Gabrielle Flipot Meunier, 2e cycle, Université de Montréal
Résumé : Au printemps 1970, lorsque Gabrielle Roy apprend que sa sœur Bernadette est atteinte d’un cancer incurable, elle prend la résolution de lui écrire une lettre par jour jusqu’à sa mort afin de l’accompagner, à distance et par écrit, dans les dernières semaines de sa vie. L’écriture épistolaire est ainsi investie, dans cette correspondance, de la mission toute particulière de prendre soin de sa destinataire, ce pourquoi cet article se propose de lire les lettres de Roy à la lumière de l’éthique du care. Il s’agira d’abord de voir en quoi la lettre en elle-même peut être envisagée comme mode d’expression privilégié du souci d’autrui, puis, de quelles manières Roy adopte une posture et une pratique de care dans ses lettres à sa sœur. Nous nous intéresserons aux stratégies concrètes qu’elle y mobilise, ainsi qu’à la portée thérapeutique qu’accorde l’autrice à l’écriture épistolaire.
Bernadette Roy, née en 1897, était de douze ans l’aînée de sa sœur Gabrielle. Entrée en religion assez jeune, elle a peu côtoyé l’autrice lorsque celle-ci était enfant, mais l’écart d’âge n’a jamais été un obstacle à la proximité et à la compréhension mutuelle entre les deux sœurs. Dans son autobiographie La détresse et l’enchantement, Roy raconte qu’à la veille de son départ pour l’Europe en 1937, tous autour d’elle désapprouvaient ce projet – tous, sauf Bernadette que l’autrice en devenir décide de consulter sur la question, « n’en pouvant plus de doute et d’hésitation1 ». Elle se rend alors au parloir et se confie à sa sœur. S’ensuit un moment tendre où la religieuse prend silencieusement la main de sa sœur, la guide vers la fenêtre et tourne son visage vers la lumière du soleil avant de prendre soudain Gabrielle dans ses bras pour « [lui] crier en chuchotements exaltés2 » de partir malgré tout pour l’Europe. C’est ce qu’elle fera quelques mois plus tard, forte de la bénédiction de sa sœur, seul membre de la famille Roy à ne pas lui avoir fait de reproches quant à son départ et à avoir jugé favorablement son ambition artistique. Ainsi, les deux sœurs ont toujours partagé un lien étroit, malgré tout ce qui les séparait, ce dont témoignent de nombreux passages de La détresse et l’enchantement où l’autrice parle avec grande affection de sa sœur et de leurs souvenirs partagés. Rien d’étonnant, donc, à ce que Bernadette Roy ait occupé une place importante parmi les nombreux·ses correspondant·es de Gabrielle Roy, dont la pratique épistolaire a été soutenue tout au long de sa vie. Leur correspondance publiée compte cent-trente-huit lettres, toutes de Gabrielle Roy adressées à Bernadette. Si leur correspondance s’étend sur une période de presque trente ans, ces lettres n’ont toutefois pas toujours été écrites avec la même régularité et se divisent naturellement en deux ensembles. Le premier, allant de l’année 1943 au mois de mars 1970, réunit quatre-vingt-neuf lettres (ce qui donne un rythme d’en moyenne trois lettres par année) ; le second comporte quarante-neuf lettres s’échelonnant de mars à mai 1970, soit presque exactement une lettre par jour sur une période d’environ deux mois. C’est le diagnostic d’un cancer du rein incurable que reçoit Bernadette en mars 1970 qui explique ce brusque changement de rythme dans l’écriture épistolaire de Roy ; lorsqu’elle apprend la nouvelle, l’autrice se précipite au chevet de sa sœur, au Manitoba, où elle reste quelques semaines. Au retour de ce voyage, elle prend la résolution d’écrire à Bernadette une lettre par jour jusqu’à sa mort. Sans négliger les lettres des années précédant la maladie, c’est à ce corpus tout particulier des quarante-neuf lettres quotidiennes que nous nous intéresserons.
Dans la préface à l’édition critique de cette correspondance, François Ricard écrit :
Quoiqu’elles n’aient pas été écrites en vue d’être publiées, ces lettres mortuaires, qui sont en même temps de grandes lettres d’amour, […] sont dignes des meilleures pages de Gabrielle Roy. Elles illustrent éminemment cet art du sentiment partagé, ce don de la vibration émotive, ce que j’appellerais cette écriture de la compassion qui caractérise et singularise si fortement l’œuvre de la romancière3.
La compassion semble effectivement être le sentiment prédominant de cette correspondance écrite dans le but très explicite de réconforter, de soutenir, d’accompagner la malade dans le quotidien des derniers mois de sa vie. La volonté de prendre soin de l’autre, à distance et par le biais de l’écriture épistolaire, apparaît comme la raison d’être de ces lettres destinées à se substituer à la présence physique de Roy au chevet de sa sœur mourante, et c’est pourquoi nous proposons de lire cette correspondance à la lumière de l’éthique du care. Depuis que cette perspective, née aux États-Unis avec l’ouvrage inaugural de Carol Gilligan, In a Different Voice (1982), a trouvé écho en France, les chercheur·euses francophones se sont confronté·es à la difficulté de traduire le terme de care. Très polysémique dans sa langue originale, il peut être employé à la fois pour désigner des activités concrètes et matérielles (to take care, to care for) ainsi qu’un sentiment ou une attitude (to care about). Gabrielle Roy, dans cette correspondance, incarne bien cette pluralité qu’englobe le care, en ce que la sollicitude qu’elle témoigne à sa sœur est autant une posture qu’une pratique : elle se soucie de Bernadette autant qu’elle en prend soin, elle « combine l’activité […] et le fait psychique4 ».
