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Le réécrivain comme herméneute : relire et réécrire La Scouine

Emilie Drouin, 3e cycle, Université de Montréal

Revue Fémur
2563-6812
Revue Fémur

Résumé : En 2018, Gabriel Marcoux-Chabot faisait paraître sa réécriture du roman centenaire La Scouine, d’Albert Laberge. Or, entre une transposition fidèle de certains passages et la redistribution antinomique de certains rôles, cette nouvelle Scouine est aussi près de l’ancienne qu’elle s’en éloigne. Cherchant à démontrer que cette réécriture constitue l’achèvement d’un travail herméneutique en trois étapes – lecture de l’œuvre, mais aussi d’autres productions littéraires ; analyse, éclairée par la réception et la critique ; puis, interprétation –, cet article s’intéressera, par une lecture comparée des deux romans, à montrer les traces de ce labeur.


L’objet de la poétique, disais-je à peu près, n’est pas le texte, considéré dans sa singularité […]. Je dirais plutôt aujourd’hui, plus largement, que cet objet est la transtextualité, ou transcendance textuelle du texte, que je définissais déjà, grossièrement, par « tout ce qui le met en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres textes1 ».

— Gérard Genette, Palimpsestes

Plus « restauration » que remake selon David Bélanger2, prolongement de la « poétique de l’a-parole » du roman initial plutôt que reprise de son propos selon Louis-Daniel Godin3, la réécriture4 de La Scouine par Gabriel Marcoux-Chabot5 s’inscrit comme la finalité d’un projet qui a eu pour point de départ une lecture particulièrement attentive du texte centenaire d’Albert Laberge6, comme l’a écrit Dominic Tardif dans sa critique du livre : « Malgré son travail de réécriture, Gabriel Marcoux-Chabot propose donc d’abord et avant tout une relecture (au sens de lecture nouvelle) qui recadre, davantage qu’elle bonifie, le texte de départ7. » Par ailleurs spécialiste de Laberge – qui est l’objet de ses recherches de doctorat –, Marcoux-Chabot s’est proposé dans le cadre de son travail de réécrivain d’« exhumer ce que je [Marcoux-Chabot] sentais déjà là, sous la surface du texte, ne demandant qu’un mot pour apparaître, une phrase pour croître, un paragraphe pour se déployer8 ». La matière première est donc cet « anti-roman de la terre9 », « parodie misérabiliste du roman de la terre10 » où en dépeignant les malheurs d’une enfant souffre-douleur surnommée la Scouine « Laberge montre, en termes crus, la pauvreté de la campagne canadienne-française11 ». Ainsi, le texte de cette nouvelle Scouine se tient très près du roman original : les noms et les mots subsistent et de nombreux passages sont réécrits à l’identique, ou presque. Or, le récit change : l’ordre des épisodes est réorganisé et certains rôles sont redistribués de façon à modifier considérablement la trame narrative. Sous la plume de Marcoux-Chabot, le récit des vies de Paulima et de Charlot s’étoffe : les traumatismes sont expliqués et les désirs sont montrés plutôt que réprimés. C’est donc au comment de ce processus de transposition12 de la Scouine, à plus forte raison à ce passage d’un roman du terroir à un texte renouvelé que cet article s’intéressera, afin de montrer comment se redéploie le récit à l’aune d’une poétique nouvelle. Toutefois, cette Scouine revisitée est aussi, il me semble, une relecture effectuée par rapport à la littérature québécoise publiée dans l’intervalle de temps entre les deux versions, et surtout de certains textes désormais canoniques de la première moitié du xxe siècle : Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon (1933), Trente arpents de Ringuet (1938) et Le Survenant de Germaine Guèvremont (1945). Dans tout ce travail, le réécrivain se trouve à jouer le rôle d’un herméneute : d’abord lecteur – de l’œuvre d’origine, mais aussi d’autres productions culturelles –, il se fait ensuite analyste – de l’œuvre, de sa réception et de sa critique – puis, enfin, interprète en même temps qu’écrivain lorsqu’il propose sa nouvelle version du texte d’origine.

Le réécrivain comme lecteur, styliste et analyste

De prime abord, le texte de Gabriel Marcoux-Chabot apparaît fidèle à l’écriture d’Albert Laberge. Les personnages conservent les mêmes noms, fort peu actuels pour la plupart, et de longs passages sont recopiés avec des modifications minimales. L’incipit fournit d’ailleurs un éloquent exemple à cet effet, alors qu’en 1918, le roman débutait ainsi :

De son grand couteau pointu à manche de bois noir, Urgèle Deschamps, assis au haut bout de la table, traça rapidement une croix sur la miche que sa femme Mâço venait de sortir de la huche. Ayant ainsi marqué du signe de la rédemption le pain du souper, l’homme se mit à le couper par morceaux qu’il empilait devant lui. Son pouce laissait sur chaque tranche une large tache noire. C’était là un aliment massif, lourd comme du sable, au goût sur et amer. (AL, p. 11)

Dans la version de 2018, ce même passage ouvre le roman, mais il se trouve quelque peu modifié et raccourci :

De son grand couteau à manche de bois noir, Urgèle Deschamps trace une croix sur la miche que sa femme Mâço vient de sortir de la huche. Ayant ainsi marqué du signe de la rédemption le pain du souper, un pain sur et amer, lourd comme du sable, l’homme entreprend de le couper en tranches épaisses qu’il empile soigneusement devant lui. (GMC, p. 9)

