Célébration et commémoration des langues et cultures d’Oc dans la transmission lyrico-musicale du « Veles e Vents » de Ausiàs March
Diego Cantú i Patiño, 2e cycle, Université de Montréal
Résumé : Partant du poème « Veles e Vents », composé en vieux catalan par le poète valencien Ausiàs March au XIVe siècle, cet article s’intéresse aux multiples reprises intermédiales dont il a fait l’objet au XXe et XXIe siècles. L’analyse retrace les chaînes de transmission et de réception que construit chaque époque, en s’attardant aux mécanismes de resignification du texte, qui aboutissent à la création d’un espace métaphorique où peuvent être célébrées les parlers d’oc et leur héritage culturel. L’étude du cas de « Veles e Vents » ouvre une réflexion plus large sur un phénomène qui, loin d’être un cas isolé, semble propre aux littératures de langue catalane.
En 1995, dans son entrevue avec Josep Maria Espinàs, le linguiste catalan Joan Coromines affirmait : « il n’y a pas de survie du catalan, il n’y a que vie. […] [A]vec une langue qui augmente le nombre de ses locuteurs […], on ne peut parler de survie1 ». En effet, l’histoire des parlers et des cultures d’oc, qu’ils soient catalans, valenciens ou occitans, est marquée par autant de périodes sombres2 que de mouvements artistiques où se mêlent résistance, revendication politique et célébration d’un patrimoine. La chanson catalane connaît ainsi la Nova Cançó sous la dictature franquiste, tandis que la chanson occitane revit pendant la période militante post-mai 683 entre milieux populaires et universitaires. Le chant, devenu instrument de résistance et outil de préservation, innove autant qu’il puise dans des textes issus du canon littéraire et des traditions orales des pays catalans et d’oc. Cette double tendance est réinvestie encore aujourd’hui, vers la fin des années 20104.
Le cas du poème « Veles e Vents » (« Voiles et Vents5 »), composé au XIVe siècle par le poète valencien Ausiàs March, s’avère très représentatif de ce phénomène d’intermédialité : en effet, les multiples reprises et adaptations de ce texte au XXe et XXIe siècles, dans l’espace culturel catalano-valencien, forment non seulement une chaîne de transmission et de réception constante à travers le temps, mais aussi des œuvres nouvelles et distinctes, qui à leur tour engendrent leurs propres chaînes de transmission. Cette étude se propose de suivre et d’analyser cette trajectoire, du XIVe au XXIe siècle. Pour ce faire, nous donnerons en premier lieu un aperçu de l’œuvre d’Ausiàs March et de la complexité du lien de filiation qui le relie à ses prédécesseurs, ainsi qu’une analyse et une contextualisation de « Veles e Vents ». Nous présenterons ensuite une analyse de chacune de ses différentes reprises, en nous appuyant sur la théorie de la réception de Hans Robert Jauss et sur l’approche post-structuraliste des déterritorialisations de Deleuze et Guattari. Enfin, nous conclurons par une interprétation globale de ce phénomène de transmission, en ouvrant la voie vers de nouvelles pistes de réflexion sur les littératures de langue catalane.
Ausiàs March : l’héritier des Troubadours face à ses prédécesseurs
Dans leurs travaux, Deleuze et Guattari définissent les littératures minoritaires selon trois critères6, dont le troisième est la valeur collective :
En effet, précisément parce que les talents n’abondent pas dans une littérature mineure, les conditions ne sont pas données d’une énonciation individuée, qui serait celle de tel ou tel “maître”, et pourrait être séparée de l’énonciation collective. Si bien que cet état de la rareté des talents est en fait bénéfique, et permet de concevoir autre chose qu’une littérature des maîtres : ce que l’écrivain tout seul dit constitue déjà une action commune, et ce qu’il dit ou fait est nécessairement politique, même si les autres ne sont pas d’accord7.
Cette définition nous permet d’introduire les rapports, complexes, qu’entretiennent Ausiàs March, les littératures de langue catalane et la tradition de leurs prédécesseurs, soit les Troubadours occitans, premiers compositeurs en langue d’oc.
Chevalier né à Valence (ou Gandie) vers 1400 et mort vers 14598, Ausiàs compose en effet dans la continuité de la tradition courtoise, tant celle des italiens (Dante, Pétrarque), que celle des troubadours du Midi de la France (Arnaut Daniel, Bernart de Ventadorn) ou de Catalogne (Guillem de Bergedà, Cerverí de Girona). Longtemps l’imaginaire collectif a-t-il voulu voir une filiation ininterrompue entre ces poètes et le chevalier valencien, qui avait une très bonne connaissance des auteurs occitans9 : à sa mort, l’on retrouvera dans sa maison un recueil des compositions troubadouresques10. Nonobstant, une analyse nuancée permet d’entrevoir la distance calculée et prise volontairement par le poète à l’égard de cet héritage, comme le laisse entendre le vers : « Leixant a part l’estil dels trobadors11 ». Ainsi, si certains éléments du style troubadouresque (thèmes et concepts, notamment), subsistent dans la poésie de March, « la plupart de ceux-ci ont été abandonnés, déformés, et en fin de compte détournés ; tandis que sur le plan formel, certains topoï ressortent de par leur absence, notamment le locus amoenus [lieu idyllique]12 ». Par ailleurs, son vocabulaire est fortement inspiré de l’idéologie des Troubadours, comme en attestent certaines expressions du lexique courtois dans ses poèmes : « fin amant » (VII, v. 213), ou encore « fina amor », (VIII, v. 3 ; XLV, v. 78). Bien que fortement modifié, l’héritage perdure sur le plan de la forme dans l’œuvre du valencien, et le connaître nous semble essentiel pour comprendre sa lyrique « simultanément impure, gnomique et subjective, qui en son intérieur n’opère pas de distinction de genres14 ».
C’est sur ce même plan que l’on note la plus grande innovation de March : l’emploi de la langue catalane. Pour en mesurer l’importance, il faut faire état des affinités culturelles et linguistiques entre les pays d’oc du Midi de la France et les comtés catalans du Moyen Âge, quand l’occitan et le catalan, membres du même sous-groupe linguistique, constituaient encore un même continuum dialectal indifférencié. Une conséquence singulière de cette proximité fut le transfert de la lyrique d’amour en langue d’oc Catalogne, dès l’apparition des Troubadours au XIIe siècle, et sa conservation bien après la mort du mouvement en Occitanie. Troubadours et poètes d’origine catalane composaient ainsi dans la langue de leurs confrères, jusqu’à l’œuvre d’Ausiàs15, dont le choix linguistique aurait deux explications selon Constanzo Di Girolamo. D’une part, la diffusion de classiques en langue vernaculaire au XVe siècle (entre autres la Divina Commedia de Dante) aurait fourni un modèle d’un genre littéraire nouveau, favorisant l’emploi de la langue autochtone au détriment de la variante importée d’Occitanie16. D’autre part, ce choix s’accorde au style de March, qui privilégie « une poésie de genre, et de circonstance […] complètement atypique chez un poète qui dans la plus grande partie de sa production casse ouvertement les limites des genres codifiés17 ».