Or, il faut souligner qu’envisager la lettre comme forme possible de care ne va pas de soi. D’abord, parce que plusieurs théoricien·es défendent l’idée qu’elle représente souvent une sorte d’espace narcissique d’étalement du « je » de l’épistolier·ère, mais surtout car penser la lettre comme activité de care va, en quelque sorte, à rebours de la définition que pose Joan Tronto dans Moral Boundaries (1993). Dans cet ouvrage majeur des études sur le care, Tronto exclut fermement de ce qu’elle définit comme care « the pursuit of pleasure, creative activity, production, destruction5 ». « [T]o create a work of art […] is not care6 », affirme-t-elle. Or si l’on considère la lettre comme véritable objet littéraire – ce qui semble être le cas de Roy, mais nous y reviendrons – elle appartiendrait ainsi à cette catégorie d’activités créatrices non reconnues comme formes possibles de care. Cela dit, la définition de Tronto ne fait pas l’unanimité – notamment du côté des études littéraires où de plus en plus de travaux proposent de penser une littérature du care7 ou une « littérature care8 » – et d’autres études soutiennent plutôt que la lettre peut tout à fait être envisagée comme mode d’expression privilégié du souci de l’autre. En effet, dans un article intitulé « “Hey Mama;” “Dear Sister;” “Sister Love” : Black Women’s Healing and Radical Self-Care through Epistolary Work9 », Desireé R. Melonas montre en quoi la lettre, en ce qu’elle donne l’occasion aux épistolier·ères d’établir un dialogue intime et attentif à l’abri des regards et des interruptions, peut être envisagée comme un espace propice à l’énonciation d’une caring attitude. En parlant des lettres manuscrites qu’a l’habitude de lui envoyer sa propre grand-mère, elle confie : « her letter prose is still able to carry me to a place where I feel held, seen, cared for, and renewed10. » Un peu plus loin, elle explique que pour elle, « letter writing grants both composers and recipients access to a domain that enables a different degree and species of intimacy, a closeness that sets the conditions for radical self-care to ensue11. » Si l’éthique du care se pense, entre autres, comme « une nouvelle donne anthropologique mettant en cause le modèle de développement reposant uniquement sur le lien marchand12 », le discours que tient Melonas sur l’épistolaire y fait écho : « letter-writing as a practice that demands of individuals to sit, slow-down, and gather themselves, represents a rejection of a neoliberal imperative that urges prioritizing speed and acceleration over ease and taking one’s time13 », affirme-t-elle. Dans cette perspective, entretenir une correspondance représenterait « a commitment to slowing down and taking care14 », engagement qui semble être celui de Gabrielle Roy lorsqu’elle promet à sa sœur une lettre réconfortante par jour jusqu’à la fin de sa vie, s’inscrivant ainsi tout à fait dans ce que décrit Melonas.
L’idée du souci d’autrui apparaît comme étant si centrale à ce projet chez Roy que, dans un article consacré à ce corpus épistolaire, Lori Saint-Martin parle d’une « correspondance à la deuxième personne15 » pour décrire à quel point le « je » de l’autrice se fait discret au profit du « tu » de sa destinataire à qui est accordée une place prépondérante, et ce, malgré le silence de Bernadette. Rapidement trop faible pour répondre assidûment à sa sœur, la religieuse cesse assez tôt de lui écrire, ce qui ne refroidit en rien l’épistolière, qui l’encourage au contraire à ne pas prendre la plume : « je ne m’attends pas à ce que tu me répondes car je sais quel effort cela exige et j’aimerais tout autant savoir que tu te reposes aussi complètement que possible. Laisse-moi donc bavarder seule à mon bout, sans t’inquiéter de me donner la réplique16 », écrit Roy au début du mois d’avril 1970. Il s’agira donc de voir en quoi l’autrice adopte une posture et une pratique du care dans cette correspondance où elle signale clairement à son interlocutrice qu’elle n’attend rien en retour ; nous nous intéresserons aux stratégies concrètes qu’elle y mobilise, ainsi qu’à la portée thérapeutique que semble vouloir accorder Roy à son écriture épistolaire dans le discours qu’elle tient sur les lettres du printemps 1970.
« Je ne veux pas que vous ayez à compter les sous » : les lettres d’avant 1970
Si le deuxième ensemble de lettres est un exemple plus parlant de la caring attitude de Gabrielle Roy, cette disposition est déjà présente dans le premier. Entre 1943 et 1970, les lettres sont très souvent accompagnées de dons d’argent, parfois assez importants. « Je ne veux pas que vous ayez à compter les sous » (MCPS, p. 93), écrit en juin 1965 l’autrice qui, déjà bien lancée dans sa carrière, tâche de venir en aide à sa famille – possiblement pour « expie[r]17 » le succès qui l’a éloignée des siens – parfois par simple générosité, parfois pour subvenir aux besoins de leur sœur Clémence que la maladie mentale empêche d’être tout à fait autonome, parfois pour permettre à Bernadette un déplacement en train ou en taxi afin de rendre visite à une autre de leurs sœurs18. À Clémence, par l’intermédiaire de Bernadette, Gabrielle Roy fait aussi parvenir des tranquillisants à quelques reprises, notamment avant un voyage en train destiné à les réunir toutes les trois lors d’un séjour au Québec :
Je me demandais aussi si ce ne serait pas une bonne chose d’avoir à la main, pour le voyage, quelques comprimés tranquillisants bénins comme l’Equanil par exemple, surtout pour Clémence. Lui en faire prendre un une heure avant le coucher lui assurerait sans doute une assez bonne nuit à bord du train. (MCPS, p. 96)
Comme une infirmière attentive, Roy prévoit le médicament et sa posologie : elle se montre ainsi déjà très sensible aux souffrances des autres dont elle anticipe les besoins et dont elle se rend responsable, malgré la distance. Il n’est d’ailleurs jamais indiqué que Bernadette ait pu demander la moindre somme à sa sœur, pas même pour la faire parvenir à Clémence : tout porte à croire que c’est bien Roy qui va au-devant des besoins de ses sœurs. Au-delà des considérations financières et matérielles, elle semble aussi soucieuse du bien-être de sa destinataire, puisqu’elle l’encourage presque systématiquement au repos dans la fin de ses lettres : « Ménage ton énergie nerveuse, ma chère. C’est là mon conseil le plus urgent pour cette année : je te connais encline à te dépenser jusqu’à la dernière goutte de combustible » (MCPS, p. 38), écrit-elle dans les premiers jours de janvier 1958. L’injonction au repos, répétée presque chaque fois en fin de lettre, devient une sorte de formule de clôture consacrée, ce qui préfigure, en quelque sorte, les propos qui seront tenus dans les lettres du printemps 1970 où l’autrice ne fera qu’amplifier ces encouragements.