Outre le changement de temps verbal qui, comme l’a souligné François Ouellet, actualise l’action et allège quelque peu le style13, la réécriture opère pour l’essentiel une rationalisation : certains mots sont retranchés – l’adjectif « pointu », l’adverbe « rapidement » ou le complément « assis au haut bout de la table » –, tandis que le passage qui témoigne des qualités nutritives et gustatives du pain – « lourd comme du sable, au goût sur et amer » –, initialement introduit dans une phrase distincte par une locution présentative – « c’était » –, qui le mettait en évidence, est ramené à l’intérieur d’une phrase en tant que complément. Ainsi, alors que le « pain sur et amer » avait dans le roman d’Albert Laberge une fonction romanesque hautement symbolique maintes fois soulignée par la critique – il constituait par un « processus itératif qui fait surgir le pain à tous les moments importants du récit14 » un motif de « fatalité15 » qui manifestait l’aspect cyclique de la vie rurale et de « l’impossibilité d’en sortir pour les descendants16 » et « cristalis[ait] » par sa description peu avenante « la dénonciation du messianisme agriculturiste de l’époque17 » –, il perd dans l’actualisation donnée au texte par Gabriel Marcoux-Chabot cette fonction symbolique. Si l’épisode de la vieillesse d’Urgèle ramène dans le texte original comme dans la réécriture les « galettes sures et amères, lourdes comme du sable » qu’il ne peut cependant plus digérer et que Paulima doit échanger contre les « miches blondes et légères » des voisins (GMC, p. 101 ; AL, p. 129), il demeure que ce motif revêt, lors de sa reprise, un rôle principalement intertextuel – à la limite entre le clin d’œil et l’hommage –, qui lie les deux versions de La Scouine.

Bien que le texte dans sa matérialité est demeuré près de la langue d’Albert Laberge – qui s’y trouve cependant affinée –, la trame narrative de La Scouine se transforme sous la plume de Marcoux-Chabot en un ambitieux chantier. Entreprise littéraire résolument plus soucieuse de la forme que celle de son prédécesseur, dont le roman comportait trente-quatre chapitres de longueurs variables, la réécriture est divisée en sept parties de sept chapitres, pour un total de quarante-neuf chapitres qui, à l’exception de l’avant-dernier chapitre, tiennent systématiquement sur deux pages. Certains épisodes sont raccourcis, tandis que d’autres ne sont tout simplement pas transposés18. La fourberie, l’injustice et l’impuissance ne disparaissent pas pour autant de La Scouine, alors que l’épisode où les Linche, qui tiennent un magasin général, facturent frauduleusement et avec la complicité de leur commis des ventes imaginaires aux habitants subsiste dans la réécriture (GMC, p. 27-28). Seulement, Marcoux-Chabot choisit de ne pas reprendre le motif de l’opposition politico-linguistique – « Les Bleus et les Rouges se disputaient le pouvoir et la population était divisée en deux camps absolument tranchés. Tous les Anglais sans exception étaient conservateurs, tandis que la grande majorité des canadiens-français était libérale. » (AL, p. 71) – qui trahit lourdement l’âge du texte d’origine. L’auteur redirige plutôt la « rage impuissante » ressentie par Urgèle Deschamps lors de l’humiliation subie aux mains des Irlandais (AL, p. 74) vers des sentiments « de colère et de dépit » face à un système judiciaire qui faillit à protéger les plus faibles comme lui. Comme la ruse des Linche est appuyée sur des documents falsifiés qui « semblent en ordre, le juge confirme sans remords ni hésitation le bien-fondé de leurs réclamations » (GMC, p. 28). Les événements malheureux et les frustrations subsistent donc dans la réécriture, mais surviennent autour d’enjeux individuels plutôt que collectifs avec le soutien d’une démonstration d’une injustice basée sur le statut socio-économique – l’oppression des pauvres par les riches – plutôt que linguistique.

Réorganisation de l’histoire autour des personnages de Paulima et de Charlot, nouvel ordonnancement du contenu des chapitres pour soutenir l’évolution psychologique des personnages, inversion des rôles joués par les personnages dans certains épisodes : tandis que le texte subit une cure minceur, les personnages principaux, au contraire, gagnent en épaisseur psychologique. Par ce travail, le réécrivain remédie à certaines critiques émises face à l’œuvre de Laberge. Par exemple, Gérard Bessette, dans son Anthologie d’Albert Laberge, reprend notamment la critique formulée en 1919 par Olivar Asselin à l’effet que La Scouine est un roman « ou trop long ou trop court » et admet, à la suite de Gérard Tougas, que le texte « souffre de sa brièveté » et qu’il lui manque des « explications », soit « extérieures, à présupposés déterministes », soit « psychologiques, introspectives19 ». Si le roman de Marcoux-Chabot est plus court que l’original, il m’apparaît répondre directement à ces critiques, notamment par la façon dont les épisodes ont été sélectionnés, réagencés et rééquilibrés. Même si l’on évacue l’apport stylistique insufflé par la réécriture20, on ne peut passer sous silence la réattribution des rôles opérée dans La Scouine de 2018, qui fait de Paulima et de Charlot les victimes de normes sociales et familiales. C’est d’ailleurs là que se situe la principale mise à distance de l’œuvre originale par sa réitération, alors que l’écrivain contemporain, en tant qu’herméneute, a travaillé à partir du sous-texte bien plus que du texte lui-même, pour produire à terme un roman sur les traumatismes – évoqués mais peu approfondis dans le texte de Laberge – et sur les désirs refoulés, absents ou inexprimés dans l’œuvre originale. Et c’est exactement là qu’il se trouve, le travail du réécrivain : « Roman de la misère et du non-dit, La Scouine d’Albert Laberge était devenu, sous ma plume, celui des pulsions inavouées et des désirs enfouis21. »

Le réécrivain comme interprète : « écrire entre les lignes »

Dès l’incipit de cette nouvelle Scouine, Gabriel Marcoux-Chabot pose la prémisse que Paulima est, en fait, « fondamentalement victime22 ». Étant née « laide » (GMC, p. 12), la Scouine est présentée comme l’« enfant surnuméraire », la jumelle « de trop » que la mère ne souhaitait pas vraiment et dont elle s’occupe «  avec une certaine réticence […], dissimulant sous une apparence de bonne intention l’iniquité de ses comportements » (GMC, p. 14). Pour montrer l’injustice par l’exemple, Marcoux-Chabot introduit un bref passage témoignant des sentiments de la mère à l’égard de ses filles :

