Sanna Mansouri, 2e cycle, Université de Montréal
Résumé : À partir d’un récit personnel, le texte propose de réfléchir à l’accessibilité au milieu littéraire à partir d’une perspective intersectionnelle marquée par le genre, la classe et la race. En faisant des parallèles avec les ouvrages Illégitimes de Nesrine Slaoui et Là où je me terre de Caroline Dawson, deux romans qui traitent de la question de la classe sociale et de l’immigration, la narratrice s’interroge à la fois sur les obstacles que subissent les personnes marginalisées dans le milieu littéraire, mais aussi les stratégies monopolisées pour pouvoir naviguer à l’intérieur de celui-ci.
La banlieue influence Paname
Paname influence le monde
Médine
J’ai eu ma phase « wesh » à l’adolescence. Crise d’identité classique. Je m’exprimais dans un slang très montréalais, toujours en survêt Adidas, du rap dans les oreilles. Je lisais des chroniques sur Skyrock, ces histoires d’amour qui décrivent la vie de cité en France. Des récits qui évoquent l’intersection entre la classe, la race et le genre — avec leur lot de problématiques — des adolescentes confrontées à une vision du couple toxique et tous les clichés possibles sur nos communautés. Malgré cela, je me retrouvais dans ces histoires, elles imprégnaient mon imaginaire. Arrête de faire ta racaille, t’es pas crédible dans ta banlieue de la Rive-Sud. Mes références culturelles étaient le symptôme d’un manque criant de représentation dans la culture québécoise. Personne ne parlait de mes enjeux. J’érigeais alors des parallèles entre les jeunes issus de l’immigration en France et moi, alors que nous ne partagions pas du tout la même réalité. Je me cherchais dans des livres, à la télé, mais je ne trouvais rien. Ça ne vend pas assez, c’est ce qu’on me disait tout le temps. Aujourd’hui, je me retrouve dans la voix de Nesrine Slaoui. Son roman, Illégitimes, porte sur son expérience en tant que fille d’immigré·e·s de milieu populaire en France. Je me retrouve également dans la voix de Caroline Dawson, écrivaine québécoise d’origine chilienne. Là où je me terre retrace son parcours d’immigrante de première génération et les difficultés liées à son intégration dans le pays d’accueil. Enfin, je reconnais des bribes de mon parcours à travers ces voix, enfin, je ne suis plus seule.
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Nous ne sommes pas beaucoup, mais combien sommes-nous ? C’est dur à dire. Dans mon cas, mon père n’a pas complété l’école primaire. Il est venu au Québec en se cachant dans un bateau à l’âge de dix-huit ans, avec comme seule arme son corps pour travailler. Son corps, temple de ses cicatrices, rien que ses mains craquelées nous disent toutes les jobs qu’il n’a pas eu le luxe de refuser. Ma mère, elle, n’avait pas l’équivalent du secondaire cinq. Selon une étude publiée en 2019 par Pierre Canisius Kamanzi, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Montréal, seulement 20 % des jeunes entreprennent des études universitaires lorsque leurs parents ont l’équivalent d’un DES. Toutefois, si un des deux parents a un diplôme universitaire, 60 % entreprennent des études universitaires1. Les miens n’ont même pas l’équivalent d’un DES, je suis donc exclue de ces statistiques. Dans le contexte français, on peut mettre en lumière similaire : « Les enfants d’ouvrier représentent 12 % de l’ensemble des étudiants, selon les données 2019-2020 du ministère de l’Éducation nationale. […] À l’opposé, les enfants de cadre supérieur représentent 34 % des étudiants2. » Comme Nesrine Slaoui l’explique :
Je suis un bug dans la matrice. Je suis une miraculée de la reproduction sociale, un accident, une erreur sociologique. Une chose est sûre, nous sommes peut-être de plus en plus nombreux, mais nos mérites individuels, notre travail et nos sacrifices, nos chances aussi et nos privilèges ne doivent pas favoriser l’idée que la France jouirait d’un système juste et égalitaire. La méritocratie reste un fantasme. L’inégalité des chances, l’inégal accès à l’éducation reste la norme3.
C’est ce qu’il y a en commun entre moi, Nesrine Slaoui, Caroline Dawson et d’autres auteur·ice·s du milieu littéraire. Au-delà du fait que nous sommes des femmes et des personnes issues de l’immigration, au-delà de toute la superposition des catégories de discrimination (sexualité, âge, religion, statut administratif, handicap, etc.4), nous venons de milieux précaires : nos parcours témoignent d’un bug dans la matrice.