De plus, apparaît déjà dans la prose épistolaire de Gabrielle Roy l’idée de la lettre comme substitut à la présence physique lorsqu’arrive malheur. Quand décède leur frère Germain Roy en 1961, elle écrit : « Je viens essayer de te réconforter avec de pauvres mots, alors que je voudrais tellement être près de toi, d’Anna, de Clémence et aussi d’Antonia et de ses filles » (MCPS, p. 50). Si le réconfort par la lettre semble ici un pis-aller, il demeure que c’est une stratégie que semble souvent adopter Roy, et ce, en dehors de la sphère familiale également. En février 1969, elle écrit à son amie Alice Lemieux-Lévesque : « J’ai écrit une longue lettre décousue à Adrienne [Choquette], pour essayer de la distraire et de la remonter. Je la sens épuisée, elle aussi, et inquiète19 ». Cela dit, bien que l’idée de se servir de l’épistolaire pour exprimer à distance son souci de l’autre soit déjà présente dans les lettres du premier ensemble, celles-ci restent dictées par les obligations et les conventions sociales : Gabrielle Roy écrit à Bernadette pour lui souhaiter de joyeuses fêtes, à l’occasion pour lui raconter un de ses voyages, mais souvent aussi tout simplement pour accompagner un chèque. Or, lorsqu’est posé le diagnostic de Bernadette en mars 1970, les lettres de Gabrielle Roy commencent soudain à s’apparenter à la définition que donne Ruth Amossy de la lettre d’amour :
La lettre d’amour se concentre […] sur la gestion des rapports individuels entre les participants ; elle établit entre deux partenaires séparés dans l’espace une interaction qui vise à la création, à la modification ou à la confirmation d’une relation affective. Dans ce sens, elle privilégie la communication aux dépens de l’information, et l’interaction aux dépens de tout projet dirigé vers l’extérieur. […] [C]es buts sont subordonnés aux enjeux relationnels20.
Alors que, dans les lettres du premier ensemble, les enjeux relationnels étaient subordonnés aux buts extérieurs, le rapport s’inverse au printemps 1970. Certes, de réelles marques du souci d’autrui de Roy se lisent dans les lettres du premier ensemble, mais l’envoi de ces lettres étant souvent justifié par la nécessité d’organiser un déplacement, de faire parvenir un chèque ou de répondre à une quelconque convention sociale, c’est véritablement une fois la maladie déclarée que l’on peut affirmer que le souci de l’autre déloge toute autre considération dans cette correspondance. Le changement est d’ailleurs marqué non seulement par la clôture des lettres, à laquelle nous reviendrons, mais aussi par l’adresse. Alors que l’autrice ouvrait systématiquement ses lettres par « Ma chère petite sœur » avant la maladie de Bernadette, cette formule affectueuse, mais somme toute quelque peu rigide, est très vite abandonnée au profit de « Ma chère Dédette », abolissant par le surnom aussi tendre qu’enfantin les frontières qu’érigeait l’adresse plus corsetée. Si l’on pouvait déjà trouver une « écriture de la compassion » dans le premier ensemble de lettres, c’est donc dans le second qu’elle se déploiera véritablement.
Pacte de prière, pacte épistolaire
Au commencement de ce deuxième ensemble de lettres d’amour et de sollicitude se trouve un pacte : pas tout à fait un pacte épistolaire, il s’agit d’abord d’un pacte de prière. En effet, lorsque Gabrielle Roy quitte le chevet de Bernadette à la fin du mois de mars 1970, les deux sœurs décident ensemble d’entreprendre une neuvaine dont Gabrielle Roy consigne assidûment l’accomplissement dans ses lettres. Si les écrivain·es épistolier·ères se sont souvent représenté·es en train d’écrire dans leurs lettres, décrivant leur état d’esprit et leurs conditions de travail, Roy, elle, se représente ainsi fréquemment à l’église, en train de prier pour sa destinataire. Quand les neuf jours se terminent, elle écrit :
Je trouve tellement de réconfort à faire avec toi ce pacte de prières que je te propose, celui-ci finissant jeudi le 16 avril, d’en commencer tout aussitôt un autre, le lendemain. Ainsi ne sera pas interrompu ce lien entre nous dont je sens, à distance, le pouvoir et l’efficacité et qui t’aide, je le souhaite de tout mon cœur, comme il m’aide moi-même. (MCPS, p. 183)
Ainsi, le pacte de prière produit par le fait même un pacte épistolaire puisqu’il rythme et justifie l’écriture des lettres. « Ce lien entre [elles] » qu’évoque Roy peut certes être envisagé comme le lien métaphysique que tisse entre les deux sœurs la prière, mais le lien le plus concret, qui agit véritablement comme « ligne de vie » (MCPS, p. 204) entre elles, c’est la lettre, qui assure à l’une qu’elle habite réellement les pensées et les prières quotidiennes de l’autre. L’importance accordée à la prière, dont la pratique structure les échanges, peut aussi être lue comme une marque de la caring attitude qu’adopte dans son écriture épistolaire Gabrielle Roy. Dans un article sur les lettres qui nous intéressent, Paul Genuist fait remarquer que, bien que croyante, l’autrice est loin d’être aussi pieuse en dehors de cette correspondance où elle « n’hésite pas à dévoiler son émotion religieuse pénétrant ainsi dans le monde familier de Bernadette21 ». Elle tente donc vraisemblablement de parler le même langage que sa sœur dévote, de lui exprimer sa sollicitude en des termes qui seront plus aptes à lui en faire prendre la mesure. À ce sujet, un passage de La détresse et l’enchantement se révèle très significatif. Roy raconte qu’alors qu’elle est encore auprès de Bernadette souffrante, elle lui demande si elle se souvient de la scène du parloir évoquée plus tôt. « Je lui demandai encore si, pour m’avoir poussée autrefois avec une telle ardeur à suivre ma voie, elle avait perçu quelque signe favorable du destin. À un léger froncement de ses sourcils, je me repris : de la Providence22 », raconte l’autrice. Le glissement de « destin » à « Providence » marque ainsi sa volonté de penser et de s’exprimer de manière à rejoindre sa sœur dans le registre et dans les croyances qui sont les siennes. Pour rappeler à sa sœur un imaginaire qui leur est familier à toutes les deux, elle invoque aussi fréquemment la figure de leur mère bien-aimée, « comme si la mère était devenue sainte ou déesse et avait le pouvoir d’intervenir dans les destinées humaines23 » :
J’ai […] appelé notre petite mère au secours dans mes prières, hier, à la messe de cinq heures, et jamais encore elle ne m’a fait défaut quand je l’ai appelée de cette manière. Sûrement elle va venir à ton aide, car elle est capable de tout pour secourir ses enfants. (MCPS, p. 196)
De plus, ce double pacte met en parallèle les deux pratiques – celle de la prière et celle de l’épistolaire – en les faisant se répondre et se confondre par leurs formes semblables. Comme les lettres de Roy, la prière se construit sur une tension entre présence et distance où le·la locuteur·ice s’exprime à l’autre par le biais d’un monologue auquel ne vient jamais de réponse. À bien des égards, la prière partage aussi avec la lettre plusieurs codes formels, en ce qu’elle implique une allocution (un destinataire précis) ainsi que des formules consacrées d’adresse (« Mon Dieu », « Seigneur », etc.) et de clôture (« amen ») ; les deux pratiques codifiées ont d’ailleurs souvent aussi une visée performative, étant employées pour demander quelque chose, remercier ou se repentir. Enfin, les prières et les lettres de Gabrielle Roy se rejoignent dans leur intention, soit celle de prendre soin d’autrui à distance, par les mots plutôt que par les gestes.