Ainsi, Mâço coud toujours par paires les habits destinés aux bessonnes : si Caroline se voit offrir une nouvelle robe, sa sœur en reçoit une également. Mais, pressée par le temps, elle ne fait jamais l’effort d’ajuster son patron aux mensurations de Paulima, dont les épaules larges et les bras disproportionnés doivent s’accommoder de vêtements conçus en premier lieu pour sa sœur. (GMC, p. 14)

La Scouine ne serait donc pas née méchante, mais le serait devenue à force de subir l’injustice et le rejet. Afin de soutenir cette trame narrative renouvelée, la réécriture de la première rentrée scolaire des jumelles est éloquente. Tandis qu’Albert Laberge racontait cet événement à la troisième personne du pluriel, sans établir de distinction entre les sœurs et dans la réception qu’elles reçoivent de la part de leurs camarades de classe – « Caroline et Paulima étaient maintenant d’âge à aller à l’école […]. Un peu intimidées tout d’abord, les bessonnes eurent vite fait de se dégêner. » (AL, p. 16-17) –, Gabriel Marcoux-Chabot insiste sur ce qui les différencie physiquement, notamment ces « robes d’indienne identiques » cousues par Mâço qui rendent « le contraste entre les deux jumelles […] plus frappant » (GMC, p. 19), ce qui contribue à préparer les accueils fort différents reçus par Caroline et Paulima. Il ajoute au propos du texte d’origine cette « phrase pour croître23 » qui permet d’affirmer le caractère initial fondamentalement bon de Paulima :

D’abord un peu intimidées, les filles ne sont toutefois pas longues à se dégêner. Paulima, surtout, brûle d’envie de se faire des amies. Il lui semble qu’elle a tant de choses à dire, tant de choses à partager ! Hors de la maison silencieuse, entourée de gamines de son âge, elle est convaincue d’avoir enfin trouvé les conditions nécessaires à l’expression de son affectivité. (GMC, p. 19)

Au grand malheur de Paulima, ses efforts de socialisation sont rapidement voués à l’échec : « Mais la petite ne tarde pas à déchanter. Si Caroline tisse rapidement de nouveaux liens d’amitié, les efforts de sa sœur ne rencontrent bien souvent qu’indifférence ou hostilité. » (GMC, p. 19) Dès cet épisode qui se conclura par la déception de Paulima face au « sort auquel la condamne son statut de laideron » (GMC, p. 19), le réécrivain met en place la trame des événements qui expliqueront son aigreur. Plutôt qu’un traitement axiologique de la méchanceté – la Scouine qui serait tombée, par le fruit d’une quelconque volonté divine, du mauvais côté des transcendantaux du Vrai, du Beau et du Juste –, la réécriture de Marcoux-Chabot présente un traitement psychologique, explicatif et existentialiste des agissements de Paulima.

Or, si la réécriture parvient à établir aussi efficacement le statut de souffre-douleur de Paulima, c’est principalement en la mettant en scène dans des situations où elle est victime d’injustices diverses et de méchanceté gratuite. Lors d’une cueillette de fraises des champs avec sa jumelle Caroline, Paulima retire ses chaussures « [t]rop étroites pour ses grands pieds » et « les dépose à l’orée du champ, au bord d’un fossé » (GMC, p. 15), pour ne pas les y retrouver lorsque vient le temps de quitter. Les bottines s’étaient retrouvées « au fond du fossé : Caroline, sûrement, les y aura envoyées valser » (GMC, p. 16). Un peu plus loin, alors que Paulima avait emmené à l’école une rare pomme qu’elle avait reçue en cadeau24, désireuse de « provoquer l’admiration, susciter l’envie », de « choisir ses amies », elle accepte à contrecœur d’en « danne[r] […] ane bouchée » à une Eugénie Lecomte, compagne de classe qui après avoir croqué la pomme « sans se retourner, sans rendre le fruit, marche vers la sortie, ouvre la porte et s’en va » (GMC, p. 30). Si ces exemples sont particulièrement évocateurs du statut de victime donné à Paulima dans le roman de 2018, ils le sont encore plus lorsque l’on compare ces épisodes aux passages de 1918 qui les ont inspirés. Dans le texte original, c’est en fait Caroline, plutôt que Paulima, qui égare ses bottines, mais il s’agit d’une situation purement fortuite (AL, p. 19). Il n’y a donc ici ni méchante ni victime, seulement un accident, contrairement à ce que nous présente Marcoux-Chabot dans sa réécriture. L’épisode du vol de la pomme est, pour sa part, réécrit de façon très similaire à l’œuvre originale, comme bien d’autres passages de cette nouvelle Scouine, à la différence que les rôles d’Eugénie et de Paulima y sont inversés, comme l’avait remarqué Caroline Loranger25. Alors que dans la réécriture, c’est Paulima qui se fait voler son unique pomme par Eugénie, dont la famille possède un verger, dans la version originale, c’était la famille Deschamps qui possédait un verger et Paulima, « insoucieuse, indifférente, sans plaisir peut-être, comme elle faisait chaque midi », qui « croqua bruyamment puis, sans se retourner, sans rendre la pomme » quitta la classe (AL, p. 21). Il y a ici clairement une méchante et une victime, et les deux protagonistes s’échangent, pour la réécriture, les rôles qu’elles occupaient dans le texte initial. Comme l’a souligné David Bélanger, si l’œuvre originale semblait bien répartir les événements malheureux entre les personnages et entre les jumelles – Caroline perd ses bottines, tandis que la Scouine vole une pomme mais est incontinente26 – le travail de refonte effectué par Gabriel Marcoux-Chabot est fondamental pour la transformation de la trame narrative en cela qu’il concentre, par quelques remaniements et inversions, tout le malheur et les injustices sur le seul personnage de la Scouine, ce qui la confirme en tant que souffre-douleur exclusive des autres personnages du roman.

