarité), « quelque chose de familier, depuis toujours, à la vie psychique, et que le processus du refoulement seul a rendu autre51 », à savoir le soupçon inconscient qu’a Nicolas de l’affreuse réalité de son père. Carrère excelle dans l’art d’écrire cette inquiétante familiarité, et l’Unheimliche dans la Classe de neige tient au fait que le récit ne condamne le père explicitement à aucun moment52. Bribes de conversations et jeu d’allusions, que le lectorat ne peut s’empêcher de compléter, sont les seuls indices que livre l’auteur sans jamais montrer la chose directement, seulement en biais, comme ce présentoir de journaux à l’entrée de la station-service, au chapitre 30, que Patrick s’empresse de cacher à Nicolas, qui : « eut quand même le temps d’entrevoir la photo et le mot « monstre » dans le titre à demi caché par la pliure du journal. » (Cla, p. 142-143)
Un roman de l’inconscient
Placer l’Unheimliche comme principe organisateur du récit, c’est cerner la force psychique dominante qui agit en moteur de La Classe de neige et alimente notre hypothèse de départ : l’intrigue suit une logique dictée par des forces archétypales issues de l’inconscient collectif et s’éloigne du roman psychologique en ce qu’il n’a pas été pensé, consciemment, par son auteur. Et ce dernier le confirme lorsqu’il affirme que « [c]e livre narrativement complexe, même s’il est linéaire et écrit de la façon la plus simple et la plus élémentaire possible, […] est venu d’un jet. Il est comme sorti tout armé de l’inconscient53 ». Carrère confirme également un lien implicité révélé par la critique : l’histoire lui serait venue à la suite de son premier contact avec Jean-Claude Romand en 1993, et le refus de ce dernier de participer au projet qui allait mener à la création de L’Adversaire. Une partie de la critique s’est ainsi accordée pour faire de La Classe de neige le pendant négatif de L’Adversaire… et de Nicolas, Jean-Claude Romand, dont le point de vue est enfin livré par cette fiction qui « constitue une étrange et prenante rêverie œdipienne, dans laquelle l’image de l’“enfant assassin” est en quelque sorte expliquée par la violence symbolique d’un père mortifère54 » ; c’est même après lecture du roman que Romand lui-même revendiquera une identification à Nicolas et recontactera Carrère. De toute évidence, quelque chose s’est joué au niveau de l’inconscient, tant personnel que collectif, et semble suivre la logique de la création artistique telle que décrite par Jung :

La participation mystique concerne un phénomène d’identification psychologique d’un sujet à un objet, aboutissant à la création d’une identité tierce55 : à travers l’œuvre littéraire, l’inconscient personnel du lecteur perçoit les contenus qui, dans l’inconscient personnel de l’auteur, manifestent ceux issus de l’inconscient collectif. La dynamique archétypale qui transparaît dans le roman s’expliquerait comme une imposition de l’inconscient collectif à Carrère, durant cette longue conception qui l’avait ensuite mené à composer le récit « d’un seul jet », sans planification extensive. Et parce qu’issu de cette source psychique commune à toute l’espèce humaine, Romand y a non seulement trouvé son reflet, mais également le déblocage psychologique nécessaire pour dire à son tour ses propres horreurs sans nom.
Conclusion
Extensive mais non exhaustive, cette étude n’est qu’une porte d’entrée vers le microcosme polaire qu’est La Classe de neige et qui a encore beaucoup à nous dire, d’elle-même et en écho avec les autres œuvres de Carrère. Nous espérons reprendre cette étude à l’avenir dans une analyse totale du roman, capable de rendre compte des différents niveaux de lecture (incluant d’autres études) et de prolonger plusieurs pistes de recherche que nous avons omises par souci d’économie, dont la signification du chapitre 26 qui nous donne un aperçu de l’avenir (inattendu) des garçons, où Nicolas et Hodkann se recroisent à l’âge adulte.
ANNEXE
LISTES DES ARCHÉTYPES JUNGIENS DU MASCULIN MATURE
Chaque archétype est présenté avec sa version lumineuse en premier, en gras, suivie de son système d’ombre bipolaire marqué d’un (+) pour le pôle d’ombre actif et d’un (-) pour le pôle d’ombre passif. Tous les archétypes peuvent se retrouver dans l’ouvrage de 1990 de Moore et Gillette.