Obligé de faire deux fois plus que les autres
c’est le quotidien de ma mif
Kalash Criminel
En secondaire trois, je gagne une carte-cadeau du Renaud-Bray. Gros malaise. Je n’ose pas demander à mes ami·e·s ce qu’on vend dans ce magasin. Alors je demande à mes parents. Bah c’est une librairie. Ah ouais, pourquoi on y va jamais alors ? Bah tu sais déjà lire non ? Et on te passe des livres à l’école. Mes deux parents viennent d’un quartier populaire en Algérie, ils ne sont pas branchés culture, livres, musées, tout ça. Je me rappelle ma première fois en librairie comme un fou bagay. Toutes les nouveautés, les séries que j’ai déjà commencé, de titres que je ne connais pas encore. J’hésite entre le nouveau tome d’Aurélie Laflamme, le dernier roman de Meg Cabot, un Chevaliers d’Émeraude ou un Percy Jackson. Mon père me fout la pression, j’ai cinq minutes pour choisir un livre. Le choix le plus compliqué de ma life. Yallah dépêche-toi, on va pas passer la journée ici. Je me rabats sur un CD de High School Musical, il y a trop de livres, impossible d’en sélectionner un seul. Encore aujourd’hui, ma mère ne comprend pas pourquoi j’achète des livres. Dépense ton argent sur des trucs utiles machi f’smata hadi. C’est peut-être ça la différence. Enfant, quand nous sommes précarisés, mais que notre entourage a eu accès à l’éducation, nous allons à la bibliothèque. Lorsque nous venons d’un milieu précaire, mais où la culture du livre n’est pas valorisée, nous apprenons à l’âge de quinze ans que Renaud-Bray est une librairie, et beaucoup plus tard, qu’il faut encourager les librairies indépendantes. Chaque bouquin dans ma bibliothèque devient donc une petite victoire.
Tout enfant d’immigré est en mission
Kery James
Au primaire, ma mère me dit de me concentrer sur les mots de la semaine pour la dictée, que je n’ai pas besoin de lire de livres, qu’ils peuvent être une source de distraction. Elle voit bien que j’aime trop ça. Naïvement, elle pense qu’il me suffit de me concentrer uniquement sur les mathématiques et les sciences pour qu’un jour je devienne médecin. C’est ce qu’elle me dit tout le temps, Inchallah tu seras médecin ou dentiste. Tout le système d’éducation lui échappe, mais elle me rabâche sans arrêt que je dois aller à l’université. Depuis que j’ai cinq ans, je sais que je dois aller à l’université, même si à cet âge je ne sais pas encore ce qu’est le secondaire. L’acquisition d’un diplôme est le but ultime. Si j’échoue, elle perd la face devant toute la famille, tous ses sacrifices en vain. Je n’ai jamais eu le droit de me planter. C’est noir ou blanc, soit je deviens médecin, soit je suis un échec. J’ai toujours eu l’impression que chaque examen pouvait déterminer mon destin.
J’m’en bats les couilles que t’aies fait la Sorbonne
Damso
Parfois, lors de conversations banales autour d’un verre, j’entends les autres parler de Deleuze, Derrida, Lacan et je souris bêtement en hochant la tête. La vérité, la vraie vérité, c’est que je ne pige rien à ce qu’ils disent. J’essaye de rattraper mon retard, de lire et relire ces auteurs, mais bien souvent ça me dépasse. Je pensais être la seule, mais en lisant le roman de Nesrine Slaoui, j’ai constaté que nous utilisions les mêmes méthodes pour pallier notre manque de culture générale : « En classe préparatoire, je notais sur mon téléphone ou à la marge de mes cahiers les références qui me manquaient. Les films que je n’avais pas vus, les livres que je n’avais pas lus, les expositions que je n’avais pas visitées… Je ne me suis jamais sentie aussi bête et incompétente5. » En commençant l’université en littérature, je n’avais clairement pas les codes, alors je regardais les autres faire et j’agissais par mimétisme, comme Nesrine Slaoui. Je me disais que je finirais par passer crème, qu’on allait de moins en moins percevoir mon retard. Nous développons tous·tes des stratégies différentes. Caroline Dawson, quant à elle, essayait de se fondre dans la masse, jouait le rôle de la parfaite immigrante intégrée :
J’avais appris la langue, je disais oui, je disais merci, je sacrais avec parcimonie et au bon moment. Je ne demandais jamais rien, travaillais d’arrache-pied à l’école comme mes parents faisaient à laver les toilettes. Si parfaite que je n’avais pas d’accent, pas de dettes, pas de fardeau, pas de récrimination6.
