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Du sabbat au shower de bébé. Fêtes et trouble-fêtes dans Royaume scotch tape de Chloé Savoie-Bernard

Camille Anctil-Raymond, 3e cycle, Université de Montréal

Département des littératures de langue française
2104-3272
Revue Fémur

Résumé : Rassemblements sociaux, évocations festives ou célébrations cauchemardesques, les multiples scènes de fête qui émaillent Royaume scotch tape (2015) de Chloé Savoie-Bernard entretiennent toutes un lien plus ou moins étroit avec l’expérience de la maternité et critiquent la répartition inégale du coût de la reproduction dans l’ordre social hétérosexiste. Cet article se propose ainsi d’examiner dans le recueil différentes explorations poétiques de la fête où les célébrations sont détournées ou renversées, faisant apparaître comment elles consolident et reconduisent la matrice de pouvoir hétéronormative. Une première partie s’intéressera d’abord à un détournement poétique du repas de fête et, plus particulièrement, de la tradition hétéropatriarcale moderne du shower de bébé. Une seconde partie analysera ensuite les traits dionysiaques d’une célébration dansée de l’avortement et les manières dont elle évoque la figure de la sorcière. Les fonctions de la violence qui teinte les scènes festives étudiées seront ensuite interrogées, avant que soient évoquées, enfin, les célébrations inédites qui affleurent dans Royaume scotch tape. Au fil de cet article, une attention privilégiée sera également portée aux diverses formes d’humour mobilisées par Savoie-Bernard et aux effets qu’elles produisent.


« Le feu nourrit son ventre de sorcière

contrairement aux autres1. »

 Marguerite Duras, Moderato cantabile

« La fête est toujours un équilibre de contraires, une coïncidence d’opposés2 », écrit Jean-Jacques Wunenburger. Or ce « fragile équilibre […] n’est que rarement parfait3 ». Dans Royaume scotch tape (2015) de Chloé Savoie-Bernard, recueil de poésie traversé de multiples scènes de fête, le vernis craque, les sourires crochissent et l’ordre se fissure. En effet, la poète propose une exploration dysphorique de la fête, contre sa représentation doxique harmonieuse. L’harmonie de la fête se trouve effectivement rompue dans Royaume scotch tape, laissant jaillir les tensions habituellement contenues sous le vernis social. Ces tensions qui affleurent sont celles qui pèsent sur le corps des femmes et en particulier sur leur ventre. Rassemblements sociaux, évocations festives ou célébrations cauchemardesques, les moments de fête qui parsèment le recueil entretiennent tous un lien plus ou moins étroit avec l’expérience de la maternité, et critiquent la répartition inégale du coût de la reproduction dans l’ordre social hétérosexiste. Le choix de la non-maternité, l’expérience de l’avortement et le baume que peuvent y apporter la solidarité et l’amitié sont effectivement au cœur du recueil de Savoie-Bernard. Diffracté en une pluralité de poèmes qui en éclairent des facettes diverses, l’avortement est transformé en une véritable expérience esthétique. La voix poétique, dans Royaume scotch tape, tourne ses pensées vers le fœtus qui « grandi[t] » en elle tel « un nénuphar [à] sarcler », une « mauvaise herbe plante grimpante », « une oie » à gaver « pour qu’ensuite on l’abatte4 », ou qui l’a déjà quittée et qui repose, inerte, comme une « anémone dans [l]a baignoire » (RST, p. 16). À répétition, elle envisage l’interruption de sa grossesse, la raconte, se la remémore ou la rejoue, le plus souvent en lui attribuant des connotations funestes intriquées, parfois, d’étonnantes fabulations festives. À la lumière de ces exemples, cet article se propose d’examiner dans Royaume scotch tape différentes explorations poétiques de la fête où les célébrations sont détournées ou renversées, faisant apparaître comment elles consolident et reconduisent la matrice de pouvoir hétéronormative. Une première partie se penchera d’abord sur le détournement poétique du repas de fête et plus particulièrement de la tradition hétéropatriarcale moderne que constitue le shower de bébé. Une seconde partie portera ensuite sur les traits dionysiaques d’une célébration dansée de l’avortement et sur les manières dont elle évoque la figure de la sorcière. Puis, les fonctions de la violence qui teinte les scènes festives étudiées seront interrogées, avant que soient évoquées, enfin, les célébrations inédites qui traversent le recueil. Au fil de cet article, une attention sera également portée aux diverses formes d’humour mobilisées par la poète et aux effets qu’elles produisent.