Cette rupture des codes ressort dans l’absence et la modification des grands topoï et des situations courantes dans la lyrique troubadouresque. Autre caractéristique qui ressort dans la production du poète est la question du « voler » (« vouloir »), centrale à tous les poèmes puisqu’elle traite du :
désir, souvent dans une acception spécifiquement sexuelle. […] À la différence des troubadours, le terme voler s’applique également à la dame, à laquelle l’amant demande, comme dans un jeu de miroirs, de désirer, pour que lui soit désiré. […] Peu de poètes d’amour, anciens ou modernes, ont fait cela : le désir de la dame est considéré comme légitime et est demandé, bien qu’il puisse par la suite constituer un obstacle, un empêchement, pour la perfection amoureuse à laquelle l’homme aspire18.
Di Girolamo met ainsi en évidence la différence esthétique entre March et l’amour courtois troubadouresque, où la Dame pouvait être vénérée, divinisée ou honnie chez certains troubadours, voir même être parfois effacée au profit d’une construction linguistique et poétique19. Mentionné explicitement dans « Veles e Vents », l’on retrouve le terme « voler » dans les 128 poèmes canoniques qui composent l’œuvre de March20. Au sein de ce corpus, la critique tend à distinguer plusieurs « cycles poétiques », définis notamment par le senhal21 employé dans la tornada22 qui agit comme dénominateur commun aux compositions. Ainsi, Plena de Seny ou Llir entre cards sont deux des senhals les plus employés par March, ayant chacun des caractéristiques thématiques propres. Le cycle de Llir entre cards « se caractérise par le thème de l’aspiration à un amour absolu, inspiré de la caritas (« charité ») ou dilectio Dei (« amour de Dieu ») de la mystique cistercienne ; ce dernier exige le renoncement à la raison humaine et au libre arbitre pour accomplir l’union spirituelle avec l’être, et ne connaître ni sens ni limite temporelle23 ».
« Veles e Vents » ne comporte pas de senhal permettant de l’identifier clairement à un cycle. L’édition d’Amadeu Pagès le place toutefois dans la position nº 46, intercalé entre des poèmes qui appartiennent pour la plupart au cycle de Llir entre cards24, dont certains des thèmes principaux résonnent avec ceux du poème, notamment le renoncement et la « mort par amour ».
Le cas de Veles e Vents
La théorie de la réception de Hans-Robert Jauss repose sur trois notions-clé : la chaîne de réception, l’horizon d’attente et l’écart esthétique. La première est « l’accueil fait à l’œuvre par ses premiers lecteurs [qui] implique un jugement de valeur esthétique, porté par référence à d’autres œuvres lues antérieurement25. » Ainsi, chaque génération de lecteurs se construit une histoire des interprétations des œuvres en tentant de mettre à jour les points de rupture, les points de renouvellement et les moments où ceux-ci surgissent, de sorte à constituer une chaîne de réception. Ces points d’inflexion où varie la réception se mesurent en fonction de l’horizon d’attente, lui-même composé de la connaissance que le public a d’un genre, des thèmes ou des formes de l’œuvre nouvelle, et de son idée du concept de littérature26. Finalement, « la distance entre l’horizon d’attente préexistant et l’œuvre nouvelle dont la réception peut entraîner un “changement d’horizon’’27 » constitue, pour Jauss, l’écart esthétique.
C’est en fonction de ces trois paramètres de navigation que nous retraçons la transmission de « Veles e Vents », en commençant par le poème original XLVI (identifié par le sigle VeV0), composé par Ausiàs March, dont nous proposons en premier lieu une analyse structurelle28. La canso, rédigée en décasyllabes réguliers, se compose de 7 octaves, soit des cobles creu-croades29 et capcaudades30 (ici numérotées I, II, III, IV, V, VI, VII), et se termine par une tornada (VIII), où se dessine le schéma de rimes embrassées suivant31 :
I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII |
---|---|---|---|---|---|---|---|
abba-cddc | cddc-effe | effe-ghhg | ghhg-ijji | ijji-kllk | kllk-mnnm | mnnm-oppo | oppo |
a = -ir ; b = -ar ; c = -orn ; d = -al ; e = -an ; f = -ets ; g = -ent ; h = -als ; i = -er ; j = -it ; k = -or ; l = -ol ; m = -ost ; n = -ta ; o = -é ; p = -à |
Au cœur du texte, la métaphore nautique peut s’interpréter comme suit :
La navigation amoureuse exprime l’incertitude de la fortune avec une amplification heureuse : deux vents contraires à cinq qui furent favorables, c’est presque toute la rose des vents (v. 3-8). S’ensuit la description d’une tempête maritime pour manifester la loyauté de l’amant (v. 9-24) qui court le risque d’une mort par amour prévue (v. 56) et plusieurs fois annoncée dans le cycle de Llir entre cards ; il n’y a pas de senhal puisque la tornada invoque le déplacement de l’Amour : « a joc de Daus vos acompararé » (v. 60)32.
L’analyse nous permet d’identifier, tout d’abord, un ensemble de huit thèmes et motifs qui seront commémorés dans les reprises successives du poème : la légèreté, la liberté, l’invitation au voyage, le hasard et le destin, la témérité, la révélation et l’adresse des désirs, l’érotisme et la sensualité, hérités des troubadours. Comme le navire porte le poète, exalté au point d’osciller entre vie et mort, ces motifs portent son chant et célèbrent la vie tout en bravant la tempête, sous l’impulsion de l’amour.
À partir de cette interprétation, nous pouvons, en outre, contextualiser l’écriture et la réception de VeV0 : la métaphore nautique, concrète et facile à appréhender, trouve un terrain fertile dans l’imaginaire collectif du public valencien et péninsulaire contemporain de March. C’était des hommes et des femmes savants, qui aurait sans doute eu connaissance tant de « l’estil dels trobadors » que des expéditions d’Alphonse IV en Méditerranée, auxquelles participa le poète. Sans connaître avec certitude leur interprétation de VeV0, nous pouvons supposer qu’ils n’ont pas été indifférents à l’écart esthétique à l’égard du style troubadouresque, et qu’ils ont reconnu le chant d’amour d’un homme semblable à eux, poète mais mortel, empreint d’une humanité téméraire, comme en témoigne le célèbre vers nº41 : « Jo son aquell pus extrem amador33 ». Cette célébration de la vie et de l’amour les aurait d’autant plus marqués du fait qu’elle était chantée dans leur parler autochtone, et non plus dans cette autre variante occitane, de plus en plus méconnue. Enfin, la témérité de March pourrait être interprétée comme une forme de résistance, non pas à un ordre politique, mais à la mort et au destin qui lui sont peu favorables, dans son entreprise amoureuse comme dans son périple maritime.