Incarner ce modèle d’intégration. C’est fou le nombre de fois où on m’a dit que j’étais bien intégrée, et ce, même si je suis née ici. Mais, pour eux, c’est toute la même affaire. Si t’as des caractères qui te racialisent, on acclamera ton intégration, ou au contraire, on te reprochera de ne pas être suffisamment intégré·e. On m’a dit tellement de fois que je ne suis pas comme les autres arabes, parce que je ne porte pas le voile, parce que je parle bien français. On me dit que je ne fais pas de vagues, que je ne demande pas d’accommodements raisonnables, que je sais prendre ma place de citoyenne de seconde zone. On n’utilise pas ce terme, mais c’est ce que ça veut dire. Tant que je ne revendique rien, que je pérennise mon mutisme, que ma culture d’origine et ma religion restent chez nous et pas dehors, tant que je ne parle pas arabe en public avec mes parents, on continuera à me donner une tape dans le dos. Bravo ma grande, t’es une vraie bonne Québécoise bien intégrée. Sois Québécoise et tais-toi, remercie-nous et tais-toi, ne remets pas en question le statu quo parce que sinon dehors, ferme ta gueule et retourne dans ton pays ! Ce qui est compliqué pour moi qui suis née ici…
Deux poids, deux mesures en fonction d’ta voix, ton allure
Ton aisance du langage dans la guerre du langage
Ce monde peut cerner d’où tu viens
Humain, tu restes emprisonné par tes habitus
Rocé
En occident, la culture générale est bâtie sur des référents blancs et bourgeois. Il est difficile d’imaginer comment ça peut être pénalisant lorsqu’on n’a pas accès à cette culture dominante : « Je m’étais rendu compte que les élèves favorisés baignaient tellement dans cette culture, qu’elle relevait de l’évidence, d’une base commune, que les cours devenaient un échange complice entre les professeurs et eux. Une complicité de classe que j’enviais7 ». Ce décalage sur le plan des références perturbe aussi Caroline Dawson, qui raconte que lorsque ses ami·e·s lui parlaient des dernières pièces de théâtre vues avec leur mère à L’Espace Go, d’Émile Ajar, de Peter Handke, de Céline, elle se voyait dès lors de l’autre côté d’une tranchée de plus en plus profonde8. Ces différences, comme l’explique si bien Caroline Dawson, ils en faisaient « une affaire de choix personnel, d’école, pas de classe et encore moins de race, comme si à leur niveau ça n’importait plus. Ils parlaient l’universel comme si nos expériences étaient similaires et nos cultures identiques9 ». Je voulais, moi aussi, citer les noms prestigieux, acclamés, les incontournables. J’étais toujours à deux doigts d’haïr ma culture, d’en avoir honte. Pourtant, bien que populaire, passant principalement par le rap, elle m’en a beaucoup appris sur l’histoire des oublié·e·s, des opprimé·e·s. Kery James parlait du racisme systémique et du postcolonialisme avant même l’émergence de tous ces colloques sur ces sujets dans les universités francophones. Je n’ai pas attendu de lire Leïla Sebbar pour connaitre les événements d’octobre 1961, c’est Médine qui me les a racontés dans son album Table d’écoute. Lors de mon voyage à Paris, la Seine ne me semblait pas neutre. Je ne la voyais pas comme n’importe quel touriste, je la regardais et me demandais quel réflexe aurait mon corps si je le laissais tomber dans l’eau glaciale. Est-ce qu’il arrêterait de se débattre et se laisserait couler ? Ici on noie les Algériens. Je ne l’ai pas fait. Je ne le ferai pas, du moins pas là. Pour rendre justice à la dignité qu’on a tenté de nous enlever. Le duc l’a dit : les vainqueurs l’écrivent, les vaincus racontent l’histoire.
Je viens de loin et vu mon teint
j’dois faire les choses bien
La Fouine
Elle se prend pour Victor Hugo. C’est ce que mon père dit chaque fois qu’il me voit avec un bouquin dans les mains. Pendant un an, il me fait croire qu’il a lu le livre et pour le prouver il me parle de Jean Valjean et de Cosette, alors qu’en réalité il a seulement regardé un des films. Ça reste tout de même son préféré. Tu sais ma fille, j’aurais jamais cru que j’aurais travaillé toute ma vie comme un chien pour que tu étudies en littérature. T’aurais pas pu être médecin, dentiste, je sais pas moi. Je détourne le regard. Honteuse, car je sais qu’il a vécu une hess pas possible pour en être là aujourd’hui. Honteuse, car je le vois chaque jour enchainer deux boulots pour payer les factures. Tu es la première de la famille à être allée à l’université. Je suis quand même fier de toi benti.
Nous taffons, nous taffons, nous taffons
La rage qui nous porte vient des bas fond
S.Pri Noir
Je me confie à mes pairs. Iels sont sceptiques. Girl, en littérature on est tous·tes broke. Ouais, mais on oublie que nos études universitaires, quel que soit le diplôme, et avoir la possibilité d’écrire, de produire des articles, de participer à des concours, d’œuvrer pour le domaine littéraire at large, tout ça fait en sorte que nous faisons partie de la classe dominante : « davantage en termes de capital social et culturel qu’en termes de capital financier certes, mais dominante quand même10 ». On rabâche tous·tes cette théorie de Bourdieu, c’est plus fort que nous, en tant que transfuges de classe elle nous saute aux yeux : « Le langage sociologique disait classe sociale, exploitation, capital culturel, social, symbolique. […] On mettait des mots sur ma réalité11. » Souvent, mes pairs ont de la difficulté à percevoir les filets de sécurité qui les entourent. Ne pas s’apercevoir de ses propres privilèges en participant au milieu littéraire est un point aveugle. Ne pas s’apercevoir du capital culturel qu’il procure et de la violence symbolique qu’il inflige est un point aveugle. Ne pas remarquer que sa réussite scolaire n’est pas seulement tributaire de ses efforts est un point aveugle. Pour nous, il n’est pas possible d’ignorer la part que joue « la transmission héréditaire du capital culturel12 » et « [son] poids d’autant plus grand dans le système des stratégies de reproduction que les formes directes et visibles13 ». Nesrine Slaoui, quant à elle, donne un exemple marquant : « Si la réussite scolaire ne dépendait pas des pratiques extérieures de l’école, peu importerait que vous ayez vu tous les ballets de Tchaïkovski ou des concerts de Patrick Sébastien14. » En effet, ces différences sociales ne seraient pas un problème si elles ne fabriquaient pas au passage des inégalités.