L’épistolière caregiver
On peut toutefois se demander, une fois le pacte établi, quelles stratégies mobilise concrètement Gabrielle Roy pour prendre soin de sa sœur malade par le biais de l’épistolaire. Au tout début de la correspondance, c’est par un geste très concret qu’elle entreprend de venir en aide à Bernadette, soit en la soulageant de ses autres obligations épistolaires. « J’écris un peu à tout le monde pour donner de tes nouvelles, m’imaginant que c’est fatigant pour toi d’écrire tant de lettres » (MCPS, p. 180) écrit Gabrielle à Bernadette dès le début du mois d’avril 1970. Elle s’attribue ainsi une fonction de relai, se donnant pour mission de condenser dans ses propres lettres l’affection de tous ceux qui en portent à sa sœur. Or, cette volonté de prendre sur elle ce qui incomberait normalement à Bernadette, de la décharger de ce qui pourrait lui être pénible en prenant sa place, fait écho à une sorte de fantasme de sacrifice de soi qui revient à quelques reprises dans cette correspondance. Au-delà de la compassion et du « prendre soin », Gabrielle Roy laisse parfois entendre que si elle le pouvait, elle choisirait de souffrir à la place de sa sœur. « Ma chère, chère Bernadette, je te l’écrivais dans une lettre précédente, la douleur essentielle de la vie c’est peut-être de ne pouvoir en décharger les autres, de ne pouvoir la prendre sur soi quelque temps au moins pour laisser se reposer ceux qui souffrent » (MCPS, p. 171), écrit-elle en mars 1970 ; « donne-moi tes inquiétudes si tu en as encore que je les porte pour toi » (MCPS, p. 227) ajoute-t-elle plus tard. Bien que, ce sacrifice étant évidemment impossible, ce souhait ne soit somme toute pas très compromettant, il n’en demeure pas moins significatif que Roy fasse appel à cet imaginaire sacrificiel. Cela la consacre symboliquement en figure de caregiver pensée sur le mode de l’abnégation de soi que l’on associe traditionnellement à une soi-disant « nature féminine », évoquant ce que Carol Gilligan décrivait dans In a Different Voice comme « the confusion between self-sacrifice and care inherent in the conventions of feminine goodness24 ». Et cela semble faire son effet sur Bernadette, qui compare à un moment elle-même les lettres de sa sœur à un bouclier. Gabrielle Roy lui répond alors immédiatement :
C’est quelque peu étonnant que tu aies employé à propos de mes lettres l’expression « bouclier protecteur » car c’est très exactement ce que je voudrais qu’elles soient. C’est dans cette intention que je les écris, afin qu’elles forment autour de toi comme une zone protectrice que rien de mauvais ne puisse franchir. (MCPS, p. 188)
« La petite enfant du portrait est devenue ta protectrice et se tient près de toi pour te défendre et te secourir » (MCPS, p. 197), écrit-elle ailleurs, faisant référence à une photographie dont il est souvent question au fil de la correspondance et sur laquelle Bernadette, jeune fille, tient sa petite sœur sur ses genoux. Ainsi, non seulement elle inverse les rôles de la petite et de la grande sœur – comme le fait aussi la formule d’adresse qui donne son titre au recueil de lettres – mais cette image du bouclier témoigne d’un réel pouvoir accordé à l’écriture, que les deux épistolières s’entendent pour imaginer capable de faire écran à la souffrance.
Dans la continuité de ce qui se jouait déjà avant la maladie, la clôture se montre également importante en ce qui a trait au care que la lettre est vouée à performer. Si la clôture et la signature de la lettre sont typiquement des lieux où il convient d’employer diverses formules de politesse consacrées et parfois assez impersonnelles, c’est aussi l’endroit où la distance se rappelle aux épistolier·ères et où iels ont l’occasion de formuler explicitement leur sollicitude au moment de prendre congé de leur destinataire. À ce sujet, Virginia Held, philosophe américaine du care, formule une remarque intéressante :
The last words I spoke to my older brother after a brief visit and with special feeling were: “take care.” […] It may be illuminating to begin thinking about the meaning of ‘care’ with an examination of this expression.
We often say “take care” as routinely as “goodbye” or some abbreviation and with as little emotion. But even then it does convey some sense of connectedness. More often, when said with some feeling, it means something like “take care of yourself because I care about you”25.