1. Du déluge à la goutte mortifère

Dans le poème « shower (parents et amis rsvp) », la voix poétique célèbre seule sa propre grossesse en mijotant une concoction mortifère. En ritualisant la transition des femmes fertiles vers la maternité, le shower de bébé participe à la reconduction de l’ordre hétéropatriarcal. Comme l’explique Marcelle Kosman, la fête, en récompensant la future maman, séduit les invitées fertiles sans enfants et les contraint à se conformer à l’impératif de la reproduction biologique à leur tour5. Or, dans Royaume scotch tape, les célébrations hétéropatriarcales qui entourent la naissance d’un enfant sont détournées pour donner lieu à un avortement artisanal doublé, vraisemblablement, d’un suicide par empoisonnement :

avec précaution assaisonner de mort-aux-rats

le potage parmentier

saupoudrer délicatement de clous les entrées

au saumon fumé

et pour dessert si vous

vous y rendez

le mascarpone du tiramisu

est tendrement

oui

amoureusement fouetté au windex

mais je vous ai décommandés (RST, p. 59)

L’énumération se poursuit alors : « tylenol », « advil », « réactine » et « médicaments contre / la grippe » (RST, p. 59-60) sont mêlés à l’alcool, et la voix poétique, qui fête seule son shower, ingère le tout. En jouant sur la polysémie des termes culinaires (« fouetté », « clous » de girofle), cet épisode mortifère mêle le tragique à une forme particulière d’humour qu’André Breton a nommée « humour noir » et qu’il identifie notamment comme un « mélange du grotesque et du tragique […] agréable à l’esprit », comme une « ironie désespérée contraire à l’humour6 ». L’humour noir se rapproche effectivement de l’ironie, « arme essentiellement offensive, jamais innocente », car il est lui aussi animé d’« une volonté – une nécessité même – de dépasser l’innocence d’un jeu de mots ou d’un trait d’esprit pour aller vers une contestation, aussi ténue soit-elle7 ». Voilà qui résonne de manière particulièrement féconde avec l’humour que donne à lire le poème « shower (parents et amis rsvp) ». Sous l’apparente légèreté de la scène, l’avortement-suicide du sujet poétique constitue une attaque en règle contre les conventions et les mécanismes de contrôle qui régissent différentes facettes, intriquées dans le poème, de l’existence au féminin (sociabilité, sexualité, maternité).

Typiquement associés à une douceur qui serait le propre des femmes, la locution adverbiale et les adverbes « avec précaution », « délicatement », « tendrement » et « amoureusement », sont détournés pour décrire non pas le soin des enfants ou la confection de plats cuisinés avec amour, mais la préparation d’un festin empoisonné longuement mijoté. Le poème joue ainsi sur une opposition entre le raffinement du menu décrit et la démesure que représente le geste meurtrier : d’un côté, l’un témoigne une maîtrise des codes culturels, une volonté de se conformer à la tradition du shower et d’un souci de plaire aux convives qui sont finalement « décommandés » ; de l’autre, l’avortement-suicide constitue un geste foncièrement antisocial et un bras d’honneur à l’institution patriarcale de la famille. La mention « parents et amis rsvp » dans le titre souligne bien que c’est l’aspect contraignant, codifié et normatif du shower qui est moqué. Cette fête hautement codifiée ne laisse effectivement rien au hasard, comme en attestent les nombreux billets qui documentent sur le web les « étapes », le « mode d’emploi », l’« ABC » du shower de bébé, et même, plus contraignantes encore, les « règles d’or » à respecter :

Règle no 6 : on s’amuse ! S’il y a bien une règle à retenir, c’est celle-ci ! Une Baby Shower, c’est au minimum trois heures d’amusement avec au programme des jeux à gogo aussi tendres que rigolos, des buffets généreux et gourmands qui feront saliver toute l’assemblée, de l’émotion et des rires à profusion et le sempiternel déballage de cadeaux […]. Que de jolis moments en perspective et des souvenirs par milliers8 !

On retrouve ici l’emphase pastichée par Savoie-Bernard, accompagnée d’une esthétique de la surenchère où tout doit plaire, être « à gogo » et « à profusion », ce que souligne l’accumulation des adjectifs « tendres », « rigolos », « généreux », « gourmands » et « jolis ». Voilà qui exprime l’impératif de dévouement et de dépense qui pèse sur les femmes qui organisent le shower et y participent ; c’est d’ailleurs là le propre de la fête, qui « est constituée d’une irréductible part de prodigalité : elle consiste à “vivre au-dessus de ses moyens”9 ». Homogène et codifié, le shower est un rituel fondé sur le mimétisme et la répétition de différentes étapes, ce dont témoigne, dans le billet, l’adjectif « sempiternel ». Le poème détourne cet aspect en parodiant le menu de l’événement, auquel est conféré un ton menaçant : « et pour dessert si vous / vous y rendez […] ». En outre, s’il est énoncé à la blague dans le billet, le caractère obligatoire du plaisir et du faste de la fête n’en est pas moins révélateur. Le shower est un rituel destiné à « faire saliver » les convives, à leur faire fantasmer une existence qui corresponde à celle qu’étale la future mère, et à les convaincre de reproduire ce mode de vie. Dans Royaume scotch tape, les festivités qui entourent la naissance des enfants révèlent plutôt « une faille dans l’ordre social », en se montrant comme une « mise en scène des désirs et de la consommation10 ». Savoie-Bernard rejette et dévoie ainsi la représentation doxique de la fête et, plus spécifiquement, du repas, qui habituellement « symbolise la cohabitation harmonieuse de tous les aspects de la vie en société et reste un modèle positif digne d’imitation11 ». Plus encore, l’intrication, dans l’écriture de la poète, du refus de la maternité et du thème de la nourriture apparaît loin d’être anodine en cela qu’elle trace un lien entre la procréation et la confection de la nourriture. Cette association se trouve concentrée dans le motif du four, lieu d’un féminin traditionnel associé à la domesticité et, en outre, image archaïque du ventre qui porte l’enfant à naître, au chaud dans l’utérus12. Au rituel pétri de capitalisme qu’est le shower, destiné à produire un déluge de cadeaux pour le bébé ainsi qu’à reproduire, par l’émulation, la « vocation » maternelle, l’autrice substitue ainsi un contre-rituel mortifère :