* * *
Travailler fort, parce que je sais que c’est l’issue de secours pour briser le cycle, mais ce n’est pas gagné et surtout ça ne suffit pas toujours. La sociologue montréalaise Bochra Manaï, formule que « l’institution scolaire est un des espaces dans lesquels se jouent les enjeux d’inclusion et d’exclusion, de racisme, de reconnaissance ou d’invisibilisation15 ». Dans son ouvrage, elle mentionne que les étudiant·e·s mettent en place des stratégies de contournement pour pouvoir naviguer dans certains espaces stigmatisants. En portant un regard sur la question avec une approche intersectionnelle, c’est-à-dire une approche qui analyse « des processus historiques et sociaux, des logiques de productions des hiérarchies et discriminations16 », il est possible de constater que nos expériences scolaires sont non seulement ponctuées d’embuches à cause du processus de racialisation, mais également à cause d’un autre nœud qui est celui de la classe sociale. Je réalise, lors d’un séminaire, que les personnes qui ont un parcours similaire au mien ne sont pas forcément toujours les personnes racisées. Au contraire, la personne avec qui je partage le plus de struggles vient de Rimouski, de la classe ouvrière. Lorsque cette personne est venue à Montréal étudier en littérature, elle a dû apprendre tous les codes. Toutefois, pour les personnes racisées, en plus des enjeux liés à la classe, l’approche intersectionnelle permet précisément de mettre en lumière les croisements entre plusieurs rapports sociaux de pouvoir tout en permettant de penser leurs articulations17.
Une des stratégies de contournement proposées par Bochra Manaï est de choisir certaines filières plutôt que d’autres, puisque certains milieux sont perçus comme plus excluants lorsque nous nous retrouvons au croisement de plusieurs systèmes d’oppression18. C’est pour cette raison que les personnes racisées et précaires n’abondent pas dans notre programme à l’université, et plus largement dans le domaine littéraire. Les personnes qui vivent les oppressions de classe, lorsqu’elles accèdent à l’université vont préférer investir des domaines où il y a de meilleures perspectives d’emploi, des emplois plus sécuritaires pour faire rentrer la moula. C’est ce que mon ami Hicham m’a dit une fois à la cafétéria : Toi et moi, on n’étudie pas pour les mêmes raisons. Moi, j’étudie pour skur le plus rapidement possible et ramasser de l’oseille, faut que l’école soit worth it. Toi, tu étudies parce que t’as une passion, et même si t’as d’la chance de faire ce que t’aime, c’est pas le moyen le plus easy pour te sortir de la hess. D’ailleurs, veux-tu vraiment sortir de la galère ? Mon ami Hicham, comme tant d’autres personnes avec qui j’ai grandi, n’a pas eu le luxe d’étudier dans ce qu’il aime, il devait faire un choix rentable : considérer ses frais de scolarité comme un investissement.
Au lieu de compter les noirs dans ton festival
J’veux qu’on nomme une rue Aya Nakamura
Médine
À l’Institut du monde arabe, je brandis le livre Le bréviaire arabe de l’amour d’Ahmed Ibn Souleiman. J’explique à Mehdy qu’il s’agit d’un genre de Kamasoutra arabe qui commence par Bismilah Al Rahman Al Rahim. Je passe dix minutes à lui faire un speech sur ce bouquin, il se décide finalement à l’acheter. Une fois à la caisse, il se retourne et me regarde ébahi. Tema Sanna, on est les seuls rebeus dans la librairie de l’Institut du monde arabe. C’est ouf quand même. Il a raison. C’est trop wrong. Mais je lui rappelle qu’au moins, à Paris, il y en a un institut, et surtout une librairie spécialisée.
Sortis de nulle part, c’était écrit, c’est pas un hasard
Un jour notre blaze s’ra gravé dans la roche
Sniper
Rien ne me prédestinait à la littérature. Je commence le cégep en me disant que les cours de littérature sont intéressants, mais une source de distraction, puisqu’ils m’enlèvent du temps précieux que je pourrais consacrer à mes cours de calcul différentiel ou de biologie. Je pensais faire un truc qui ramènerait de l’argent, qui me permettrait de faire sortir de la hess mes cousins au bled, qui rendrait fiers mes parents. Le père de mon amie disait : Je travaille dur pour que tu puisses avoir un diplôme et tu auras un diplôme pour que tes enfants puissent être artistes s’ils le veulent. En allant en littérature, c’est comme si j’avais skippé une génération, créé un bug dans le processus. Je n’ai pas choisi la voix de la raison, Caroline Dawson non plus en étudiant en sociologie, de même pour Nesrine Slaoui, qui a choisi de faire du journalisme : « Pour avoir discuté avec de nombreux étudiants de grandes écoles issus de milieux populaires, beaucoup ont choisi des écoles de commerce ou des masters en finance pour devenir cadre le plus rapidement possible et s’épargner la précarité19 ». Mon entourage essayait de me prévenir : Tu ne vas pas réussir. C’est précaire, tu peux pas te le permettre. C’est pas les gens comme nous qui percent en littérature. C’est une chance sur je ne sais pas combien, si tu veux publier, enseigner, c’est perdu d’avance. Je ne peux pas leur en vouloir. Moi-même, je n’y crois pas vraiment ; malgré ces quelques écrivaines, ces modèles, le manque de représentation se fait sentir :
Nous avons besoin de référents, ce sont des modèles qui nous aimantent, nous conduisent à nous affranchir des rôles préétablis. C’est en s’identifiant à d’autres, des hommes et des femmes comme nous, partis de rien, que le rêve peut naître et le désir émerger. La représentativité a un impact puissant. Évidemment elle ne suffit pas. C’est un pansement sur une fracture20.