La réattribution d’événements à de nouveaux protagonistes permet également à Marcoux-Chabot d’esquisser les contours des pulsions et des désirs refoulés qui rejaillissent. Alors que sous la plume de Laberge, c’était la mère d’une élève qui, en cherchant à scandaliser la maîtresse d’école, lui avait montré ses fesses (AL, p. 18-19), l’épisode est présenté tout autrement dans la nouvelle version de La Scouine : sous ce qui a d’abord l’air d’un jeu innocent entre enfants, Paulima « soulève sa robe et dénude son arrière-train » (GMC, p. 38), « écarta[n]t ses fesses avec ses mains » pour offrir en spectacle à Charlot « la fleur brune aux pétales rosasés » (GMC, p. 37). Cet épisode est fondateur pour la réécriture puisqu’il fait naître chez Paulima un désir envers son frère. Alors que la Scouine de 1918 noie le chien du Taon – jeune homme faisant la tournée des rangs afin de ramasser les carcasses d’animaux morts dont il faisait le commerce (GMC, p. 44 ; AL, p. 45-46), temporairement hébergé par les Deschamps – immédiatement après le départ de ce dernier, persuadée qu’il était porteur d’une malédiction (AL, p. 47), le passage prend une ampleur considérable chez Marcoux-Chabot et s’étire sur deux parties. Paulima, qui a compris l’attirance de Charlot pour le Taon et pour les garçons en général, est motivée par une profonde jalousie envers ce chien – « Gritou », du nom d’un chien familial sans grande importance du roman de Laberge (AL, p. 127) – sur lequel Charlot reportait l’attention qu’il destinait à son maître (GMC, p. 50). Ce désir incestueux poussera ultimement la Scouine devenue adulte à tuer un engagé, dont les mots avaient « ouvert en [Charlot] une brèche qu’il ne peut refermer, réveillé une soif qu’il lui faut apaiser » (GMC, p. 116), afin de prendre sa place au rendez-vous secret que les deux hommes s’étaient donné. Cet inceste consommé, résolument « écrit entre les lignes27 » du texte initial, se base sur un épisode où le Charlot de Laberge vit « sa seule aventure d’amour » (AL, p. 78) avec une engagée irlandaise, ce qui n’est pas sans ironie puisque le père Deschamps, lors de la scène des élections survenue quelques pages avant, s’est battu et s’est fait battre par quelques Anglais et, surtout, par un Irlandais (AL, p. 73). Originairement placé en milieu de roman, le passage, adjoint d’une scène de masturbation en plein air, celle-là même qui avait choqué lors de sa publication initiale dans un hebdomadaire28 et réécrite sans grand changement, est déplacé vers la fin du livre dans la réécriture. Comme le souligne avec raison Caroline Loranger, ce déplacement « fai[t] tendre toute l’action de la nouvelle trame narrative vers [cette] scène […] y ajoutant, qui plus est, une toute nouvelle dimension homosexuelle29 ». J’ajouterais à cela que le chapitre de l’inceste (GMC, p. 115-118), s’il respecte pendant ses deux premières pages la division en sept paragraphes commune à tous les autres chapitres, déroge à la « structure stricte30 » que l’on remarque chez Marcoux-Chabot en se prolongeant sur deux pages supplémentaires, lesquelles diffèrent également par le style fragmentaire de l’écriture : dans une succession de petits paragraphes de quelques lignes à peine, l’acte sexuel est évoqué par de courtes phrases, certaines sans verbe (GMC, p. 117-118). Or, ce passage recèle davantage, en ce qu’il ravive, par des symboles, tous les traumatismes et tous les désirs qu’il concrétise. Du rappel, par la réminiscence de ces « mille éphélides, comme autant d’étoiles rousses ou cuivrées » (GMC, p. 46 ; p .117), de la « peau du Taon, son image fantasmée » (GMC, p. 117), initiatrice pour Charlot de la naissance de son désir homosexuel, jusqu’au surgissement d’un « petit chien » aux « yeux d’or » (GMC, p. 118), réitération du désir de Charlot envers le Taon aussi bien que de la jalousie de Paulima à cet égard. De ce « [r]egard inquiet », celui de l’Irlandais « au bord du puits », noyé lui aussi pour avoir détourné Charlot de la Scouine. Du « goût des fraises » (GMC, p. 118) qui rappelle à Paulima son enfance avant le rejet et la méchanceté des autres, à la « langue des veaux sur ses mains » et dont « sa peau se souvient » (GMC, p. 118), qui rappelle l’assouvissement par la Scouine de son besoin d’affection auprès des bêtes que son corps et sa laideur ne repoussaient pas (GMC, p. 58), le corps de Paulima « exulte » de l’aboutissement de ce désir incestueux né du « regard émerveillé de son frère, ce premier matin » (GMC, p. 118).

Par cette scène d’inceste, qui fait aboutir les désirs non avoués de Paulima envers Charlot, Gabriel Marcoux-Chabot propose une réécriture qui assume un triple programme herméneutique par rapport au texte d’Albert Laberge : d’abord, la lecture du texte original à l’aune de sa critique, en réfutant la lecture trompeuse de la fin du livre, qui « montr[e] la famille Deschamps réduite à ces deux éléments stériles31 » que sont Paulima et Charlot, seuls enfants à ne pas s’être mariés ; ensuite, l’analyse du récit, qu’il cherche à étoffer par le remaniement de la trame narrative, au soutien d’une construction psychologique des personnages en tant que victimes de normes sociales hégémoniques – beauté, hétérosexualité – qui leur étaient inatteignables ; enfin, l’interprétation, entre fidélité à la partition originale par l’accomplissement d’un « travail de réécriture, fin, respectueux jusque dans le traitement de la langue d’écriture32 » et l’improvisation pour ce qui est de la structure renouvelée du récit. Ainsi, Gabriel Marcoux-Chabot, dont les recherches doctorales en cours portent spécifiquement sur l’érotisme chez Laberge, n’invente pas : cette « sensualité brute » et ce « rapport pulsionnel, instinctif, à la nature et aux sens33 » qu’il introduit dans sa réécriture, il les a trouvés à même le livre original, qu’ils sous-tendent34, et il les interprète à présent dans sa Scouine en les rendant plus apparents.