Première reprise : la Nova Cançó
La première reprise de « Veles e Vents » (nous l’identifierons par le sigle VeV1), et la plus connue, est celle de Raimon Pelegero i Sanchis, originaire de Xàtiva. VeV1 fut composée en 197034 pour l’album « Per destruir aquell qui l’ha desert » ; produite par la maison de disques Belter, elle fut jouée sur scène au Palau Sant Jordi en 1993. L’on remarque tout d’abord la volonté de Raimon de préserver la langue d’origine, contrairement aux reprises postérieures qui la moderniseront, un choix que nous interprétons comme un hommage au poète. Cependant, la première innovation significative apparaît dans le remaniement des strophes de VeV0, ce qui aboutit à la création d’un nouveau texte :
I → II → VIII (= refrain) → IV → 1er quatrain de V → VIII (= refrain [+ v. 60 x 2])
La deuxième innovation est la mélodie créée par Raimon : elle se caractérise par une montée intonative et instrumentale qui s’opère dans le premier hémistiche d’un vers sur deux, particulièrement saillante pour les vers 1, 9, 25 et 29 (voir Annexe II). En parallèle, une descente survient sur le dernier vers de chaque strophe : on y observe un étirement syllabique, notamment pour « tramuntanal » (« tramontane », v. 6), « retorn » (« retour », v. 8), « eixiran » (« sortiront », v. 16), « departiment » (« départ », v. 28), « veer » (« voir », v. 36). Dans l’ensemble, cette mise en musique du texte en offre une lecture aussi romantique que dramatique, sorte d’idylle nostalgique, avec des touches de mélancolie qui manifestent le caractère « extrême » du sentiment marquien (v. 41). La cadence est menée par les montées et descentes de la harpe, donnant à la mélodie un rythme régulier, peut-être un mimétisme des vagues océaniques. La tempête surgirait alors lors des brusques montées intonatives et instrumentales placées sur les vers où les sentiments se correspondent, par exemple : « Jo tem la mort per no ser-vos absent/perquè amor per mort és anul·lats35 » (v. 25). La transformation de la tornada en refrain, et la réitération du dernier vers, notamment en fin de chanson, mettent de l’avant l’aléatoire du destin que contient la métaphore du « joc de daus » (« jeu de dés », v. 60).
C’est ici qu’il nous faut insister sur la singularité de VeV1 : l’absence de partition ou de tout autre document indiquant une mélodie propre à VeV036 nous force à la considérer non seulement comme la toute première mise en musique d’un texte à priori destiné à la lecture37, mais aussi comme une œuvre à part entière et distincte de VeV0, puisque l’agencement textuel et musical opéré par Raimon conduit à la création d’un nouveau texte. Tout comme la mélodie, la forme du texte est nouvelle et ne peut se comprendre sans le contexte qui l’a vu naître, soit celui de la Nova Cançó. Ce mouvement culturel et artistique, propre à la Catalogne des années 1960, avait parmi ses revendications le retour à la langue et à la culture catalanes comme moyen d’expression artistique, mais aussi la volonté « de contribuer à la dignification et à la revendication de la qualité artistique de ce genre […], qui […] avait été largement sous-estimé culturellement dans notre pays […]38 ». Fête et résistance se rejoignent donc : la première crée un espace artistique où la langue, sa littérature et les thèmes qu’elles transportent, peuvent vivre librement, ce qui, dans le programme de la Nova Cançó, constitue un acte de politique en soi.
Ainsi, si quelques créations originales garnissent le corpus de ce mouvement, une composante majeure de celui-ci demeure la mise en musique de nombreux poèmes classiques tirés en quasi-totalité de la tradition littéraire catalane39. Ici, l’écart esthétique ne peut se comprendre sans considérer la complexité de l’horizon d’attente en 1970 : pour un public (et un peuple) vivant sous le joug d’une dictature qui travaillait activement à effacer sa culture et sa langue, ce fut un choc que de recevoir un poème classique rédigé dans l’ancêtre de leur parler autochtone, composé par l’une des grandes voix de leur tradition littéraire, lui-même héritier d’un mouvement culturel, l’Amour Courtois, autrefois honoré et admiré dans toute l’Europe. À travers l’oralité, le plus accessible des médias, tout locuteur pouvait s’approprier cette œuvre, dont le succès peut s’attribuer tant au fait de chanter en catalan qu’à sa façon de chanter en catalan. Deleuze et Guattari nous expliquent qu’un des :
caractère[s] des littératures mineures, c’est que tout y est politique. […] [leur] espace exigu fait que chaque affaire individuelle est immédiatement branchée sur la politique. L’affaire individuelle devient donc d’autant plus nécessaire, indispensable, grossie au microscope, qu’une tout autre histoire s’agite en elle40.
Dans le cas d’une nation sans État41, comme la Catalogne à la culture depuis longtemps minoritaire selon François Paré, la production et la préservation du patrimoine littéraire est un enjeu pour tout le peuple, et non seulement pour ses élites intellectuelles42. La langue, par ailleurs, « y est affectée d’un fort coefficient de déterritorialisation43 », puisque contrairement aux littératures majeures, celle-ci fait passer l’expression avant la pensée. Raimon innove ainsi par la combinaison dans le chant de l’amour et de la révolte, par la modulation de l’érotisme de March pour le rendre plus accessiblepublic, et par la préservation de la métaphore nautique sur laquelle repose l’originalité du texte. Par synecdoque, elle en deviendra même le symbole dans les reprises postérieures. Cette technique, que l’on retrouve chez d’autres acteurs de la Nova Cançó, dépasse cependant les théories de Deleuze et Guattari puisque au-delà de la lutte politique, la revendication identitaire passe par la commémoration d’une célébration, celle de l’Amour comme concept idéologique et universel, entamée d’abord chez les Troubadours, grands maîtres d’amour, et perpétuée dans le poème d’Ausiàs, dont les motifs, qui touchent à l’universel, sont dès lors mis en abîme. De ce fait, Raimon crée une œuvre où expression et contenu retrouvent un rapport plus intime et productif, où la littérature minoritaire trouve un espace de vie pour sa langue. Elle peut alors aborder les grandes questions et les grands thèmes de la condition humaine qui sont, d’habitude, l’apanage des grandes traditions littéraires.
Deuxième reprise : modernité au XXIe siècle
C’est dans l’héritage que la Nova Cançó laisse, à son tour, à la chanson et à la musique catalane, que se construit la deuxième vague de reprises. Nous y distinguons deux cas de figure : les reprises qui ont pour source la chanson composée par Raimon (VeV1), et celles qui puisent directement dans le texte de March (VeV0), en y apportant leur propre mélodie et en réorganisant le texte à leur manière.
Dans la première catégorie, nous trouvons tout d’abord le « Veles e Vents » interprété par Josep Carreras dans son album T’estim i t’estimaré, produit en 2006 par DiscMedi (VeV1.1)44. En tant que chanteur d’opéra accompagné par l’Orchestre symphonique de Barcelone et l’Orchestre national de Catalogne, son adaptation de VeV1 se plie aux codes du genre, avec un accompagnement classique. Elle rappelle d’ailleurs l’interprétation de Raimon au Palau Sant Jordi, au caractère bien plus orchestral et spectaculaire que la version enregistrée par Belter. Autant la structure métrique du texte que la mélodie sont directement tirées de VeV1, avec pour seuls changements des vocalisations et des intonations plus profondes et prononcées, caractéristiques de l’opéra.
S’ensuit le « Veles e Vents » interprété par Marc Parrot dans son album 50 anys de la Nova Cançó, en 2009 (VeV1.2)45. Nous remarquons ici la présence d’une référence explicite et directe non pas à Raimon, mais à l’ensemble du mouvement de la Nova Cançó. La reprise de Parrot voit en VeV1 une pièce emblématique du mouvement et de sa signification dans l’histoire du peuple catalan, plutôt que de ses revendications politiques de l’époque. Tout comme la version de Carreras, elle reprend la structure métrique et mélodique de VeV1, mais la modernise en intégrant de nouveaux instruments (guitare électrique, batterie, etc.) et des vocalisations plus tamisées.