C’est ce que semble dire Gabrielle Roy à Bernadette dans les lettres précédant 1970 : « Prie pour nous tous, ma chère et bonne petite sœur, et prends soin de toi-même par affection pour moi » (MCPS, 129 ; nous soulignons), écrit-elle à la fin d’une lettre d’août 1968. Or, une fois sa sœur malade, son ton change : elle continue d’enjoindre Bernadette au calme et au repos, mais plutôt que de l’encourager au self-care, elle paraît vouloir la décharger là aussi de toute responsabilité qui pourrait exiger d’elle un effort. Comme pour remplacer l’expression « Prends soin de toi » par « Je prends soin de toi », là où Roy écrivait auparavant « Tâche maintenant de veiller à ne pas trop te fatiguer » (MCPS, p. 123), elle écrit désormais : « Sommeille, confiante, ta petite main dans la mienne, ton cœur en repos » (MCPS, p. 196). C’est un ton rassurant, presque maternel, qui évoque la berceuse, qu’adopte l’autrice pour clore ses lettres : « Maintenant dors, ma Bernadette, dors tranquille, comme dorment les enfants confiants, car la vie est faite par l’amour et pour l’amour » (MCPS, p. 212), écrit-elle par exemple le 2 mai 1970. Une citation du Hamlet de Shakespeare, répétée à de nombreuses reprises, semble jouer ce même rôle : « Good night sweet Prince… / May a flight of angels sing thee / to thy rest… » (MCPS, p. 205) Jamais replacée dans son contexte bien qu’il soit tout sauf anecdotique – c’est ce que l’ami d’Hamlet lui dit alors qu’il meurt dans ses bras – et très souvent répétée par Roy qui semble se l’être en quelque sorte appropriée, la réplique shakespearienne devient comme une berceuse que chante Gabrielle à sa sœur malade. Ce glissement entre le premier et le deuxième ensemble de lettres est parlant : au lieu de se contenter de sommer Bernadette de se reposer, elle exprime une volonté de l’accompagner, par la lettre, jusqu’au seuil du sommeil, annonçant par le fait même l’autre seuil jusqu’auquel elle est en train de l’accompagner, celui de la mort.
Or, le pouvoir performatif que Gabrielle Roy accorde à la lettre dans laquelle elle inscrit ses berceuses se lit de manière encore plus frappante ailleurs, où la lettre semble réellement investie par l’épistolière de la mission de la remplacer concrètement au chevet de sa sœur. À plusieurs reprises, elle décrit des gestes de soin comme si elle les accomplissait réellement : « Je me tiens auprès de toi. J’arrange un peu ton oreiller. Je garde ta main. Et je prie avec toi en tâchant d’avoir la confiance de l’enfant » (MCPS, p. 205) écrit Roy le 28 avril 1970. Le lendemain, elle reprend : « Ma chère petite Bernadette, me vois-tu revenue auprès de toi, debout à tes côtés, ma main sur ton front et t’adressant un sourire, car, en fin de compte, pourquoi serions-nous inquiètes et tristes, puisque tout va à la mer… tout va à l’absolu… tout va au bonheur inaltérable… 26 » (MCPS, p. 207). Comme c’est souvent le cas dans la lettre d’amour, l’épistolière se projette dans un imaginaire où elle est physiquement réunie avec l’autre ; la présence de l’autre et la disposition des corps dans l’espace sont ainsi fantasmées et théâtralisées par l’écriture épistolaire. C’est une véritable théâtralité du soin qui se déploie ici, performée par ses gestes reconnaissables tels que la main posée sur le front, l’oreiller que l’on arrange, la prière et la main tenue par celle de la caregiver postée au chevet de la malade. Cette mise en scène est d’autant plus importante que, Bernadette étant de plus en plus faible, c’est une autre religieuse qui lui fait à voix haute la lecture des lettres qu’elle reçoit. « J’ai reçu une gentille lettre hier de notre chère sœur Berthe. Elle me dit qu’elle te lit mes lettres à voix haute. Je m’en doutais un peu. Loin d’être gênée, j’en suis, il me semble, ravie » (MCPS, p. 216), écrit Roy, révélant ainsi qu’elle est consciente, au moment d’écrire ces petits tableaux, qu’ils seront lus à Bernadette par une personne se tenant réellement à ses côtés. À défaut d’accomplir réellement ces gestes, elle les écrit donc, préférant l’écriture à la présence physique à laquelle elle a choisi de se soustraire en quittant le chevet de Bernadette pour rentrer au Québec, vers la fin du mois de mars 1970.
De plus, ce pouvoir performatif accordé à la lettre chargée de se substituer à la destinatrice semble aller de pair avec la temporalité quotidienne qui marque non seulement le rythme de la correspondance, mais aussi son propos : si les lettres évoquent longuement les souvenirs passés des deux sœurs, on y lit aussi dans l’écriture de Roy une volonté de les inscrire dans le quotidien, comme pour prolonger son accompagnement de Bernadette. Elle écrit :
Es-tu allée ce matin à la petite salle à manger de l’infirmerie ? J’essaie de suivre tes gestes et tes allées et venues par l’imagination pour me sentir au plus près de toi, et je suis contente à n’en plus finir, maintenant de toutes ces visites que je t’ai faites et qui m’ont permis de mieux connaître ta vie, en sorte qu’à présent, je peux t’accompagner par la pensée presque tout au long de la journée. (MCPS, p. 181)
Quelques jours plus tard, l’autrice raconte avoir mangé une soupe délicieuse et regrette de ne pas pouvoir en envoyer un bol à sa sœur. Son ton est mi-blagueur, mi-sérieux : « De petites folies sans doute, n’empêche qu’elles ont leur importance, et que j’aurais donné cher pour te faire goûter ma soupe » (MCPS, p. 190). Ailleurs, elle déclare : « Je prends grand plaisir à t’écrire tous les jours. C’est devenu une agréable routine, si je peux dire, à laquelle j’accorde mes premiers soins, mes premières pensées, dès en me levant » (MCPS, p. 181). À la lumière de l’article de Melonas, ces phrases semblent exprimer un souci de l’autre encore plus grand qu’il n’y paraît :
The slowness of letter-writing in the way it consumes time signals something about one’s commitment to the other. When we unhinge ourselves from our daily to-dos and give over unmediated time to others through letter-writing, we signal to them that they are significant enough to penetrate and inhabit our time27.