Psyché masculine immature (Boy Psychology) :
-
L’enfant divin (The Divine Child)
-
Le petit tyran (The High Chair Tyrant) +
-
Le prince faible (The Weakling Prince) –
-
-
L’enfant précoce (The Precocious Child)
-
Le farceur (The Trickester) +
-
Le niais (The Dummy) –
-
-
L’enfant œdipien (The Œdipian Child)
-
L’enfant à maman (The Mama’s Boy) +
-
Le rêveur (The Dreamer) –
-
-
Le héros (The Hero)
-
Le grand harceleur (The Grandstand Bully) +
-
Le lâche (The Coward) –
-
Psyché masculine mature (Man Psychology) :
-
Le roi (The King)
-
Le tyran (The Tyrant Usurper) +
-
Le faible (The Weakling Abdicator) –
-
-
Le magicien (The Magician)
-
Le farceur (The Trickester) +
-
Le niais (The Dummy) –
-
-
L’amant (The Lover)
-
L’addict (The Addict Lover) +
-
L’impuissant (The Impotent Lover) –
-
-
Le guerrier (The Warrior)
-
Le sadique (The Sadist) +
-
Le masochiste (The Masochist) –
-
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-
Florent Georgesco, « La Classe de neige. P.O.L, 1995 ; “Folio”, 1996 », in Emmanuel Carrère, Angie David, (éds.), Emmanuel Carrère, Paris, Scheer, 2007, (« Écrivains d’aujourd’hui »), p. 120‑125, p. 120.↩
-
Ibidem, p. 122.↩
-
Josyane Savigneau, « Le prix Médicis partagé entre Vassilis Alexakis et Andreï Makine. Le Femina revient à Emmanuel Carrère », Le Monde, novembre 1995.↩
-
Olivier Curchod, « La Classe de neige : La classe ! », 1998, p. 48‑49.↩
-
Marie-Pascale Huglo, « Scénariser le réel », in Laurent Demanze, Dominique Rabaté (éds.), Emmanuel Carrère : faire effraction dans le réel, Paris, P.O.L, 2018, p. 212-219, p. 215.↩
-
Pour des études plus larges, nous avons sélectionné des essais dans l’ouvrage collectif de Laurent Demanze et Dominique Rabaté (tous cités en bibliographie) qui mettent exergue les thèmes communs à La Classe de neige et aux autres œuvres de l’auteur. Nous renvoyons également à l’étude de Sylvaine Lecomthe-Dauthuille qui traite du thème de l’enfermement dans le corpus carrérien ; voir Sylvaine Lecomthe-Dauthuille, « Le récit comme piège : fiction et épouvante dans l’œuvre d’Emmanuel Carrère », Les Cahiers du Ceracc, 2014.↩
-
Marie-Pascale Huglo, « Voyage au pays de la peur : rumeur et récit dans La Classe de neige d’Emmanuel Carrère », Protée, Vol. 32 / 3, 2004, p. 101‑112, p. 105.↩
-
Éric Bordas, « Je suis complètement bouché à la poésie », in Laurent Demanze, Dominique Rabaté, (éds.), Emmanuel Carrère : faire effraction dans le réel, Paris, P.O.L, 2018, p. 326‑336, p. 182.↩
-
Sophie Ménard, « Bricolages génériques et culturels : La Classe de neige de Carrère », Repenser le réalisme, Cahier ReMix, Montréal, Figura, Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, 2018.↩
-
Carl Gustav Jung, The Archetypes and the Collective Unconscious, Princeton, Princeton University Press, 1981, (« Bollingen Series », 20).↩
-
La pensée de Moore, Gillette et Bly, dans la suite de celle de Jung (et de Freud), se fonde implicitement sur une conception essentialiste du genre : ainsi psyché masculine réfère à la psyché d’un « homme » au sens d’individu de sexe masculin hétérosexuel. Cela dit, la théorie ne nous semble pas incompatible avec d’autres expériences de vie de type queer, dans la mesure où il y aurait possibilité de flexibiliser le système (les archétypes, bien que genrés, peuvent se manifester dans toute psyché), et considérant que Bly lui-même ne voyait pas de distinction entre le chemin initiatique des hommes hétérosexuels et homosexuels. Cela relève, toutefois, d’une autre étude et d’un autre champ de recherche.↩
-
Robert L. Moore et Douglas Gillette, King, Warrior, Magician, Lover: Rediscovering the Archetypes of the Mature Masculine, San Francisco, Harper, 1991.↩
-
Anthony Stevens, Archetype: A Natural History of the Self, London, Routledge & K. Paul, 1982, p. 211.↩
-
« [A] bipolar dysfunctional, or shadow, form […] [that] represents a psychological condition that is not integrated or cohesive », in Robert L. Moore et Douglas Gillette, King, Warrior, Magician, Lover: Rediscovering the Archetypes of the Mature Masculine, op. cit., p. 14, nous traduisons.↩
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Dans leur représentation schématique, les archétypes adoptent une structure triangulaire, avec l’archétype lumineux au sommet, et le système d’ombre bipolaire à sa base. Nous proposons en annexe une petite liste des archétypes du système avec leurs équivalents en français et en anglais.↩
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L’identification d’archétypes au sein d’une œuvre revient à effectuer une opération d’herméneutique analogue à l’application d’une lecture lacanienne ou freudienne sur un texte, afin d’en dresser un portrait que nous nommons cartographie analytique. Si le terme est notre invention, l’opération n’est pas nouvelle et plusieurs exemples sont présents dans l’ouvrage A Jungian Approach to Literature, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1984. de Bettina L. Knapp.↩