La version de Paco Muñoz (VeV1.3) se trouve dans une compilation de plusieurs artistes produite en 2010. Le texte de référence demeure VeV1, avec une légère modification au 2ème quatrain de II : celui-ci est récité, tout comme le refrain (VIII) qui le suit, technique que l’on retrouve dans d’autres reprises. VeV0 ressurgit alors, l’espace d’un instant, à travers cette pause mélodique qui attire notre attention vers les paroles et leur contenu. La mélodie est elle-même non seulement plus douce, avec des montées intonatives moins prononcées que dans VeV1, mais comporte également une part de polyphonie à partir du v. 33, où deux voix se chevauchent, l’une en écho de l’autre, et cela jusqu’au refrain, où la réitération du dernier vers diffère du procédé employé par Raimon.
Le dernier de la liste est le « Veles E Vents » de Verdcel (VeV1.4), dans Petjades, Verdcel canta Raimon, produit en 2010 par Temps Record/Edicions Bromera46. Des quatre reprises, elle est peut-être la seule (avec VeV1.2) à se placer directement sous l’autorité de Raimon, dont elle suit strictement le texte. Une autre particularité est le motif qu’elle introduit dans l’accompagnement musical : des cris de mouettes et des bruits de vagues ouvrent l’enregistrement, résonnent en arrière-plan et ancrent la chanson dans la réalité des côtes de Valence. Si la mélodie est celle de VeV1, elle suit la tendance de ses prédécesseurs (VeV1.2, VeV1.3) en adoucissant et en tamisant les intonations caractéristiques de Raimon, et aboutit à la version la plus moderne, la plus intime et la plus personnelle de cette chaîne de réception.
Pour ce qui est des horizons d’attente rencontrés par chacune de ces reprises, nous suggérons que, pour le public des années 2000 ayant désormais en tête l’héritage glorieux de la Nova Cançó, ce n’est plus tant le texte du poète Ausiàs March qui compte, mais la chanson rebelle et dramatique d’une nouvelle figure, tout aussi mythique, celle de Raimon. Malgré les modernisations qu’elles opèrent sur VeV1, chaque reprise s’efforce de minimiser l’écart esthétique qui l’en sépare, tant en se plaçant sous l’autorité directe de Raimon et de la Nova Cançó qu’en respectant la forme et le style de VeV1, avec en amont le prestige associé à leurs genres musicaux respectifs (c’est le cas de l’opéra avec Carreras). Une nouvelle chaîne de réception se dessine, où chaque commémoration successive développe la mise en abîme des motifs initiée par Raimon, de sorte à ouvrir un espace de fête et de célébration où la langue catalane peut vivre en toute liberté. C’est ainsi que Josep Carreras innove pour sa part, dans sa commémoration de Raimon. à travers le spectaculaire propre à son média, l’opéra, de nature prestigieuse. Marc Parrot et Paco Muñoz, quant à eux, s’opposent dans leurs pratiques : l’un célèbre non plus les poètes médiévaux, mais un mouvement et le courage de ses acteurs face à la répression de leur temps, même si les premiers (sur)vivent en arrière-plan ; Muñoz, au contraire, rend hommage directement aux poètes issus du canon littéraire et revendique la volonté de faire vivre ce patrimoine à travers la voix des héritiers de ces poètes. Verdcel, finalement, saisit l’intimité et la légèreté de VeV0, sur le modèle de VeV1, et ramène la chanson aux côtes valenciennes tout en confrontant la notion de déterritorialisation. Le « voler » de la langue semble être celui du retour à la terre qui l’a bercée, caractère par ailleurs commun à toute la chaîne, composée presque exclusivement de chanteurs valenciens.
En parallèle à cette chaîne de réception secondaire, il s’en dessine une autre, qui comporte deux versions, même si notre recherche a mis à jour bien d’autres reprises que nous n’aurons pas l’occasionde recenser dans cet article47. En premier lieu vient celle du groupe Rapsodes (VeV0.1) dans leur album Pessics i Pessigolles, produite en 2009 par Mésdemil48, et qui innove sur tous les fronts. Le texte de référence est VeV0, mais sa langue, sa structure et sa disposition métrique ont été complètement remaniées par les Rapsodes de sorte à moderniser le texte au goût du XXIe siècle, sans les termes érudits ni les formulations complexes du XIVe siècle :
V → refrain = 1er quatrain de I → II → III → refrain → IV → V → refrain = 2ème quatrain de I → VII → VIII.
La mélodie suit les canons et les contraintes du rap, tout en intégrant des éléments quelque peu pop-RnB : V est récitée dans un style de slam par une voix masculine, suivi du refrain chanté de façon très lascive et langoureuse par une voix féminine ; II et III sont rappées avec une diction dynamique et vive, chacune par une voix masculine différente ; l’enchaînement se reproduit pour la suite « refrain→ IV → V → refrain » et se termine par VII et VIII, récitées dans le même style que V. Dans cette version, l’omission de toute référence explicite à Ausiàs March comme à Raimon ne nous laisse pas indifférents : l’horizon d’attente semble suffisamment vaste pour se passer des procédés rhétoriques des autres versions, et permettre aux Rapsodes de s’approprier le texte d’une façon beaucoup plus radicale et intime que Verdcel, tandis que l’écart esthétique s’élargit, par rapport au style, à la forme et même au contenu. En effet, en contraste avec la chanson de Raimon qui reposait davantage sur la métaphore du hasard contenue dans VIII, Rapsodes exploite celle de l’espoir et, dirait-on, du courage dans I. En la combinant aux motifs centraux de VeV0, le rap, genre propice à la contestation politique, à la revendication identitaire et à la rébellion, mais aussi à la célébration et à la transgression (tout comme la poésie de March vis-à-vis de ses prédécesseurs) la témérité des jeunes générations catalano-valenciennes des années 2000 et 2010, dont l’adolescence est marquée par des questionnements, des crises existentielles et des premiers amours problématiques. Ces jeunes générations sont d’autant plus en questionnement vis-à-vis de leur avenir puisqu’elles sont la nouvelle voix d’un peuple minoritaire. Elles sont donc porteuses et responsables d’un héritage culturel et linguistique maintes fois mis à mal par l’histoire, et menacé de disparition49.
À côté de VeV0.1, nous trouvons la version d’Andreu Soler dans son album A Mar, produit en 2018 (VeV0.2). Il s’agit de la seule mise en musique dans les différentes chaînes qui respecte tant la langue de March que l’ordre canonique de VeV0 (de I à VIII). La chanson est portée par un ensemble à capella, avec pour seule accompagnement un piano et des bruits de vagues en introduction, comme chez Verdcel. La mélodie qui en ressort est radicalement différente de celle de Raimon ou de Rapsodes : son rythme précis (peut-être un autre mimétisme des vagues), se compose de crescendos plus calculés en début de strophe et de decrescendos rapides en fin de strophe. Des voix féminines couvrent I, sur fond de voix masculines à partir de II, qui prennent alors la parole en IV, d’abord sans voix féminines puis avec celles-ci en arrière plan pour V. La reprise de VI se fait avec des vocalisations imitant des trompettes, puis les vers sont chantés en canon avec un mélange de voix féminines et masculines, jusqu’à l’unification des deux au 48ème vers. VII est récitée, avec en arrière plan le chœur masculin et féminin qui chante les deux premiers mots des strophes I à V, puis s’éffacent pour laisser une soprano chanter VIII en conclusion. Finalement, les dernières strophes sont récitées, sur un ton encore plus solennel que dans la version de Paco Muñoz. Face à un horizon d’attente partagé avec le VeV0.1 de Rapsodes, la version de Soler creuse un écart esthétique par son style et sa forme, mais se rapproche de sa source à travers le motif qu’elle est la seule à commémorer directement parmi toutes les versions : la mer. La Méditerranée, la patrie et l’éloignement sont ainsi au cœur du chant des poètes invoqués par l’album de Soler, et le cœur du poète que transportent les voiles et vents y trouve naturellement sa place.