On dit que les jeunes issus de l’immigration ont un bon taux de diplomation ; on l’explique souvent par les critères d’immigration au Canada où les gens sont sélectionnés pour leur diplôme21. Lors d’une soirée, une amie marocaine qui a grandi en France et qui est venue s’installer au Québec est surprise d’apprendre que mes parents n’ont pas de diplômes : Je pensais que l’immigration au Québec se faisait sous cette sélection. Qu’il fallait avoir des diplômes pour pouvoir immigrer ici. À demi-mot, en arabe, pour que personne ne comprenne, je lui explique comment mon père a atterrit ici. Ébahie, elle est encore plus impressionnée par mon parcours : Incroyable ! Ça sort vraiment du commun. Finalement, le manque de représentation et les conditions matérielles très peu disponibles font que nous ne sommes pas nombreux à nous permettre une vocation dans un domaine artistique ou des sciences sociales. Est-ce que nous y pensons même ? Je m’attarde sur le parcours académique parce que 81 % des écrivain·e·s qui publient au Québec ont un diplôme universitaire en lettres ou dans un autre domaine22. Mes lacunes font que je n’arrive pas à penser à un·e auteur·ice québécois·e qui a publié sans avoir de de diplôme. Dans ces 20 %, combien ont un parcours similaire au mien ? Combien proviennent de milieux précaires et sont racialisé·e·s ? Écrire ou œuvrer dans le milieu littéraire au sens large, est plus difficile pour certaines personnes, et si par chance nous devenons le bug dans la matrice, nous nous retrouvons bien souvent confronté·e·s aux stéréotypes de classe et de race.
On ne s’intègre pas dans le rejet
Kery James
Dans mon cours de littérature jeunesse, la prof nous fait lire L’enfant Mascara de Simon Boulerice. Elle demande aux étudiant·e·s dans le programme d’enseignement du français si c’est un livre qu’iels feraient lire à leurs étudiant·e·s. Les réponses fusent dans tous les sens. Une fille lève la main et explique que le roman l’a vraiment touchée, que le sujet sur les crimes transphobes est vraiment bien abordé. Elle rajoute que ce livre est utile pour faire de la sensibilisation, mais puisqu’elle veut travailler avec des jeunes réfugié·e·s, elle soutient que le choc culturel pourrait peut-être être important. Faire découvrir la littérature québécoise à travers ce livre, premier point de contact avec la culture au Québec, ce pourrait être un peu brutal pour certaines personnes qui viennent d’arriver et qui peuvent avoir des valeurs totalement différentes. Selon elle, il faudrait y aller graduellement. Derrière moi, j’entends une fille dire : Qu’ils restent dans leur pays crisse. Je me retourne. La toise, mais ne dis rien. Je me tais parce que j’ai toujours l’impression d’avoir une seule chance pour garder ma place et que je ne peux pas la rater. Je me tais parce que j’ai l’impression de m’être faufilée entre les mailles du filet et que je ne mérite pas d’être là où j’en suis présentement. Je me tais parce que je ne peux pas me permettre de speak up et de me vulnérabiliser davantage. Dans ma tête, j’entends la phrase : « Oh non, pas ça Zinédine, pas aujourd’hui, pas maintenant, pas après tout ce que tu as fait » et je me dis « Oh non, Sanna, pas aujourd’hui, pas maintenant, pas après tout ce que tu as fait, pas après tous les sacrifices des tiens ». J’imagine le rejet, l’exclusion qui m’attend, l’abandon, avoir entamé un programme d’étude pour rien, les dettes qui s’accumulent. Avant une prise de parole risquée, je calcule tout, et ce jour-là, je ne peux pas me permettre d’avoir une voix.