Ce n’est qu’une fois les tabous renversés par le passage à l’acte que le calme peut être rétabli, et le roman de se clore sur une étrange scène similiconjugale entre le frère et la sœur :

Tandis que la Scouine se farde les joues avec des feuilles d’orme, Charlot se fait la barbe. Devenu coquet avec l’âge, il se parfume les cheveux d’huile Palma-Christi, chausse ses bottes en veau français et met un beau col en papier glacé. Il n’oublie pas non plus son mouchoir de filoselle bleue, dont il laisse pendre un coin hors de la poche supérieure de son habit.

Il attelle le boghei et, comme chaque dimanche, le frère et la sœur prennent ensemble le chemin de l’église. Ils sont seuls à présent. Le vieux Deschamps est mort depuis longtemps et Mâço ne lui a survécu que quelques années. (GMC, p. 119)

Cet épisode qui passait presque inaperçu dans le roman d’Albert Laberge – il servait à expliquer que Charlot, « vingt-cinq ans », semblait peu intéressé par les jeunes filles en raison de sa timidité et qu’il « ne parlait pas de se marier » (GMC, p. 63) – revêt soudainement une importance symbolique particulière. D’une part, sa relocalisation à la toute fin du livre, après le rapport incestueux entre Paulima et Charlot et la mention de la mort des deux parents, permet à la réécriture de La Scouine de déjouer la lecture donnée au texte original par Thuong Vuong-Riddick, à savoir que Paulima et Charlot représentaient les deux éléments d’un pôle négatif et stérile, contrairement à leurs frères et à leur sœur, lesquels se sont tous mariés et ont eu des enfants35. Si l’on compare ce dernier chapitre du roman de Gabriel Marcoux-Chabot avec le passage qui l’a inspiré, il me semble particulièrement intéressant de souligner l’ordonnancement différent des phrases à l’intérieur des paragraphes : tandis que la réécriture présente conjointement Paulima et Charlot dans leurs préparatifs en vue d’une sortie à l’église, elle qui « se farde les joues » pendant que lui « se fait la barbe » (GMC, p. 119), il n’en était pas de même dans le roman d’Albert Laberge, où le paragraphe les présentait successivement, décrivant d’abord les préparatifs de Charlot puis, en attendant la Scouine qui se préparait à son tour, se regardait « dans la minuscule glace fixée au fond de son chapeau » (AL, p. 63). Cette différence entre les deux versions me paraît témoigner à la fois de la fidélité de Gabriel Marcoux-Chabot à l’égard du texte d’Albert Laberge, et de la constance des efforts qu’il a déployés afin de faire de ce livre le sien, c’est-à-dire une toute nouvelle histoire, où l’érotisme et l’inceste du couple frère-sœur sont pleinement et textuellement assumés.

Le réécrivain comme lecteur (bis)

Enfin, cette nouvelle Scouine pose à nouveau, mais de façon plus subtile cette fois-ci, la question de Gabriel Marcoux-Chabot en tant que lecteur : il ne s’agit pas, ici, de questionner le réécrivain en tant que lecteur de l’œuvre dont il tire la sienne, mais plutôt de questionner l’écrivain en tant que consommateur de produits culturels. Pour ce qui est du cas précis de la réécriture de La Scouine, il me paraît que l’écriture de Gabriel Marcoux-Chabot s’est laissé imprégner de certains titres appartenant au catalogue littéraire québécois des cent dernières années. S’il y aurait lieu d’examiner plus attentivement l’intertexte évident avec Mailloux36 d’Hervé Bouchard, lui aussi enfant « pissou » marqué par des traumatismes et par la honte, et peut-être aussi la réitération du couple incestueux frère-sœur qui rappelle ceux mis en scène par Marie-Claire Blais – dans La Belle Bête – et Réjean Ducharme – dans L’avalée des avalés et dans Le nez qui voque, notamment –, je me contenterai ici d’établir rapidement quelques rapprochements entre la réécriture de La Scouine et d’autres textes appartenant plus largement à la littérature dite « du terroir » – et par conséquent plutôt rapprochés du roman initial d’Albert Laberge –, afin d’expliciter comment le travail d’écriture est, avant et après tout, parfois inspiré par l’activité de lecture.

La scène du criblage – tri et nettoyage – du blé subit seulement de légères transformations formelles dans le cadre de la réécriture, mais les choix narratifs pris dans le cadre de la réécriture entretiennent son rapport d’intertextualité avec la littérature canadienne-française. Alors que dans la version de Laberge le narrateur s’intéressait d’abord à Urgèle, positionné là où le grain tombait, puis à Charlot, qui poussait le grain depuis le grenier, et encore à Urgèle (AL, p. 55) dans une alternance qui témoignait bien du travail d’équipe qu’accomplissaient les Deschamps, la réécriture de la même scène par Marcoux-Chabot crée une distance entre les deux lieux, les deux étages, et les deux hommes. S’ils accomplissent effectivement une tâche collaborative, Urgèle et Charlot sont chacun de leur côté, absorbés dans leurs pensées au point où le fils « étend[u] de tous son long sur le blé qu’il vient d’entasser » (GMC, p. 70) rêvasse jusqu’à en omettre de faire couler les grains de blé vers son père qui ne peut, pour sa part, s’empêcher de s’imaginer l’argent qu’il obtiendra de sa récolte :