Troisième reprises : Xarxa Teatre
Si nous retenons la version d’Andreu Soler en dernier lieu, c’est qu’elle nous permet d’introduire la troisième sous-chaîne de réception qu’il nous semble essentiel de mentionner dans cette étude, soit le spectacle « Veles e Vents » créé par Xarxa Teatre en 1997 (notée VeV2). Bien que chronologiquement antérieure aux chaînes de VeV0 et VeV1, nous l’abordons en troisième instance puisqu’elle transpose le texte dans un autre média : le théâtre. Dépourvue de dialogues, la pièce repose entièrement sur les actions sur scène et des jeux pyrotechniques. Aucune mention ou utilisation n’est faite du texte original50, si ce n’est son titre. Au contraire, elle réinvestit l’imaginaire du poème au service d’un engagement politique clairement mis en avant par l’image d’un voilier, transformé en terrible pétrolier, alors qu’il navigue dans :
une mer tantôt bienveillante et bienfaisante, tantôt impressionnante et terrifiante, […] source de vie et lieu de rencontre entre les cultures mais, en même temps, une mer en pleine destruction, transformée en cimetière nucléaire constamment en flammes par les catastrophes pétrolières. Le message écologique se maintient, à ce jour, présent, comme la proposition scénaristique51.
Il nous faut alors recalculer l’écart esthétique : si le public de 1997 n’avait sans doute pas autant de conscience écologique, celui des représentations successives (dont celle de 2017 à Montréal, pour le 375e anniversaire de la ville52) devait en avoir une beaucoup plus aiguë. L’écart se creuse d’autant plus que l’œuvre est sortie de son contexte d’origine, soit celui de la poésie d’amour en langue romane aux XIVe et XVe siècle, afin de servir un dessein absolument inconnu d’Ausiàs March et de ses contemporains, mais d’une importance capitale pour ses lecteurs au XXIe siècle. Enfin, la dimension internationale nous force à considérer de nouveaux publics étrangers, beaucoup moins sensibles au remaniement de l’œuvre, que le public valencien et catalanophone pour qui le nom d’Ausiàs March est chargé de sens. Cette réactualisation de l’œuvre en offre une perspective jamais évoquée auparavant : loin d’une commémoration, c’est une célébration et une fête à proprement parler, non plus des motifs d’origine, mais de la vie et du monde naturel au sens biologique, à travers les feux d’artifice et la musique triomphante qui accompagnent la renaissance du voilier à la fin de la pièce.
Vie et survie de la civilisation du Sud : pistes pour une réflexion plus large
Comment expliquer le succès de « Veles e Vents » qui s’exprime dans une si longue transmission ? Nous croyons d’abord que la réponse se trouve tant dans le contenu que dans la forme, qui tiennent tous deux à un élément clé : la métaphore nautique. Sa vivacité et sa simplicité lui confèrent une plasticité remarquable, et cela parce que la métaphore se construit sur des référents universels de la condition humaine (le voyage, l’océan, la tempête, le hasard, le destin, le caractère extrême des sentiments humains). Le texte s’offre ainsi, et sans résistance, aux remaniements et aux reprises en fonction des tendances de l’époque et du contexte, pour satisfaire ou choquer les angoisses et attentes du public. Lorsque March commande aux voiles et aux vents de porter ses désirs, l’on peut autant y lire l’amour extrême qu’il ressent pour sa Dame, son « voler53 » romantique hérité de la poésie des Troubadours, que l’incertitude de tout être humain vis-à-vis du hasard de son destin, notamment au XXIe siècle où le « voler » revêt une consonance plutôt individualiste. L’on peut y voir aussi la volonté de protégér un microcosme naturel et idyllique en danger. Finalement, l’on peut ressentir le « voler » d’un peuple, son désir d’autodétermination qui implique une volonté de voguer dans l’inconnu, à partir du moment où un peuple s’autorise à espérer la libération totale de sa langue et de sa culture.
Cependant, un « voler » sous-jacent relie toutes les reprises des ces différentes chaînes, soit la volonté de survivre et, bien-delà, de vivre et transmettre sa langue dans un espace de commémoration et de célébration. L’on comparera ce phénomène à la (ré)émergence de la chanson occitane dans la période post-Mai 68, notamment avec Massilia Sound System qui souhaitait « chanter sa culture occitane, sa ville cosmopolite et retrouver une langue malmenée par l’histoire54 ». Or, il faut bien comprendre que la célébration occitane se construit dans un espace différent : les productions des groupes des années 1990, étudiées par Chabaud, donnent lieu à un processus de déterritorialisation très important, puisqu’elles puisent autant dans leur passé médiéval et leurs traditions populaires, que dans l’exotisme de genres musicaux étrangers (le reggae jamaïcain, les percussions maghrébines, les rythmes brésiliens, etc.) afin de réinventer leur héritage musical au XXIe siècle55. Ainsi, tandis que les occitans ont eu recourt à des cultures étrangères pour faire revivre la leur dans son territoire d’origine, leurs frères ibériques n’ont employé que leur patrimoine culture et musical autochtone, du moins dans le cas de « Veles e Vents ». Cela se voit tant dans le choix des accompagnements musicaux que dans le remaniement de la métaphore nautique de chaque chanteur étudié, qui remonte à la surface comme l’épave d’un navire sur les côtes valenciennes. À travers celle-ci, les artistes préservent plus explicitement le lien direct avec leur passé médiéval autochtone et créent un espace musical où l’héritage et la langue peuvent vivre, et non plus seulement survivre
La longévité d’un tel phénomène ne pourrait s’expliquer sans prendre en considération le média, soit la littérature, orale ou écrite. Pour le dire avec la poétesse Cinta Massip i Bonet, vétérane de la Nova Cançó : « particulièrement la poésie, est une sublimation artistique de la parole, et la parole est communication : c’est le pont essentiel entre l’expression de la pensée et du sentiment, le fondement du dialogue et de la compréhension entre êtres humains56 ». Quant aux liens entre chanson et théâtre, ils viendraient, selon elle, de « la présence corporelle, charnelle pourrait-on dire, et [de] la pureté physique de la voix, du son comme matière, [qui] inscrivent la poésie et la musique dans les arts de la scène57 ».
Ainsi peut être résumée la transmission lyrico-musicale du « Veles e Vents » d’Ausiàs March, qui a laissé dans son sillage des œuvres nouvelles et distinctes, devenues à leur tour des référents canoniques au sein de leur tradition culturelle et artistique. Ce succès de l’œuvre de March tient autant à la métaphore nautique qu’au « voler » qu’elle porte comme une cargaison précieuse : la première permet d’ancrer les reprises dans le référent aussi universel que spécifique de la mer, métaphorique ou réelle, tandis que le second peut être repris et resignifié à l’infini, selon l’époque, le chanteur et le public. Le chant qui se répercute du XIIe au XXIe siècle, crée alors un espace où la langue et ses motifs peuvent être commémorés, célébrés et transmis, un espace, en somme, où la langue peut vivre, comme le prédisait déjà Joan Coromines58. Fête, résistance et commémoration sont ainsi combinés dans l’espace artistique, comme ils le sont déjà dans l’imaginaire catalano-valencien. En effet, rappelons que la fête nationale de la Catalogne, le 11 septembre, est en vérité la commémoration d’une sanglante défaite militaire, en 1714.