Euros sur l’compte me donne
l’illusion qu’ça a gé-chan
la vérité c’est que l’argent
revient aux mêmes gens
Dosseh
J’suis down de faire un doctorat, mais les finances ne me le permettent pas. Alors, il faut mendier, s’il-vous-plait, donnez-nous le pain, donnez-nous les sous, s’abaisser, pour finalement continuer à vivre dans la précarité pour les nombreuses prochaines années. Et ils me répondront : Oui mais qu’avez-vous fait pour le mériter ? Alors, il faut remplir les formulaires, et faire état des expériences de travail. Oui, mais ça ne compte pas, Mcdonald, Indigo, les assurances… où sont vos expériences académiques ? Et j’aimerais leur dire que je ne pouvais pas me permettre de travailler sous contrat parce que ça occasionnait une incertitude beaucoup trop grande. Pour qui vous vous prenez ? C’est le prix à payer pour être ici. Allez, montrez-nous vos notes. Et d’office je sais qu’elles seront balayées du revers de la main, même si en rentrant, j’ai dû mettre les bouchées doubles pour arriver au même niveau que les autres. Ça, ils ne le voient pas, ils ne comptabilisent pas les efforts, seulement les résultats. J’effleure l’excellence académique sans jamais l’atteindre. Aucun endroits dans leurs formulaires pour leur faire savoir les heures de travail cumulées pour payer mes frais de scolarité et tout le reste. Je vous le jure, si vous m’accordez ces bourses, je pourrais performer davantage. Non, nous misons sur des valeurs sûres, celleux qui sont déjà parfaits. Ah oui, même si leur capital culturel et économique leur ont facilité la tâche, c’est pas vous qui criez sans arrêt à l’importance de l’inclusivité ? Oui, mais encore faut-il le mériter, vous auriez dû travailler plus fort. Allez, dernière chance, vous êtes-vous au moins impliquée dans la vie étudiante ? Vous allez m’étouffer avec votre méritocratie. Lutte constante pour maintenir une bonne santé mentale tout en étant la plus productive possible. J’arrive à peine à travailler et à remettre mes travaux dans les deadlines demandés. J’arrive à peine à me familiariser avec ce que mes pairs maitrisent. J’arrive à peine à m’extraire de ma classe, ma race, mon genre, j’arrive à peine… I wish, vraiment j’aurais aimé. Alors, je mise le tout pour le tout et je supplie. Promis, j si vous m’octroyez l’argent. À genoux, asservie, laissez-moi accéder au doctorat sans m’éclater encore financièrement, laissez-moi souffler. Je vous en supplie ne tenez pas rigueur de ma candidature dégarnie, je saurai faire mieux, laissez-moi vous le prouver. Nous sommes dans le regret de vous annoncer que votre candidature n’a pas été sélectionnée…
Y’a que du racisme systémique
derrière les on ne peut plus rien dire
Médine
J’ai choisi le programme de littératures de langue française à l’UdeM pour les cours de francophonie. Je salue l’effort des enseignant·e·s de souvent mettre au moins une œuvre non occidentale dans le corpus. J’ai découvert Ahmadou Kourouma, Kateb Yacine et Marie-Vieux Chauvet grâce à mes cours. Mon rapport à la culture s’est exclusivement construit à travers les institutions scolaires, j’avais foi en ce qu’elles m’offraient. Ç’a été une claque en pleine gueule de réaliser que plusieurs cours de « francophonie » n’étaient tout simplement pas donnés durant mon bac. Une autre claque de réaliser, à force de discuter avec mes ami·e·s de différents programmes d’études et universités, que, bien souvent, les cours qui traitent des questions qui concernent nos communautés ou d’œuvres non occidentales ne leur réservent qu’une seule séance à la fin de la session. Nos enseignant·e·s ne s’en rendent peut-être pas compte, mais lorsqu’il y a une grève, une tempête de neige ou une pandémie, c’est ce cours-là qui saute le premier. C’est la matière dont on peut se passer. Leur place est fragile. Pas vraiment inclus dans le corpus, toujours en périphérie : il y a les œuvres importantes, et les autres. La place qu’on accorde aux auteur·ice·s marginalisé·e·s n’est pas anodine. L’ouvrage La République mondiale des lettres de la critique littéraire française Pascale Casanova, des mécanismes de consécrations, on réalise très rapidement, ne sont pas neutres. Ce sont différentes instances, institutions, prix littéraires et médiateur·ice·s qui permettent la consécration d’une œuvre : « le jugement de goût n’existe pas (ou pas encore seulement) comme simple expression subjective ou intersubjective : il y a des conditions sociales de production et d’expression du jugement de goût qui permettent (ou non) qu’ils deviennent légitimes23 ». Finalement, les mécanismes qui permettent de légitimer des œuvres influencent les hiérarchisations tacites et deviennent solidement incorporés dans nos valeurs24. Pascale Casanova ajoute que l’espace qu’elle décrit n’apparaît pas en tant que tel aux écrivain·e·s, « ou plutôt il n’apparaît qu’aux plus lucides d’entre eux, c’est-à-dire aux plus éloignés des centres, aux plus “excentrés”, à ceux pour qui, précisément, la catégorie de l’universel est l’une des plus difficiles à conquérir25 ».
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Si nous avons le privilège de ne pas nous questionner sur notre point de vue épistémologique, parce que nous avons cette fausse impression qu’il est possible de s’extirper de sa propre position sociale (ou pire, que celle-ci n’a aucune influence), il est fort probable que nos propres préjugés et croyances influencent notre pratique littéraire : « Si qui plus est [notre] point de vue et [nos] expériences sociales de privilégié·e sont partagés par toute la communauté scientifique dont [nous] faisons partie… alors ces préjugés deviennent indélogeables de la culture scientifique dominante26 ». Dès lors, ne pas considérer ces biais, c’est participer à l’invisibilisation, voire l’exclusion des participant·e·s marginalisé·e·s du milieu littéraire.
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Lorsque je songe à la transmission littéraire, j’ai envie de briser les codes, de reconsidérer les classiques, de réellement détruire la hiérarchie des cultures, celle qu’on perpétue inconsciemment. La transmission littéraire n’est pas neutre. Lorsque je me heurte à une sorte d’exaspération face au devoir d’inclure les personnes marginalisées, comme si cela n’allait pas de soi, comme si cela constituait un fardeau que nous infligeons à tout bout de champ, lorsque je crois entendre avec une pointe d’exaspération : oh merde, je vais devoir doublement réfléchir, décortiquer la place que j’occupe dans le monde, je repense à cette phrase de Caroline Dawson : « Parfois les gens me demandent à quel moment je suis devenue politisée. Dans notre coin, la politique cognait à la porte de nos vies et cassait des fenêtres quand on ne regardait pas27 ». Il s’agit d’un luxe immense de ne pas avoir à décortiquer chaque élément qui constitue sa vie parce qu’elle correspond à la norme, parce qu’il n’y a pas une forme d’exclusion qui se cache derrière chaque situation. Il s’agit d’un luxe énorme de ne pas avoir à être constamment sur ses gardes.