C’est ce que ne cesse de faire Gabrielle Roy en insistant sur la présence de Bernadette dans ses pensées, ses prières, ses lettres : « Je ne passe pas deux minutes de la journée sans m’inquiéter de toi » ; « Toutes mes pensées du matin au soir et même la nuit en rêve sont pour toi » ; « Je n’ai pas une pensée que je ne partage pas aussitôt avec toi » (MCPS, p. 200, p. 193, p. 190). De plus, cette volonté d’accompagner sa sœur dans tous ses gestes et ses allées et venues va de pair avec l’importance toute particulière qui est accordée dans la correspondance à la matérialité des lettres. « [A] virtue of the letter resides also in the way it can function as an artifact, something to which I can return over and over again to receive the message(s) contained in them28 », explique Melonas. Gabrielle Roy semble partager ce souci de la matérialité, paraissant parfois imaginer la lettre comme un prolongement de la main qui l’a écrite. Car l’image des mains qui se tiennent, entre la caregiver et celle dont on prend soin, revient comme un leitmotiv dans la correspondance du printemps 1970 : « Tout le temps je tiens ta main dans la mienne » (MCPS, p. 195), rappelle fréquemment Roy à sa sœur. Ainsi, « le papier est investi d’une valeur affective forte29 » et la lettre, fétichisée, se charge de remplacer la main de l’autrice dans celle de Bernadette.
Écrire pour réparer
Alors que l’écriture épistolaire a parfois été envisagée comme une corvée par les écrivain·es qui l’ont pratiquée assidûment30 – puisqu’elle vole du temps à la création – ce n’est pas le cas de Gabrielle Roy pour qui cette correspondance ne semble pas être perçue comme un obstacle au travail de création, mais plutôt comme un espace où il peut, au contraire, tout à fait prendre forme. À peine trois semaines avant la mort de Bernadette, elle lui écrit :
Si j’écris un autre livre, ma Bernadette, crois-moi, il sera dû en grande partie à ton œuvre sur moi. Il sortira d’une âme épurée par ton exemple. C’est aussi que tu me souffleras ce qu’il faut dire aux hommes à propos de la souffrance, à propos de la séparation, à propos de notre réunion et de notre retour dans l’amour triomphant. » (MCPS, p. 207)
Ce livre naîtra bel et bien : en 1972, deux ans après la mort de Bernadette, Gabrielle Roy fait paraître Cet été qui chantait, recueil de dix-neuf nouvelles qu’elle décrira plus tard dans son autobiographie comme « un livre étrange, […] qui, sous une apparence de légèreté, baigne au fond dans la gravité. Quelles que soient ses lacunes, il a du moins le mérite […] d’être à l’image de Dédette, âme enfantine, âme candide, âme au long tourment refoulé31 ». Bien qu’il ne soit pas explicitement question de sa défunte sœur dans Cet été qui chantait, la correspondance agit comme une sorte de « réservoir d’images32 » pour le recueil dont les nouvelles se situent à Petite-Rivière-Saint-François, petite municipalité québécoise où l’autrice avait une résidence d’été ; à l’été 1965, Bernadette, Clémence et elle y ont passé un séjour mémorable dont il est souvent question dans les lettres de 1970. Cependant, Roy ne fait pas qu’écrire sous le regard de Bernadette en se servant d’elle comme prétexte à la création : elle écrit, elle crée véritablement pour elle. Elle paraît vouloir considérer ses lettres comme étant le fruit d’un véritable travail littéraire – elle a d’ailleurs explicitement formulé le souhait qu’elles soient publiées avant de mourir – mais tout indique qu’elle conçoit ce travail créatif comme investi du pouvoir de consoler, comme encore une manière de réconforter Bernadette à distance. Dans La détresse et l’enchantement, elle raconte, à propos des semaines passées au chevet de sa sœur : « Ma sœur mourante m’écoutait. Seuls mes récits de voyage ou la description des heures heureuses de la vie la distrayaient, on aurait dit, de la douleur de s’en aller33. » Or, c’est justement ce qu’elle s’applique à décrire à Bernadette dans ses lettres : des souvenirs de leur séjour à Petite-Rivière-Saint-François, des descriptions de la nature à laquelle elle sait sa sœur sensible ou encore tout simplement des petites joies quotidiennes. Ainsi, elle « fait appel à tous les pouvoirs de l’écriture pour convaincre Bernadette qu’elle n’est pas seule34 », pour prendre soin d’elle en la faisant sourire, en la faisant voyager, en lui rappelant des souvenirs heureux. Mais aussi pour donner, dans ses lettres, un sens à la vie de renoncements qu’a vécue Bernadette, entrée en religion à l’âge de onze ans. Alors que la religieuse est prise de certains regrets à l’approche de la mort, « la tâche de Gabrielle Roy est donc à la fois incommensurable et très claire : convaincre Bernadette que sa vie de sacrifices a été réussie35 », explique Saint-Martin. En avril, Roy écrit :
Tu m’avouais un jour que tes longues, longues années d’enseignement t’ont paru en un sens restreintes, et sans doute est-ce vrai, et le sacrifice que tu as fait alors de ta liberté est incommensurable, mais ce que tu ne vois peut-être pas bien toi-même, c’est à quel point des enfants, une génération après une autre, te sont redevables de ce meilleur de toi que tu donnais sans relâche. (MCPS, p. 195)
C’est ainsi que cette correspondance peut être conçue comme étant écrite à la deuxième personne, en ce qu’elle se dédie à recréer, par l’écriture épistolaire, le sens et la portée de l’existence d’autrui. Bernadette y est célébrée sans réserve, décrite comme une sorte de sainte par sa sœur qui paraphrase régulièrement ce qu’elle imagine Dieu se dire au sujet de Bernadette, se souciant là encore de formuler ses éloges de manière à ce qu’elles soient les plus douces possibles à leur destinataire :
Il doit se dire : « Cette enfant-là, cette Bernadette, rien n’a été perdu pour elle de ce que j’ai fait de charmant, de merveilleux, de ravissant. […] Je n’ai pas travaillé en vain pour elle. […] Et ma Bernadette a accompli l’essentiel qui est d’enseigner à aimer. Pour sa récompense je vais lui accorder de choyer particulièrement toutes les affections qu’elle a sur la Terre. De les choyer sans cesse et toujours. » (MCPS, p. 205)
Dévouée à la soulager de ses tourments, Gabrielle offre à Bernadette le récit de sa propre vie, un récit magnifié par sa plume et imprégné de sollicitude. « Le pouvoir réparateur de l’écriture a rarement été si grand36 », constate Saint-Martin.