Mais avant de mettre un terme à notre voyage, nous souhaitons naviguer quelques milles de plus dans notre réflexion, puisque la transmission de « Veles e Vents », au même titre que la reprise de « Se canto », hymne non officiel de l’Occitanie, ou de « L’Estaca » de Lluís Llach, attestent d’un phénomène à notre avis distinct au sein de la culture européenne. La civilisation d’oc fut l’auteure, par la main des Troubadours du XIIe siècle, d’un monument littéraire sans égal dans l’Europe médiévale, et les sociétés qui en sont les héritières portent aujourd’hui ce passé glorieux mais malmené par l’histoire, au point d’être réduit aujourd’hui à la position malcommode d’une littérature minoritaire qui tente, entre déterritorialisations culturelles et revendications politico-identitaires, de vivre.
À la façon d’Ausiàs March, cette étude invite donc le lecteur à redécouvrir le riche patrimoine des littératures en langue d’oc, et à s’inspirer de leur témérité et de leur résilience. François Paré affirmait ainsi que « l’intérêt des petites littératures pour nous, c’est qu’elles permettent parfois, par des détours incroyables, de songer aux à-côtés de l’Être59 ». Ces détours et réflexions nous semblent plus que nécessaires en l’an 2020 : alors que les multiples crises qui l’ont traversé sont encore loin de se résoudre, les littératures et cultures d’oc nous invitent, elles, à y résister par le chant et à fer festa enmig de la tempesta60.
Annexe 1 : Schéma sommaire de la transmission de « Veles e Vents »

Annexe 2 : Textes de « Veles e vents »
AUSIÀS MARCH | AUSIÀS MARCH | RAIMON |
---|---|---|
« Veles e vents han mos desigs complir » XLVI | « Voiles et vents doivent accomplir mes désirs » XLVI | « Veles e vents han mos desigs complir » |
(I) Veles e vents han mos desigs complir faent camins dubtosos per la mar. Mestre i ponent contra d’ells veig armar; xaloc, llevant los deuen subvenir ab llurs amics lo grec e lo migjorn, fent humils precs al vent tramuntanal que en son bufar los sia parcial e que tots cinc complesquen mon retorn. (II) Bullirà el mar com la cassola en forn, mudant color e l’estat natural, e mostrarà voler tota res mal que sobre si atur un punt al jorn. Grans e pocs peixs a recors correran e cercaran amagatalls secrets: fugint al mar, on són nodrits e fets, per gran remei en terra eixiran. (III) Los pelegrins tots ensems votaran e prometran molts dons de cera fets; la gran paor traurà al llum los secrets que al confés descoberts no seran. En lo perill no·m caureu de l’esment, ans votaré al Déu qui·ns ha lligats de no minvar mes fermes voluntats e que tostemps me sereu de present. (IV) Jo tem la mort per no ser-vos absent, perquè amor per mort és anul·lats; mas jo no creu que mon voler sobrats pusca ésser per tal departiment. Jo só gelós de vostre escàs voler, que, jo morint, no meta mi en oblit: Sol est pensar me tol del món delit car, nós vivint, no creu se pusca fer. (V) Aprés ma mort d’amar perdau poder e sia tots en ira convertit !, e jo, forçat d’aquest món ser eixit, tot lo meu mal serà vós no veer. Oh Déu !, per què terme no hi ha en amor, car prop d’aquell jo·m trobara tot sol? Vostre voler sabera quant me vol, tement, fiant, de tot l’avenidor. (VI) Jo són aquell pus extrem amador aprés d’aquell a qui Déu vida tol. Puixs jo són viu, mon cor no mostra dol tant com la mort per sa extrema dolor. A bé o mal d’amor jo só dispost, mas per mon fat fortuna cas no em porta: tot esvetlat, amb desbarrada porta, me trobarà faent humil respost. (VII) Jo desig ço que em porà ser gran cost i aquest esper de molts mals m’aconhorta; A mi no plau ma vida ser estorta d’un cas molt fer, qual prec Déu sia tost. Lladoncs les gents no els calrà donar fe al que amor fora mi obrarà; lo seu poder en acte es mostrarà e los meus dits amb los fets provaré. (VIII) Amor, de vós jo·n sent més que no·n sé, de què la part pijor me’n romandrà, e de vós sap lo qui sens vós està. A joc de daus vos acompararé |
(I) Voiles et vents doivent accomplir mes désirs, par des chemins hasardeux dans la mer. Mistral et vent d’ouest je vois se lever contre eux ; sirocco vent d’est doivent leur venir en aide, avec leurs amis vent grec et vent d’Espagne, en priant humblement la tramontane de souffler en leur faveur et que tous les cinq accomplissent mon retour. (II) La mer se mettra à bouillir comme terrine au four changeant de couleur et d’état naturel, elle montrera tout le mal qu’elle veut à ceux qui vont sur l’eau en un point du jour ; les poissons petits et grands courront se cacher et chercheront des refuges secrets : fuyant la mer, qui les nourrit et les fait vivre ils n’auront d’autre issue que la terre. (III*) Les pélerins tous ensembles feront des vœux et promettront beaucoup de dons en cire faits ; la grande peur mettra à jour les secrets, qui au confesseur ne seront dévoilés. Dans le danger, vous ne sortirez de ma connaissance, au contraire, je prierai au Dieu qui nous a liés, qu’il ne réduise mes fermes volontés, et qu’en tout temps vous me soyez présente. (IV) Je crains la mort pour ne pas être absent de vous, car Amour par la mort est annulé ; mais je ne crois pas que mon vouloir puisse être vaincu par une telle séparation. Je suis jaloux de votre peu de vouloir à vous, et qu’à ma mort, il ne me précipite dans l’oubli : cette pensée seule m’ôte tout élan de vie, car moi vivant, je ne crois pas cela possible. (V) Après ma mort, perdez le pouvoir d’aimer, et que tout soit en colère changé, et moi, contraint de quitter ce bas monde, tout mon mal sera de ne plus jamais vous voir. Oh, Dieu !, pourquoi l’amour n’a pas de terme, Est-ce que près de la fin, je me trouverai seul ? Votre volonté saura quand elle voudra de moi, craintif mais confiant dans l’avenir. (VI*) Je suis le plus extrême des amants après celui à qui Dieu donne vie. Moi en vie, mon cœur ne montrera de deuil comme fait la mort, par son extrême douleur. Au bien et au mal d’amour je suis disposé, Mais, mon destin ne m’apporte fortune : tout éveillé, avec la porte grand ouverte, vous me trouverez faisant un humble repos. (VII*) Je désire cela qui pourra me coûter cher, et cet espoir de bien de maux me console ; il ne me plaît que ma vie soit épargnée d’un cas si grave, qu’à Dieu je le lui demande. Alors, les gens n’auront plus jamais à donner foi, De ce qu’Amour hors de moi fera : Son pouvoir en actions se montrera, Et mes dires avec des faits je démontrerai. (VIII) Amour, de vous je sens bien plus que je ne sais et le pire va m’échoir ; car, qui vous connaît, vous ignore. Au jeu de dés je vous comparerai. |