Bien que je ne sois pas ingrat,
je n’ai pas envie de vous dire merci
Kery James
En secondaire cinq, le prof nous fait lire l’Étranger de Camus pour nous préparer au cégep. À côté, il nous demande de lire un livre au choix à la bibliothèque. Je tombe par hasard sur le roman Ce que le jour doit à la nuit de Yasmina Khadra et je jette mon dévolu sur ce bouquin. Dans un court laps de temps, je suis confrontée pour la première fois à des personnages algériens. Dans le premier, l’Algérien c’est l’Arabe. L’Arabe, c’est celui qui n’a pas le droit à la parole. C’est celui qui est totalement effacé. Dans le second, l’Algérien, c’est celui qui est passé dans l’autre camp, le camp des colons, mais pas tout à fait non plus. Dans le premier, l’Algérien se fait tuer et c’est tout, on ne connait pas sa life, on s’en fout pas mal d’ailleurs. Dans le second, l’Algérien c’est le paresseux, le bougnoul, c’est comme ça qu’on le désigne. Dans le premier, je ne reconnais pas l’Algérie, mais ce n’est pas grave, me dit-on, ce n’est pas ça qui compte dans le roman, il faut réfléchir à l’absurde, il est là le vrai propos. J’ai envie de rétorquer à mon prof, oui, mais toi, tu te vois partout, ce n’est évidemment pas ce qui te saute aux yeux, tu n’as plus besoin de te chercher lorsque tu incarnes la norme dans chacune des productions que tu consommes. Pour moi, c’est la première fois que je suis représentée, mais je ne me retrouve pas. Dans le roman de Camus, je ne suis rien, seulement l’Arabe, l’anonyme. Dans celui de Khadra, à l’aube des tumultes révolutionnaires, on entend la voix des oppresseurs encore plus que celle des opprimés. À qui sont dédiés ces romans ?
Je vais tuer Rimbaud
pour rendre à Césaire
Lino
« Mon intégration d’enfant immigrante a passé par la honte de ce que j’étais, le rejet de ce qui me construisait et une série de petites trahisons envers moi-même et mes parents28 », dit Caroline Dawson. Same, girl, same. Plus jeune, je ne voulais pas que mon père m’accompagne à la rencontre parents-enseignants pour ne pas qu’il affiche et qu’on remarque son français approximatif. Aujourd’hui, je culpabilise, car sa langue est le plus bel héritage qu’il a pu m’offrir. Aujourd’hui, j’écris avec la syntaxe de mon père lorsqu’il massacre le français. J’incorpore l’héritage d’un français qui tord la normativité. En revanche, à l’oral, j’affiche mes lacunes linguistiques comme une honte. Lorsque je parle en public, je fais attention de bien polir ma phrase : je débute puis m’arrête, je réfléchis, trouve un synonyme dans le niveau de langue approprié, et je recommence. Dans le processus, je me sens traitre. Je suce l’académie pour avoir ma place. Je passe de la honte à la colère, car j’en veux aux discours qui ont fait germer dans ma tête d’enfant que je devais cacher qui j’étais pour être acceptée. J’en veux à ces discours qui m’ont fait comprendre que la multiplicité de mes identités ne pouvait pas cohabiter, que je devais un jour ou l’autre trancher. D’un autre côté, mes parents et certain·e·s ami·e·s ne me comprennent déjà plus : Je lis tes posts sur Instagram et je comprends pas la moitié de ce que tu dis, mais you do good sis, tu dénonces pour ceux qui sont dans la . Ça sert à quoi de parler, si ceux pour qui nous parlons ne nous comprennent même plus ? Se perdre dans le transfuge de classe, ne plus savoir à quel monde nous appartenons. Nesrine Slaoui met en lumière l’expression « chevaux à bascule » du professeur de sociologie français Fabien Truong : « Ceux que l’on nomme les transclasse, les transfuges de classe font, en réalité, des allers-retours permanents entre ces deux mondes toute leur vie. Ils sont les témoins, les cibles privilégiées, de la violence de classe29 ». Être transfuge de classe, c’est s’abandonner soi-même, du moins une partie de soi, c’est se sentir traître parfois et ne pas appartenir non plus au monde qui nous accueille.