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Emmanuel Carrère, La classe de neige, Paris, Gallimard, 2006 [1995], (« Collection Folio », 2908). Toutes les citations tirées de l’ouvrage seront référées par le sigle Cla, suivi du numéro de la page.↩
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Marie-Pascale Huglo, op. cit., p. 105, p. 101.↩
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Le terme infans, du latin « qui ne parle pas », est de Freud, voir : Sigmund Freud, Névrose, psychose et perversion, Paris, Presses universitaires de France, 1973, (« Bibliothèque de psychanalyse »).↩
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« [T]he childish stage of conciousness […]. It is as though it [the child] were not yet completely born, but were still enclosed in the psychic atmosphere of its parents. Psychic birth, and with it the conscious differentiation from the parents, normally takes place only at puberty, with the eruption of sexuality. […] Until this period is reached the psychic life of the individual is governed largely by instinct, and few or no problems arise », in Joseph Campbell, The Hero with a Thousand Faces, Novato, California, New World Library, 2008, (« Collected Works of Joseph Campbell »), p. 7, nous traduisons.↩
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« [The Dreamer] causes a boy to feel isolated and cut off from all human relationships […] He accomplishes little and appears withdrawn and depressed. Often his dreams tend to be melancholy. […] What this boy really shows, in a roundabout way, is his pique at failing to achieve possession of the Mother », in Moore et Gillette, op. cit., p. 37, nous traduisons.↩
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« The Precocious Child is the origin of our curiosity and our adventurous impulses. […] He causes us to wonder at the world around us and the world inside us », Ibidem, p. 28, nous traduisons.↩
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« Like a dark version of the Christ child, he is the center of the universe, others exist to meet his all powerful needs and desires » [nous traduisons], Ibidem, p. 23, nous traduisons.↩
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« His strategies are designed to proclaim his superiority and his right to dominate those around him. », Ibidem, p. 37, nous traduisons.↩
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« The tyrant hates, fears, and envies new life, because that new life, he senses, is a threat to his slim grasp on his own kingship. […] If he were secure in his own generativity and in his own inner order – his Self structures – he would react with delight at the birth of new life in his realm. », Ibidem, p. 63, nous traduisons.↩
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Éric Bordas, op. cit.↩
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« In conjuction with his ordering function, the second vital good that the King energy manifests is fertility and blessing. […]. The good king always mirrored and affirmed others who deserved it », in Moore et Gillette, op. cit., p. 58-61, nous traduisons.↩
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« In the Lover, masculine energy is tender, gentle, related, nurturing, and caring in its own ways. » [nous traduisons], in Robert L. Moore et Douglas Gillette, The Lover Within: Accessing the Lover in the Male Psyche, New York, W. Morrow, 1992, p. 104, nous traduisons.↩
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Éric Bordas, op. cit.↩
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« The qualities associated with it are maternal solicitude and sympathy; the magic authority of the female; the wisdom and spiritual exaltation that transcend reason; any helpful instinct or impulse; all that is benign, all that cherishes and sustains, that fosters growth and fertility. », Carl Gustav Jung, op. cit., p. 82, nous traduisons.↩
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Sophie Ménard, op. cit.↩
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Joseph Campbell, op. cit.↩
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L’interprétation de l’écorché de Shell comme totem du garçon est de Sophie Ménard.↩
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Marie-Pascale Huglo, op. cit., p. 107.↩
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Ibidem, p. 110.↩
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Éric Bordas, op. cit.↩