(I) Veles e vents han mos desigs complir, faent camins dubtosos per la mar. Mestre i ponent contra d’ells veig armar; xaloc, llevant, los deuen subvenir ab llurs amics lo grec e lo migjorn, fent humils precs al vent tramuntanal que en son bufar los sia parcial e que tots cinc complesquen mon retorn. (II) Bullirà el mar com la cassola en forn, mudant color e l’estat natural, e mostrarà voler tota res mal que sobre si atur un punt al jorn. Grans e pocs peixs a recors correran e cercaran amagatalls secrets : fugint al mar, on són nodrits e fets, per gran remei en terra eixiran. (VIII) Amor de vós jo en sent més que no en sé, de què la part pitjor me’n romandrà; e de vós sap lo qui sens vós està. A joc de daus vos acompararé. (IV) Io tem la mort per no ser-vos absent, perquè amor per mort és anul·lat: mas jo no creu que mon voler sobrat pusca esser per tal departiment. Jo só gelós de vostre escàs voler, que, jo morint, no meta mi en oblit. Sol est pensar me tol del món delit, car nós vivint, no creu se pusca fer: (V) aprés ma mort, d’amar perdau poder, e sia tost en ira convertit. E, jo forçat d’aquest món ser eixit, tot lo meu mal serà vós no veer. (VIII) Amor, de vós jo en sent més que no en sé, de què la part pitjor me’n romandrà, e de vós sap lo qui sens vós està: A joc de daus vos acompararé. (x2) |
Bibliographie
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Joan Coromines, « Joan Coromines : “No hi a supervivència del català, hi ha vida” », Cultura Viva Catorze. Consulté le 22 novembre 2020 : « No hi ha supervivència del català, hi ha vida. És una vida una mica mediatitzada i sotmesa a passions. Però amb una llengua que va augmentant el nombre dels seus parlants, en lloc de disminuir-los, no es pot parlar de supervivència. » [Nous traduisons].↩
L’on mentionnera la croisade contre les Albigeois du XIIIe siècle et la défaite des comtés du Sud ; la chute de Barcelone aux mains de l’armée franco-hispanique en 1714 ; la politique d’extermination des parlers régionaux lors de la Révolution Française de 1789 ; la répression du catalan, du valencien, du basque et du galicien sous la dictature de Franco au XXe siècle.↩
Sylvan Chabaud, « Le chant en occitan, une expérience récente et originale de prise en main d’une culture et d’une langue », Lengas, décembre 2013.↩
Pour plus de détails voir Magnat, Virginie, « Chanter la diversité culturelle en Occitanie : Ethnographie performative d’une tradition réimaginée », Anthropologica, Vol. 60 / 22, 2018, p. 439‑456.↩
Les syntagmes seront traduits dans le corps du texte, de même que les citations tirées d’ouvrages critiques ; les vers, notamment ceux de « Veles e Vents », seront traduits en note de bas de page, et repérés à l’aide d’un numéro entre parenthèses dans le corps du texte.↩
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Paris, Éditions de Minuit, 1975, (« Critique »), p. 29. : le premier critère des littératures mineures est le fort coefficient de déterritorialisation de leur langue. Ibidem, p. 30. : le second est leur caractère éminément politique.↩
Ibidem, p. 31.↩
« Ausiàs March i els poetes catalans del segle XV », in Lola Badia, (éd.). Història de la literatura catalana : Literatura medieval, Vol. 2, Éd. Lola Badia, Barcelona, Editorial Barcino, 2013, (« Enciclòpedia catalana »), p. 353‑359.↩
Pour mieux comprendre l’importance de ce recueil dans le lien entre March et ses prédécesseurs, nous renvoyons à l’étude de Careri, « Per la ricostruzione del “Libre” di Miquel de la Tor : studio e presentazione delle fonti », Cultura neolatina, 1995, p. 251‑408, p. 251‑408.↩
« Ausiàs March i els poetes catalans del segle XV », op. cit., p. 365.↩
« Laissant à part le style des troubadours » [Nous traduisons] dans March, Ausiàs, Obras del poeta valenciá Ausias March publicadas tenint al devant las edicions de 1539, 1545, 1555 y 1560 per Francesch Fayos y Antony, sócio corresponsal de Lo Rat-Penat, Societat d’amadors de les glories de Valencia y son antich realme, acompanyadas d’un prólech, Joan Roca y Bros, Barcelona, 1884.↩
Ibidem, paragr. 11. : « Si alguns temes i alguns conceptes es conserven o hi ressonen, la major part d’aquests han estat abandonats, deformats i fins i tot capgirats; mentre en el pla formal destaquen per la seua absència alguns tópos, el primer de tots el locus amoenus. » [Nous traduisons].↩
Le numéro en chiffres romains indique la position du poème au sein du corpus des productions de March, suivi du vers. L’ordre et la quantité de ce corpus varie selon les sources manuscrites, c’est pourquoi nous nous référons ici au corpus établi par l’édition d’Amadeu Pagès : Les obres d’Ausiàs March, Barcelona, IEC, 1912.↩
Di Girolamo Costanzo, « Ausiàs March i la tradiciò occitan », Avui, avril 1997, paragr. 25. : « impura, gnòmica i subjectiva al mateix temps, que en el seu interior no realitza distincions de gèneres » [Nous traduisons].↩
La Catalogne s’est tout de même considérée comme un « pays d’oc », jusqu’aux années 1930 où les intellectuels catalans ont affirmé la singularité de leur peuple au sein des cultures occitanes. À ce sujet, voir : Fabra Pompeu et et al., « Manifest, maig del 1934 », in Teoria de la llengua literària segons Fabra, Barcelona, Quaderns Crema, 1984, (« Assaig », 2), p. 285‑289, p. 285‑289.↩
Di Girolamo Costanzo, op. cit., paragr. 23.↩
Ibidem, paragr. 2. : « estrictament de gènere, i de circumstància, que precisament per això és completament atípica en un poeta que en la major part de la seua producció transgredeix obertament els límits dels gèneres codificats », [Nous traduisons].↩
Ibidem, paragr. 27. : « el voler (amb tota la seua constel·lació sinonímica), és a dir el desig, sovint amb una accepció específicament sexual. I singularment, a diferència dels trobadors, el terme voler es refereix també a la dama, a la qual l’amant demana, com en un joc d’espill, de desitjar, de manera que ell siga desitjat. Em sembla que pocs poetes d’amor, antics o modems, han fet açò: el desig de la dona es considera legítim i fins i tot es demana, encara que després pot constituir un obstacle, un impediment, per a la perfecció amorosa a la qual l’amant home aspira », [Nous traduisons].↩
Se référer pour cela au concept de la « femme-phonème » développé dans Jean-Charles Huchet, L’amour discourtois : la “fin’amors” chez les premiers troubadours, Toulouse, Privat, 1987, (« Bibliothèque historique Privat »), p. 4.↩
« Ausiàs March i els poetes catalans del segle XV », op. cit., p. 359.↩
Senhal : nom ou surnom fictif employé par un Troubadour dans ses compositions pour s’adresser à un interlocuteur, sans en dévoiler l’identité. Il désigne souvent la Dame aimée (mais ce peut être un autre poète, un commanditaire, etc.).↩
Tornada : dernière strophe (nommées cobles dans la poésie troubadouresque) du poème, où le poète introduit une interpellation ou adresse à un destinataire (au moyen du senhal). Ancêtres des strophes dans la poésie de langue occitano-catalane, les cobles sont de longueur variable (3 à 10 vers) et se classifient selon la disposition de leurs rimes.↩