Il est juste de parler d’un véritable pouvoir accordé à l’écriture dans cette correspondance, car il y a lieu de se demander : si Roy tenait tant à accompagner sa sœur dans ses derniers jours, pourquoi ne pas être restée physiquement auprès d’elle, au Manitoba ? Comme le suggèrent François Ricard et Ariane Léger, « [s]i elle laisse à d’autres le soin de pourvoir aux besoins matériels ou plus immédiats des êtres qui lui sont chers […], c’est peut-être après tout parce que l’écriture reste, tant dans la sphère publique que dans l’intimité, ce qu’elle a de mieux à offrir37. » Au-delà de l’expression d’un sentiment de sollicitude, l’écriture est investie d’un réel pouvoir performatif par l’épistolière qui ne cesse de dire sa volonté d’agir sur le réel, de prendre soin, de consoler, par l’écriture de ces lettres. Ce corpus épistolaire à la vocation si singulière permet ainsi « une profonde réflexion sur les pouvoirs de l’écriture38 » ; dans la tension entre proximité et distance qui caractérise le genre épistolaire, il permet de penser la lettre comme moyen légitime et privilégié de prendre soin d’autrui.
Bibliographie
AMOSSY, Ruth, « La lettre d’amour, du réel au fictionnel », in Jürgen Siess, Jean-Michel Adam, (éds.). La lettre entre réel et fiction, Paris, Sedes, 1998, (« Questions de littérature »), p. 74‑96.
BRUGÈRE, Fabienne, L’éthique du « care », Paris, Presses Universitaires de France, 2021 [2011], (« Que sais-je ? »).
DESCHÊNES, Marjolaine, « Les ressources du récit chez Gilligan et Ricœur : peut-on penser une “littérature care” ? », in Julie Perreault, Sophie Bourgault, (éds.), Le care. Éthique féministe actuelle, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 2015, p. 207‑227.
DIAZ, Brigitte, « Correspondances d’écrivain au XIXe siècle : La valeur critique ajoutée », in Alain Tassel, (éd.). Valeurs et correspondance, Paris, L’Harmattan, 2010, (« Narratologie »), p. 53‑71.
GENUIST, Paul, « Gabrielle Roy, personnage et personne », in Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest et Fauchon, André, (éds.). Langue et communication : les actes du neuvième Colloque du Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest tenu au Collège universitaire de Saint-Boniface les 12, 13 et 14 octobre 1989, Saint-Boniface, CEFCO, 1990, p. 117‑125.
GILLIGAN, Carol, In a Different Voice: Psychological Theory and Women’s Development, Cambridge, Harvard University Press, 1993 [1982].
HAROCHE-BOUZINAC, Geneviève, L’épistolaire, Paris, Hachette, 1995, (« Contours littéraires »).
HELD, Virginia, The Ethics of Care: Personal, Political, and Global, Oxford, Oxford University Press, 2006 [2005].
MARCOTTE, Sophie, « La lettre au service du roman », Lingua Romana, Vol. 9 / 1, 2011, p. 19‑27, [En ligne : https://linguaromana.byu.edu/files/2016/06/Lingua-Romana-Marcotte-j.pdf].
MELONAS, Desireé R., « “Hey mama;” “Dear Sister;” “Sister Love”: Black Women’s Healing and Radical Self-Care through Epistolary Work », Journal of Women, Politics & Policy, Vol. 42 / 1, 2021, p. 38‑57, [En ligne : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/1554477X.2021.1870090].
RICARD, François, « Présentation », in Dominique Fortier, Jane Everett, François Ricard, (éds.). Ma chère petite soeur. Lettres à Bernadette, 1943-1970, Montréal, Boréal, 1999 [1988], p. 7‑12.
ROY, Gabrielle, Femmes de lettres. Lettres à ses amies, 1945-1978, Éds. Ariane Léger et François Ricard, Montréal, Québec, Boréal, 2005, (« Les cahiers Gabrielle Roy »).
ROY, Gabrielle, La détresse et l’enchantement, Montréal, Boréal, 1984, (« Boréal express »).
ROY, Gabrielle, Ma chère petite soeur. Lettres à Bernadette, 1943-1970, Éds. François Ricard, Dominique Fortier et Jane Everett, Montréal, Boréal, 1999 [1988], (« Les cahiers Gabrielle Roy »).
SAINT-MARTIN, Lori, « “Au plus près possible de vous tous” : deuil, distance et écriture dans la correspondance de Gabrielle Roy », in Benoît Melançon, Pierre Popovic, (éds.). Les Femmes de lettres : écriture féminine ou spécificité générique? : actes du colloque tenu à l’Université de Montréal, le 15 avril 1994, Montréal, Centre universitaire de lecture sociopoétique de l’épistolaire et des correspondances (CULSEC), Université de Montréal, 1994, p. 117‑135.
TRONTO, Joan C., Moral Boundaries: A Political Argument for an Ethic of Care, New York, Routledge, 1993.