Derrière le crible, le blé nettoyé s’accumule. Urgèle suppute et calcule, songe à l’argent qu’il pourra en tirer. En aura-t-il assez ? Le fermier jette un coup d’œil au filet de grain qui, d’un orifice au plafond, coule sans interruption dans la trémie de la machine. Sa régularité l’apaise et, pendant un instant, le cultivateur cesse de se tracasser. Bientôt, cependant, il se remet à compter. (GMC, p. 69)

Le passage se trouve dans la réécriture davantage orienté vers l’individualité des deux hommes, et cela se remarque à la description axée sur le travail effectué par chacun. Or, en plus de contribuer à souligner la distance entre Charlot et son père – ce dernier étant perdu dans ses pensées à propos de la richesse qu’il tirera de son blé –, ce changement dans le traitement poétique de la scène participe d’un rapprochement intertextuel avec Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon37. Cette satisfaction à la vue des grains qui coulent du plafond et cette insistance sur le décompte du blé que prête le narrateur à Urgèle Deschamps dans la réécriture ne sont effectivement pas sans rappeler la façon avec laquelle l’avare comptait son or en cachette. Ce passage a d’ailleurs fait l’objet de lectures érotisantes38 : « C’était trop de félicité : Séraphin ne pouvait plus se retenir. Il plongeait sa main osseuse et froide dans le sac. Avec lenteur, avec douceur, il tâtait, il palpait, il fouillait parmi les grains d’avoine, et lorsqu’il sentait enfin – ô suprêmes attouchements ! – la bourse de cuir ou simplement les cordons, sa jouissance atteignait à un paroxysme que ne connut jamais la luxure la plus parfaite […]39. » Par ce rapprochement mis en œuvre dans le texte entre Urgèle Deschamps et Séraphin, personnage économe et calculateur, Gabriel Marcoux-Chabot réussit non seulement à mettre au jour la part d’érotisme présent dans le sous-texte chez Laberge, mais aussi à transformer ce « premier roman naturaliste publié au Canada français40 » – axé sur une narration réaliste du travail – en un roman psychologique où l’étendue du fossé entre les désirs du père et ceux du fils se découvrent.

Par ailleurs, dans le roman de Marcoux-Chabot, l’annonce par Paulima du départ prochain de son frère Raclor pour la Californie n’est pas sans rappeler le motif du départ des jeunes hommes pour les États-Unis dans Trente arpents de Ringuet : « Il ne se passait pas d’année qu’on n’apprît le départ d’un homme, parfois d’une famille entière, qui s’en allait retrouver des cousins dans les villes de la Nouvelle-Angleterre où les filatures et les usines étaient insatiables de bras41. » Les raisons du départ à venir de Raclor sont d’ailleurs assez semblables à celles de ces fils trop loin en rang pour espérer hériter d’une parcelle de terre42. Dans la scène de l’annonce du départ, qui n’était pas présente dans La Scouine d’Albert Laberge – Raclor et son épouse s’installaient non loin de la maison paternelle –, il est dit que Raclor « a pris cette décision lorsqu’il a conclu que son père n’aurait jamais les moyens de lui offrir la terre qu’il a toujours prétendu vouloir lui donner. À vingt ans, il préfère ce pari risqué à la misère assurée. » (GMC, p. 52) Le départ de Raclor fait donc écho à celui d’Éphrem Moisan, fils d’Euchariste Moisan : « Ainsi voilà donc à quoi Éphrem n’avait jamais cessé de penser. Voilà ce qu’il ruminait depuis si longtemps : le départ, la rupture43. » En ce sens, alors que la critique avait souligné « le caractère d’opposition de La Scouine aux autres romans du même genre (romans du terroir)44 » – parce que Laberge n’y faisait pas un traitement idyllique de la vie agricole comme dans les premiers romans de la terre, mais qu’il ne présentait pas non plus une « bipolarité ville-campagne, accompagnée du thème de la fidélité à la terre45 », comme dans les romans régionalistes plus tardifs –, on ne peut pas dire de même de la réécriture. Le travail de réécrivain effectué par Gabriel Marcoux-Chabot, bien qu’il soit pour l’essentiel fidèle au texte de Laberge, est plus critique du travail de la terre et s’inscrit par la façon dont il met en scène cette critique dans la veine des romans du terroir plus fatalistes dont fait partie Trente Arpents.

Enfin, le rapport intertextuel le plus significatif, parce qu’il est aux fondements de l’édifice du désir homosexuel chez Charlot, est celui entretenu entre la réécriture de La Scouine et le roman Le Survenant, de Germaine Guèvremont46. Alors que l’arrivée de l’Irlandaise, dans le roman d’Albert Laberge, ne faisait l’objet d’aucune mention spécifique – on disait seulement qu’Urgèle « avait loué deux aides, Bagon le Coupeur et l’Irlandaise, une vagabonde arrivée depuis quelque temps dans la région » (AL, p. 76) –, Marcoux-Chabot place l’arrivée de son Irlandais en plein repas, déplaçant pour ce faire une scène originairement située au premier chapitre de la version originale, entre la première mention du « pain sur et amer » et la naissance des jumelles, avec Bagon comme invité à souper (AL, p. 13-14). Cette introduction d’un personnage de vagabond en plein repas n’est pas sans rappeler l’incipit du Survenant : « Un soir d’automne, […] comme les Beauchemin s’apprêtaient à souper, des coups à la porte les firent redresser. C’était un étranger de bonne taille, jeune d’âge, paqueton au dos, qui demandait à manger47. » Or, si le Survenant est décrit à partir du regard d’Angélina – qui l’apprécie – comme un homme d’un physique agréable, « sec et robuste de charpente, droit et portant haut la tête48 », l’Irlandais est présenté défavorablement comme ayant la « face jaune aux traits ravagés par la picote » (GMC, p. 107), en juxtaposition avec la méchanceté de la Scouine qui le perçoit comme un indésirable. Les traits du Survenant, ses « yeux gris-bleu » et sa « chevelure rebelle et frisée dru, d’un roux flamboyant, [qui] descendait bas dans le cou49 » rappellent surtout ceux du Taon : « garçon de seize ans étrangement souriant aux cheveux roux et au teint mangé par les taches de son », possédant des « yeux pâles » (GMC, p. 43). Ce n’est toutefois qu’indirectement que l’Irlandais peut être rapproché du Survenant parce qu’il a lui aussi des « cheveux roux comme ceux du Taon » (GMC, p. 116). C’est cependant fort possiblement cette ressemblance avec le Taon qui a suscité le désir de Charlot, au point où ce dernier propose de laisser l’Irlandais vivre chez les Deschamps « à titre d’engagé » malgré l’arrêt des travaux causé par les intempéries (GMC, p. 109), à l’image du Survenant qui était parvenu à se faire prier par le père Didace, qu’il avait conquis par son ardeur au travail50, de rester au Chenal du Moine malgré la « rareté de l’ouvrage51 ». Si l’arrivée de l’Irlandais et des sentiments opposés qu’il fait naître chez Charlot et Paulima nourrit l’exhumation que fait Gabriel Marcoux-Chabot des désirs enfouis, il convoque en même temps un topos de la littérature, soit l’arrivée soudaine d’un séduisant inconnu. Ainsi, au même titre que le Survenant qui attisait la méfiance et la jalousie de certains habitants du Chenal du Moine par la rapidité de son intégration au sein de l’entourage de la famille Beauchemin, le Taon et l’Irlandais font les frais de la jalousie de la Scouine en raison du désir de Charlot. Ces personnages qui cohabitaient de façon tout à fait anodine dans le texte de Laberge se retrouvent dans la réécriture au cœur d’un triangle amoureux des plus compliqués.