Ibidem, p. 359. : « es caracteritzen per l’aspiració a un amor ultrat, inspirat en la caritas (‘caritat’) o dilectio Dei (‘amor de Déu’) de la mística cistercenca; exigeix renunciar a la raó humana, al lliure albir, per a la unió espiritual amb l’ésser, i no coneix seny ni límit temporal (XLV, v. 1-4, 89-94). » [Nous traduisons].↩
Ibidem, p. 397.↩
Hans Robert Jauss, « L’histoire de la littérature : un défi à la théorie littéraire », in Pour une esthétique de la réception, Trad. Claude Maillard, Paris, Gallimard, 1978, (« Bibliothèque des idées »), p. 21‑80, p. 312.↩
Ibidem, p. 314.↩
Ibidem, p. 314.↩
Le texte complet avec traduction est pourvu dans l’Annexe 2.↩
Creu-creuada : se dit d’une cobla de huit vers (octave) à rimes embrassées selon un schéma ABBA-CDDC.↩
Capcadauda : se dit d’une cobla qui reprend au premier vers la dernière rime de la cobla précédente.↩
Pour le texte en entier, voir l’Annexe 2.↩
« Ausiàs March i els poetes catalans del segle XV », op. cit., p. 394. : « La navegació amorosa expressa la incertesa de la fortuna amb una feliç amplificació: dos vents contraris a cinc que foren favorables, gairebé tota la rosa dels vents (v. 3-8). Després es descriu una tempesta marina per a manifestar la lleialtat de l’amant (v. 9-24) en perill d’una mort per amor prevista (v. 56) i repetidament anunciada en el cicle Llir entre cards ; no hi ha senyal perquè la tornada invoca la mudança d’Amor : “a joc de Daus vos acompararé’’* (v. 60). » [Nous traduisons].↩
« Je suis le plus extrême des amants », [nous traduisons], voir Ausiàs March, « XLVI – Veles e Vents han mos desigs complir », in Josep Piera, (éd.). Una tria, Éd. Josep Piera, Editorial Barcino, 2011, (« Tast de Clàssics »), p. 43‑49, p. 43‑49.↩
Josep Carreras, « T’estim i t’estimaré », DiscMedi, 2006. : « Pour détruire celui qui l’a déserté », [nous traduisons].↩
« Je crains la mort pour ne pas vous être absent/car l’amour par la mort est annulé », [nous traduisons].↩
À confirmer : une étude plus approfondie des manuscrits où furent récupérées les compositions de March serait nécessaire.↩
Les œuvres des troubadours catalans, au contraire de celles des occitans, étaient destinées à la lecture plutôt qu’au chant. Voir : Di Girolamo Costanzo, op. cit., paragr. 13.↩
Museu d’Història de Catalunya, La Nova cançó : la veu d’un poble, Barcelona, Generalitat de Catalunya, Departament de Cultura i Mitjans de Comunicació, 2010, p. 37. : « de contribuïr a la dignificació i reivindicació de la qualitat artística d’aquest gènere artístic, que fins a l’aparació de la Nova Cançó havia estat molt menystingut culturalment en el nostre país, on era considerat com una mena de subgènere o un simple producte subcultural. » [Nous traduisons].↩
Ibidem, p. 43.↩
Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 30.↩
Ibidem, p. 32.↩
François Paré, Les littératures de l’exiguïté, Ottawa, Le Nordir, 2001, p. 13.↩
Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 30. : la déterritoralisation est la séparation de pratiques sociales, culturelles et politiques d’un territoire donné, où ces dernières auraient vu le jour.↩
Josep Carreras, op. cit. : « Je t’aime et je t’aimerai », [nous traduisons].↩
Marc Parrot, « 50 Anys de la Nova Cançó », Música Global, 2009. : « 50 ans de la Nouvelle Chanson », [nous traduisons].↩
VerdCel, « PetjAdeS. VerdCel canta Raimon », Temps Record / Edicions Bromera, 2010. : « Empruntes Verdcel chante Raimon », [nous traduisons].↩
L’on notera ainsi les versions d’Eva Dénia dans « Un Altre Cantar », celle de la Polifònica de Puig-Reig & Manel Camps dans « País de Cançons », celle de Entreveus dans « Deu Anys, Deu Versions », ou encore celles de Miquel Pérez Perelló dans « Cants D’amor i De Mort – D’Ausiàs March » ou de Toti Soler dans « M’aclame a tu » ; toutes ces versions sont répertoriées dans la discographie à la suite de la bibliographie. La version de Jonatan Penalba, dans son album « Reversions » est par ailleurs la plus récente, puisque produite pendant la crise sanitaire de 2020. Nous écartons ces versions pour les raisons qui suivent : en premier lieu, la plupart ne présentent pas d’innovations musicales que l’on n’aurait pas déjà repérées dans le corpus à l’étude, et en second lieu, elles ne présentent que peu si ce n’est aucun lien ou signe pouvant les rattacher aux filiations mises à jour par l’étude. Nous les mentionnons toutefois ici et dans la discographie pour montrer la popularité de la chanson dans le corpus musical catalan.↩
Rapsodes, « Pessics i pessigolles », Mésdemil, 2014. : « Pincements et Chatouilles », [nous traduisons].↩
Pour cela voir le nouveau livre de la professeure de linguistique Carme Junyent, qui met en garde la population sur les dangers d’extinction linguistique qui guettent la langue catalane : Carme Junyent, El futur del català depèn de tu, Barcelona, La Campana, 2020.↩
Xarxateatre, « Xarxa Teatre – Veles e vents (espectáculo completo) », 2020, p. 00:47:33.↩
« Veles e vents », Xarxa Teatre, [nous traduisons].↩
« Veles et Vents », Quartier des Spectacles de Montréal.↩
« Le désir », [nous traduisons].↩
Sylvan Chabaud, op. cit., paragr. 4.↩
Ibidem, paragr. 4.↩
Museu d’Història de Catalunya, op. cit., p. 104. : « la literatura, i especialment la poesia, és una sublimació artística de la paraula, i la paraula és comunicació: el pont essencial de l’expressió del pensament i del sentiment, el fonament del diàleg i de la comprensió entre els humans. » [Nous traduisons].↩
Ibidem, p. 114. : « la presència corporal, carnal podríem dir, i la pura física de la veu, del so com a matèria, inscriuen la poesia i la música en les arts escèniques i així ha estat sempre. » [Nous traduisons].↩
Canal de lingüística catalana, « Joan Coromines », 2014.↩
François Paré, op. cit., p. 22.↩
« Faire fête en pleine tempête », [nous traduisons]. Le passage est de nous-même.↩
Si vous souhaitez entendre les chansons dont il est question dans l’article, l’auteur a pris soin de préparer une liste de lecture les regroupant. Cliquez ici pour y avoir accès.
Étudiant ayant complété un Baccalauréait bidisciplinaire en Littératures de langue française et Linguistique à l’Université de Montréal, Diego Cantú i Patiño a présentemment entamé une Maîtrise en Littératures de langue française dans la même institution. Il est l’auteur d’un roman jeunesse, Le Fil Rouge, publié en 2018 chez Homoromance Éditions, et d’un blog littéraire bilingue « Lettres à mon Professeur de Lettres » (inactif désormais). Il s’intéresse, dans sa recherche académique, aux périodes antiques et médiévales, aux littératures, langues et cultures de l’Europe méridionnale (française, castillane, occitano-catalane, italienne et basque), ainsi qu’aux phénomènes du mysticisme, de l’ésotérisme et de la psychanalyse.