Les seules fois qu’ils nous ouvrent la porte
C’est pour nous foutre dehors
Meryl
Nesrine Slaoui raconte à sa mère ce qu’elle apprend de ce nouveau monde qui s’offre à elle : « J’ai mimé avec mes mains et dessiné des cases invisibles pour lui montrer qu’il existait des codes de domination et des codes de dominés, que ce n’est pas qu’une question d’argent30 ». Certes, ça commence par une histoire d’argent, parce que sans argent, nous avons du mal à accéder à l’université, et par conséquent, nous nous retrouvons moins disposé·e·s à œuvrer dans le milieu littéraire. L’environnement socioéconomique va beaucoup compter et la pauvreté va se faire sentir à toutes les étapes du cheminement scolaire, depuis la maternelle jusqu’à l’université31. La disponibilité parentale joue pour beaucoup dans la réussite. Puisque certains parents sont surmenés au travail, qu’ils vivent du stress chronique, qu’iels sont fatigué·e·s et ont des horaires de travail pas possible, les enfants sont voué·e·s à eux-mêmes dans leurs apprentissages et leurs devoirs32. Et cela s’accentue dans les situations où ces mêmes parents ont une faible scolarisation. Ainsi, il faudrait à ces étudiant·e·s davantage de soutien scolaire, mais il arrive qu’iels fréquentent des établissements où plusieurs nécessitent les mêmes services et l’école n’arrive pas à fournir. Idéalement, les parents devraient payer du tutorat en dehors des heures de cours, mais iels n’en ont pas forcément les moyens. La question de l’argent finit par les rattraper. De même, une fois l’étudiant·e arrivé·e à l’université, l’endettement peut également être un frein. Il faut d’ores et déjà penser au remboursement des prêts qui nous sont octroyés. Le contexte socioéconomique joue également un rôle dans l’accessibilité aux activités parascolaires ou aux bibliothèques du quartier. Comme le rappeur Disiz la peste le relate : « J’rentre tard, le soir, de la bibliothèque. Y’en a pas dans ma ville, sympa pour la double peine ». Pour certaines personnes, aller à la bibliothèque dès le jeune âge ne va pas de soi, ce n’est pas valorisé. Pour ne nommer que ces quelques barrières, celles-ci permettent de voir que, lorsque les capitaux culturels et économiques sont tous les deux manquants, les lacunes se creusent encore et encore. Pendant que tes futurs camarades de l’uni apprennent à nager dans une piscine olympique, toi tu patauges, t’essaies de te sortir la tête de l’eau, être à leur niveau te prend forcément plus de temps. Alors, oui, ça commence par une histoire d’argent. Oui, œuvrer dans le milieu littéraire et artistique ne donne pas un énorme pouvoir économique, mais écrire, être écouté·e, paraître crédible à la moindre phrase que l’on prononce, avoir des plateformes pour diffuser sa parole, tout ça participe à un capital culturel dont on s’imagine mal l’ampleur. Œuvrer dans le milieu littéraire, même si celui-ci nous précarise tous·tes, c’est déjà exercer une violence symbolique.
Bibliographie
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Discographie
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S.PRI NOIR, « Highlander », C’est tout pour moi, Kilomasta / Black Barbie, 2017.
SNIPER, « Gravé dans la roche », Gravé dans la roche, Desh Musique, 2003.
-
Martin Lasalle, « Au Québec, la structure des écoles secondaires contribue à reproduire les inégalités sociales », UdeM Nouvelles Forum, 2019.↩
-
« Les milieux populaires largement sous-représentés dans l’enseignement supérieur », Observatoire des inégalités, 2021.↩
-
Nesrine Slaoui, Illégitimes, Paris, Fayard, 2021, p. 174.↩
-
Éléonore Lépinard et Sarah Mazouz, Pour l’intersectionnalité, Paris, Anamosa, 2021, p. 18.↩
-
Nesrine Slaoui, op. cit., p. 99.↩
-
Caroline Dawson, Là où je me terre, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 2021, p. 175.↩
-
Nesrine Slaoui, op. cit., p. 100.↩
-
Caroline Dawson, op. cit., p. 156.↩
-
Ibidem, p. 156.↩
-
Nesrine Slaoui, op. cit., p. 192.↩
-
Caroline Dawson, op. cit., p. 154.↩
-
Pierre Bourdieu, « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 3, 1979, p. 3‑6, p. 3.↩
-
Ibidem, p. 4.↩
-
Nesrine Slaoui, op. cit., p. 99.↩
-
Bochra Manaï, Les Maghrébins de Montréal, Montréal, Québec, Les Presses de l’Université de Montréal, 2018, (« Pluralismes »), p. 148.↩
-
Éléonore Lépinard et Sarah Mazouz, op. cit., p. 26.↩
-
Ibidem, p. 26‑27.↩
-
Bochra Manaï, op. cit., p. 146.↩
-
Nesrine Slaoui, op. cit., p. 193.↩
-
Ibidem, p. 174.↩
-
Bochra Manaï, op. cit., p. 146.↩
-
Marie-Hélène Provençal et Observatoire de la culture et des communications du Qu??bec, Les écrivains québécois: portrait des conditions de pratique de la profession littéraire au Québec, 2010, Québec, Québec, Institut de la statistique du Québec, 2012, p. 10.↩
-
Pascale Casanova et Tiphaine Samoyault, « Entretien sur La République mondiale des lettres », in Où est la littérature mondiale ?, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2005, (« Essais et savoirs »), p. 139‑150, paragr. 10.↩
-
Ibidem, paragr. 12.↩
-
Ibidem, paragr. 17.↩
-
Éléonore Lépinard et Sarah Mazouz, op. cit., p. 48.↩
-
Caroline Dawson, op. cit., p. 102.↩
-
Ibidem, p. 69.↩
-
Nesrine Slaoui, op. cit., p. 95.↩
-
Ibidem, p. 93.↩
-
Jocelyn Vinet et Danielle Filion, « Les inégalités sociales dans l’éducation », in Pauvreté, inégalités et problèmes sociaux, Montréal, Fides éducation, 2019, p. 85‑102, p. 85.↩
-
Ibidem, p. 85.↩