Puisque l’on peut présumer que Marcoux-Chabot connaît les classiques de la littérature québécoise, ou en est le lecteur – il est doctorant dans cette discipline, en plus de l’enseigner au niveau collégial52 –, tout particulièrement de ceux du début du xxe siècle, contemporains de son sujet d’étude, il me paraît intéressant de relever dans son œuvre des traces ou intertextes de ces lectures. Sans affirmer qu’il s’agit ici de preuves irréfutables d’une réécriture s’inspirant sciemment de ces lectures, il est tout de même difficile d’ignorer comment ces rapprochements ponctuels avec d’autres œuvres – celles de Claude-Henri Grignon, de Ringuet ou de Germaine Guèvremont – se font généralement en faisant bifurquer la réécriture de La Scouine de son hypotexte. S’il s’agit à coup sûr de faire tendre la poétique de cette nouvelle œuvre ailleurs que vers le texte de Laberge – il ne fait pas de doute que Marcoux-Chabot a choisi de se détacher du naturalisme du maître sur le plan du style –, il paraît pertinent de souligner comment certains épisodes du roman de 2018 convoquent, par la façon dont ils sont racontés, des liens intertextuels avec des romans plus tardifs du terroir.

C’est donc par cette démonstration en deux temps, à savoir que la réécriture de La Scouine est en premier lieu un travail herméneutique découlant de la lecture, de l’analyse et de l’interprétation du texte de 1918, et qu’elle repose en second lieu sur une lecture attentive des classiques de la littérature canadienne-française, que je me suis proposé de réfléchir à la question du lien entre la lecture et l’écriture. Comme Gabriel Marcoux-Chabot en a fait la preuve en endossant à la fois les habits de l’écrivain – ou du réécrivain – et du lecteur – lecteur d’Albert Laberge et de sa critique, et lecteur de littérature canadienne-française et québécoise –, la lecture est une activité intimement liée à la création littéraire. L’inverse est aussi vrai : par la manifestation de réseaux de topoï ou bien d’intertextes assumés, l’écriture, ou plutôt la réécriture, s’inscrit dans le prolongement de l’activité de lecture.

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  1. Gérard Genette, Palimpsestes: la littérature au second degré, Paris, Seuil, 1992, (« Points essais »), p. 7.

  2. David Bélanger, « Gabriel Marcoux-Chabot, auteur de La Scouine », Spirale, avril 2018.

  3. Louis-Daniel Godin, « La scouine couine: poétique de l’a-parole dans le roman d’Albert Laberge », Études françaises, Vol. 56 / 2, 2020, p. 33‑50, p. 49.

  4. Bien que j’emploie le terme « réécriture », plus couramment utilisé, je tiens à indiquer que ce choix terminologique n’évacue pas les questionnements et réflexions théoriques sur cette nuance dans les mots employés pour qualifier l’acte de « ré-écrire ». Ré-écrire, mais quoi donc ? Réservant le terme « réécriture » à l’activité pré-publication effectuée par l’écrivain.e sur son propre manuscrit, Anne-Claire Gignoux distingue, derrière le vocable « récriture », le travail d’écriture mené à partir d’un texte déjà publié et existant (voir Anne-Claire Gignoux, « De l’intertextualité à la récriture », Cahiers de Narratologie, septembre 2006, p. 4-5). Marcoux-Chabot aurait donc, selon ces nuances, produit une « récriture » plutôt qu’une « réécriture ».

  5. Gabriel Marcoux-Chabot, La Scouine, Chicoutimi, La Peuplade, 2018, (« Roman »). Désormais, les références au roman de Marcoux-Chabot seront mentionnées dans le corps du texte, en indiquant les initiales de l’auteur (GMC) et en donnant le numéro de page de l’extrait entre parenthèses.

  6. Albert Laberge, La Scouine, Montréal, Bibliothèque Québécoise, 2013. Désormais, les références au roman de Laberge seront mentionnées dans le corps du texte, en indiquant les initiales de l’auteur (AL) et en donnant le numéro de page de l’extrait entre parenthèses.

  7. Dominic Tardif, « “La Scouine” : plus qu’un roman de l’anti-terroir », Le Devoir, janvier 2018.

  8. Gabriel Marcoux-Chabot, « D’une Scouine à l’autre, et au-delà », Nuit blanche, magazine littéraire, 2018, p. 35‑38, p. 36.