-
Gabrielle Roy, La détresse et l’enchantement, Montréal, Boréal, 1984, (« Boréal express »), p. 213.↩
-
Ibidem, p. 215.↩
-
François Ricard, « Présentation », in Dominique Fortier, Jane Everett, François Ricard, (éds.). Ma chère petite soeur. Lettres à Bernadette, 1943-1970, Montréal, Boréal, 1999 [1988], p. 7‑12, p. 11. Nous soulignons.↩
-
Fabienne Brugère, L’éthique du « care », Paris, Presses Universitaires de France, 2021 [2011], (« Que sais-je ? »), p. 50.↩
-
Joan C. Tronto, Moral Boundaries: A Political Argument for an Ethic of Care, New York, Routledge, 1993, p. 104.↩
-
Ibidem, p. 104.↩
-
Voir notamment les travaux de Marjolaine Deschênes, d’Alexandre Gefen, de Maïté Snauwaert, de Dominique Hétu ainsi que du projet de recherche À votre service : figures ambivalentes du care dans le roman français de 1870 à 1945.↩
-
Cf. Marjolaine Deschênes, « Les ressources du récit chez Gilligan et Ricœur : peut-on penser une “littérature care” ? », in Julie Perreault, Sophie Bourgault, (éds.). Le care. Éthique féministe actuelle, Montréal, Éditions du Remue-ménage, 2015, p. 207‑227.↩
-
Desireé R. Melonas, « “Hey mama;” “Dear Sister;” “Sister Love”: Black Women’s Healing and Radical Self-Care through Epistolary Work », Journal of Women, Politics & Policy, Vol. 42 / 1, 2021, p. 38‑57. Comme l’indique son titre, l’article de Melonas s’intéresse spécifiquement au rapport des femmes Noires à l’écriture épistolaire, se penchant à la fois sur sa propre correspondance avec sa grand-mère ainsi que sur celle d’Audre Lorde et de Pat Parker. L’expérience de ces épistolières racisées ne peut donc pas être comparée sans précautions à celle de Gabrielle et Bernadette Roy, mais compte tenu que très peu de travaux ont été consacrés aux liens entre le care et l’écriture épistolaire et que cet article propose également une réflexion globale sur la question de la lettre comme espace possible de care, la pensée de Melonas nous semble particulièrement pertinente pour éclairer le corpus épistolaire qui nous intéresse.↩
-
Ibidem, p. 38.↩
-
Ibidem, p. 39. Pour le dire rapidement, Melonas entend par « radical self-care » le fait d’accepter consciemment de recevoir l’affection, la validation et le réconfort d’autrui dans un contexte où l’on attend d’elle, en tant que femme Noire, qu’elle se résigne à « the idea that Black women aren’t worthwhile » (Ibidem, p. 43).↩
-
Fabienne Brugère, op. cit., p. 47.↩
-
Desireé R. Melonas, op. cit., p. 38.↩
-
Ibidem, p. 40.↩
-
Lori Saint-Martin, « “Au plus près possible de vous tous” : deuil, distance et écriture dans la correspondance de Gabrielle Roy », in Benoît Melançon, Pierre Popovic, (éds.). Les Femmes de lettres : écriture féminine ou spécificité générique? : actes du colloque tenu à l’Université de Montréal, le 15 avril 1994, Montréal, Centre universitaire de lecture sociopoétique de l’épistolaire et des correspondances (CULSEC), Université de Montréal, 1994, p. 117‑135, p. 132.↩
-
Gabrielle Roy, Ma chère petite soeur. Lettres à Bernadette, 1943-1970, Éds. François Ricard, Dominique Fortier et Jane Everett, Montréal, Boréal, 1999 [1988], (« Les cahiers Gabrielle Roy »), p. 182. Dorénavant, les références à cet ouvrage seront indiquées entre parenthèses dans le corps du texte par le sigle MCPS suivi du numéro de page.↩
-
Lori Saint-Martin, op. cit., p. 126.↩
-
« À défaut d’être elle-même présente, Gabrielle est la médiatrice de leurs rencontres », fait remarquer Saint-Martin, s’interrogeant sur les contradictions dans le discours de Roy qui d’un côté, ne cesse d’écrire qu’elle aimerait revoir ses sœurs, mais de l’autre, se dérobe dès que l’occasion se présente (Ibidem, p. 127).↩
-
Gabrielle Roy, Femmes de lettres. Lettres à ses amies, 1945-1978, Éds. Ariane Léger et François Ricard, Montréal, Québec, Boréal, 2005, (« Les cahiers Gabrielle Roy »), p. 162.↩
-
Ruth Amossy, « La lettre d’amour, du réel au fictionnel », in Jürgen Siess, Jean-Michel Adam, (éds.). La lettre entre réel et fiction, Paris, Sedes, 1998, (« Questions de littérature »), p. 74‑96, p. 74.↩
-
Paul Genuist, « Gabrielle Roy, personnage et personne », in Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest et FauchonAndré, (éds.). Langue et communication : les actes du neuvième Colloque du Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest tenu au Collège universitaire de Saint-Boniface les 12, 13 et 14 octobre 1989, Saint-Boniface, CEFCO, 1990, p. 117‑125, p. 120.↩
-
Gabrielle Roy, op. cit., p. 216.↩
-
Lori Saint-Martin, op. cit., p. 124.↩
-
Carol Gilligan, In a Different Voice: Psychological Theory and Women’s Development, Cambridge, Harvard University Press, 1993 [1982], p. 74.↩
-
Virginia Held, The Ethics of Care: Personal, Political, and Global, Oxford, Oxford University Press, 2006 [2005], p. 29.↩
-
Notons que la répétition des points de suspension à la fin des phrases suggère un ton lent, caressant qui évoque là-aussi la berceuse ou du moins, un ton se voulant réconfortant.↩
-
Desireé R. Melonas, op. cit., p. 47.↩
-
Ibidem, p. 42.↩
-
Geneviève Haroche-Bouzinac, L’épistolaire, Paris, Hachette, 1995, (« Contours littéraires »), p. 41.↩
-
Cf. Brigitte Diaz, « Correspondances d’écrivain au XIXe siècle : La valeur critique ajoutée », in Alain Tassel, (éd.). Valeurs et correspondance, Paris, L’Harmattan, 2010, (« Narratologie »), p. 53‑71.↩
-
Gabrielle Roy, op. cit., p. 217.↩
-
Sophie Marcotte, « La lettre au service du roman », Lingua Romana, Vol. 9 / 1, 2011, p. 19‑27, p. 21.↩
-
Gabrielle Roy, op. cit., p. 160.↩
-
Lori Saint-Martin, op. cit., p. 130.↩
-
Ibidem, p. 122.↩
-
Ibidem, p. 122.↩
-
Gabrielle Roy, op. cit., p. 11.↩
-
Lori Saint-Martin, op. cit., p. 117.↩
Gabrielle Flipot Meunier est étudiante à la maîtrise en littératures de langue française à l’Université de Montréal. Sous la direction d’Andrea Oberhuber, son mémoire porte sur la notion de dépersonne dans les trois premières œuvres de Nelly Arcan (Putain, Folle et À ciel ouvert). Elle a notamment présenté en 2022, dans le cadre du colloque « Espaces · Sexualités · Pouvoirs », une communication intitulée « “Une même figure d’homme sans origine ni avenir” : la représentation sérielle des hommes comme stratégie de résistance dans Putain de Nelly Arcan ». Elle fait partie du comité scientifique de la revue Fémur.