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Ibidem.↩
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Sophie Ménard, op. cit.↩
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Nous ajoutons les italiques pour souligner ce passage.↩
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Éric Bordas, op. cit.↩
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Le terme de « pervers polymorphe » est à replacer dans le contexte de la théorie freudienne, où il adopte malheureusement une connotation péjorative (tout comme efféminé). Si nous ne cautionnons pas cette connotation, il faut remarquer l’attitude ambivalente de Freud vis-à-vis de l’homosexualité, qu’il hésite à classer comme pathologie tout au long de sa carrière (voir Freud, 1973, op. cit.)↩
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Issu du latin, le terme anima renvoie au « souffle » en relation avec « l’âme », et celui d’animus à la « pensée » par opposition au corps. Anima et animus sont deux archétypes pensés et étudiés par Jung, à partir du modèle des couples contra sexuels manifestés dans plusieurs mythes : l’anima correspondrait ainsi à la part de féminité présente dans toute psyché masculine, et l’animus à la part de masculinité présente dans toute psyché féminine.↩
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Ibidem.↩
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« The tyrant hates, fears, and envies new life, because that new life, he senses, is a threat to his slim grasp on his own kingship. The tyrant king is not in the Center and does not feel calm and generative. He is not creative, only destructive. », in Robert L. Moore et Douglas Gillette, King, Warrior, Magician, Lover: Rediscovering the Archetypes of the Mature Masculine, op. cit., p. 63, nous traduisons.↩
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Rappelons que dans la pensée de Jung, les archétypes ont une dimension biologisante : ils sont la représentation psychique des instincts primitifs de notre espèce animale (l’amour, la défense, l’attaque, la méfiance, etc.) face à une situation donnée.↩
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Aurélie Adler, « Le juge sans jugement », in Laurent Demanze, Dominique Rabaté, (éds.), Emmanuel Carrère : faire effraction dans le réel, Paris, P.O.L, 2018, p. 392‑401, p. 197.↩
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Marie-Pascale Huglo, op. cit., p. 104.↩
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Éric Bordas, op. cit.↩
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Cette histoire revient dans d’autres romans de Carrère tel que le révèle l’étude de Sylvaine Lecomthe-Dauthuille.↩
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Sigmund Freud, op. cit., p. 158.↩
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Sigmund Freud, L’inquiétante l’étrangeté (Das Unheimliche), Éd. Jean-Michel Tremblay, Chicoutimi, Les Classiques des sciences sociales, 2008, (« Les auteurs classiques »), p. 17.↩
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Dominique Rabaté évoque déjà ce concept, présent dans plusieurs œuvres de Carrère ; voir Dominique Rabaté, « L’adieu au roman », in Laurent Demanze, Dominique Rabaté, (éds.), Emmanuel Carrère : faire effraction dans le réel, Paris, P.O.L, 2018, p. 226‑237, p. 237.↩
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Emmanuel Carrère et Angie David, Emmanuel Carrère, Paris, Scheer, 2007, (« Écrivains d’aujourd’hui »), p. 20.↩
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Étienne Rabaté, « Lecture de L’Adversaire, d’Emmanuel Carrère : le réel en mal de fiction », in Laurent Demanze, Dominique Rabaté, (éds.), Emmanuel Carrère : faire effraction dans le réel, Paris, P.O.L, 2018, p. 289‑300, p. 299.↩
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Carl Gustav Jung, Psychological Types, Princeton, Princeton University Press, 1971, (« Bollingen Series »).↩
Doctorant en littératures de langue française, Diego Cantú Patiño étudie à l’Université de Montréal sous la direction de Gabriele Giannini, directeur du Centre d’études médiévales. Jeune chercheur en herbe, son mémoire de maîtrise ainsi que sa thèse doctorale traitent des formes épiques, lyriques et dramaturgiques produites dans les cultures de langue romane de l’Europe médiévale. Son approche théorique combine les champs de recherche des études littéraires, de la psychanalyse, des men’s studies et de l’intermédialité. Ses travaux parallèles s’intéressent ainsi à diverses littératures, issues tant du Moyen Âge que de la modernité, et notamment à leurs façons de représenter les identités nationales, la masculinité, la maturité et l’amour.
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