  9. Aurélien Boivin, « Le roman du terroir », Québec français, 2006, p. 32‑37, p. 36.

  10. Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal, 2014, (« Boréal compact »), p. 208.

  11. Ibidem, p. 208.

  12. La transposition est, on le rappellera, l’une des pratiques transtextuelles décrites et théorisées par Gérard Genette dans Palimpsestes. Elle se classe sous le régime « sérieux » et constitue une relation de « transformation , Gérard Genette, op. cit., p. 45. ».

  13. François Ouellet, « La scouine 2.0 », Nuit blanche, magazine littéraire, 2018, p. 40, p. 40.

  14. O’Neill-KarchMariel, « La fonction des objets dans La Scouine », in Solitude rompue, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1986, (« Cahiers du CRCCF »), p. 279‑286, p. 284.

  15. Jacques Brunet, Albert Laberge, sa vie et son œuvre, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1969, (« Visages des Lettres canadiennes »), p. 41.

  16. Thuong Vuong-Riddick, « Une relecture de La Scouine », Voix et Images, Vol. 3 / 1, 1977, p. 116‑126, p. 119.

  17. Jean-Pierre Boucher,« … Et par le petit bout: La Scouine d’Albert Laberge », in Instantanés de la condition québécoise: études de textes, Montréal, Hurtubise HMH, 1977, (« Littérature »), p. 25‑40, p. 37.

  18. C’est notamment le cas du récit des élections (AL, p. 71-74), dont la présence dans l’ouvrage de 1918 ne fait que reprendre un thème anti-terroiriste de l’impuissance politique des Canadiens français, et qui n’est pas repris par Marcoux-Chabot.

  19. Anthologie d’Albert Laberge, Éd. Gérard Bessette, Montréal, Cercle du Livre de France, 1962, p. XI.

  20. On mentionnera tout de même, à cet effet, qu’un blogue littéraire a relevé que Marcoux-Chabot avait eu la fantaisie de faire rimer des paragraphes entiers de son roman ! (Voir Naïma Hassert, « La Scouine », Prochaine lecture, 2020).

  21. Gabriel Marcoux-Chabot, op. cit., p. 36.

  22. David Bélanger, op. cit.

  23. Gabriel Marcoux-Chabot, op. cit., p. 36.

  24. Il est expliqué que les jumelles ont chacune reçu une pomme – une seule ! – pour Noël de la part de leur grand-mère, qui possédait « deux maigres pommiers » (GMC, p. 30). Dans le texte de Laberge, c’est Eugénie qui était revenue à l’école après les vacances avec une pomme et qui s’était retenue de la croquer pendant une semaine par « vanité » (AL, p. 21).

  25. Caroline Loranger, « Il faut beaucoup aimer la Scouine. La Scouine d’Albert Laberge / La Scouine de Gabriel Marcoux-Chabot », Spirale, 2018, p. 82‑84, p. 83.

  26. David Bélanger, op. cit.

  27. Gabriel Marcoux-Chabot, op. cit., p 36.

  28. Jacques Brunet explique que cet extrait, intitulé « Les foins », paraît dans La Semaine alors que l’hebdomadaire est déjà en conflit avec les autorités religieuses pour divers articles contestant « le monopole de l’Église en matière d’éducation ». Le texte de Laberge est alors condamné par Mgr Paul Bruchési dans le journal catholique La Vérité : l’archevêque qualifie l’extrait « Les foins » d’« outrage » aux « mœurs » et d’« ignoble pornographie », affirmant même qu’« il faut couper le mal dans sa racine » (La Vérité, vol. 29, n°4, 7 août 1909, p. 27 ; cité par Jacques Brunet, op. cit, p. 22-23). Toutefois, selon Brunet, le texte de Laberge aurait peut-être été reçu différemment n’eût été du contexte plus large de sa première publication (Ibidem, p. 22-23).

  29. Caroline Loranger, op. cit., p 84.

  30. Ibidem, p. 83.

  31. Thuong Vuong-Riddick, op. cit., p. 122.

  32. Caroline Loranger, op. cit., p. 82.

  33. Gabriel Marcoux-Chabot, op. cit., p 36.

  34. Ibidem, p. 38.

  35. Thuong Vuong-Riddick, op. cit., p. 121.

  36. Hervé Bouchard, Mailloux: histoires de novembre et de juin, Montréal, Le Quartanier, 2016, (« Écho »).

  37. Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1986, (« Bibliothèque du Nouveau monde »).

  38. Claude-Marie Gagnon, « Concupiscence et avarice chez Séraphin Poudrier », Voix et Images, Vol. 1 / 2, 1975, p. 196‑205, p. 55.

  39. Claude-Henri Grignon, op. cit., p. 93‑94.

  40. Jacques Brunet, op. cit., p. 22.

  41. Ringuet, Trente arpents, Montréal, Flammarion Québec, 2009, p. 103.

  42. Ibidem, p. 103.

  43. Ibidem, p. 169.

  44. Thuong Vuong-Riddick, op. cit., p. 116.

  45. Ibidem, p. 116.

  46. Germaine Guèvremont, Le Survenant, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2005.

  47. Ibidem, p. 19.

  48. Ibidem, p. 38.

  49. Ibidem, p. 38.

  50. Ibidem, p. 36‑41.

  51. Ibidem, p. 43‑44.

  52. Gabriel Marcoux-Chabot, « Accueil », gabrielmarcouxchabot.com, 2018.


Emilie Drouin est doctorante en littératures de langue française à l’Université de Montréal, sous la direction de Martine-Emmanuelle Lapointe. Ses recherches doctorales portent sur l’énonciation comme moteur de construction et de maintien d’une identité autre chez les enfants du roman québécois de 1960 à aujourd’hui. Elle est membre du CRILCQ et fait partie du comité scientifique de la revue Fémur ainsi que du comité organisateur du colloque VocUM.

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