avant de faire tomber une goutte par terre pour les morts

je me suis souhaité santé sans me regarder dans les yeux (RST, p. 59)

Dans la chute du poème, la libation, c’est-à-dire l’offrande du vin aux morts, rejoue le sacrifice du sujet lyrique et de l’enfant à naître. Ironiquement, la voix poétique se souhaite la santé en posant un geste suicidaire, salue les morts qu’elle aspire à rejoindre et scelle en même temps son sort : selon la croyance populaire, ne pas se regarder dans les yeux en trinquant porte malchance. Ainsi, Savoie-Bernard fait signe à la superstition qu’est devenue le geste de trinquer les yeux dans les yeux et à son origine présumée, liée à la crainte d’empoisonnement.

L’ironie et le ton léger employés pour décrire cette scène violente apparaissent comme les marques d’une insoumission caractéristique de l’humour noir : « À l’ensemble des notions répressives […], l’humour noir oppose un climat de subversion affective et intellectuelle qui risque de miner la santé de celui qui se croit sur pied13. » Si la voix poétique retourne l’attaque destinée aux invité·e·s contre elle-même et contre l’enfant qu’elle porte, sa démarche apparaît plus kamikaze que suicidaire, car la charge symbolique de sa violence est dirigée vers l’extérieur ; c’est d’ailleurs aux « parents et amis » que s’adresse le poème (« je vous ai décommandés »). Le pouvoir de vie et de mort que détiennent les mères sur leur progéniture et qui fait d’elles des femmes « sacrificielles », car elles « donne[nt] la vie, et par conséquent aussi la possibilité de la mort14 », représente « une menace à la loi du père15 », comme le formule Evelyne Ledoux-Beaugrand. La locutrice, dans Royaume scotch tape, est bien consciente de ce pouvoir mortifère, comme en témoignent ses gestes après le départ de l’amant dans le poème « crazy glue » : « dans son écrin le sperme est encore tiède / coquette j’en frotte quelques gouttes / derrière mes oreilles / […] j’étale mes meurtres de camelote […] // s’agglutinent mes cheveux là où à droite / constance agonise de l’autre bord c’est auguste qui crève » (RST, p. 25). Ici, la contraception est réinterprétée comme « meurtres » à l’endroit d’une éventuelle descendance dont les nobles prénoms, symboles de force morale, contrastent et soulignent l’infamie commise à leur endroit. Particulièrement expressifs, les verbes « agonise » et « crève » qui résonnent avec les prénoms d’Auguste et de Constance accentuent aussi leur souffrance imaginaire. En s’empoisonnant, c’est donc aussi dans un ordre hétéropatriarcal érigé sur des rituels et des rôles genrés contraignants que la mère suicidaire de « shower (parents et amis rsvp) » instille le poison.

2. Dans le ventre des sorcières

La violence est exacerbée et plus directe encore dans la scène festive que brosse le poème « boogie nights au protoxyde d’azote », dans lequel se met en place une chorégraphie cannibalesque. En exhibant et, surtout, en ingurgitant le fœtus avorté, le sujet poétique pénètre indubitablement les frontières du grotesque, ce que Mary Russo théorise comme « a space of risk and abjection16 » :

ton liquide amniotique

mon amour

j’en ai fait des shooters

je t’ai laissé sécher

j’ai tout avalé sans respirer

sans recracher

te licher

comme le sel

placenta téquila

te croquer

comme le citron

bébé love bébé (RST, p. 41)

À travers la monstration des entrailles du « cavernous anatomical female body17 », Savoie-Bernard explore le potentiel politique de la transgression. Pour ce faire, la poète se range parmi les « écrivaines [qui] écrivent rouge, utilisant les mots anatomiques réservés aux langues spécialisées : […] ceux du “corps profond”, si techniques soient-ils18 ». Utérus, placenta, liquide amniotique et cordon ombilical se bousculent dans une célébration dansée de l’avortement, que l’autrice semble inscrire parmi les « fêtes dionysiaques de la vie19 » que sont l’accouchement et l’allaitement pour Annie Leclerc. Entremêlant allègrement le macabre, la cruauté et l’humour, la poète propose effectivement un jeu sur le rythme et la chanson populaire, évoquée par un vers comme « bébé love bébé », qui revient tel un refrain au fil du poème. Si l’intertexte20 principal du poème demeure la chanson « La plus belle pour aller danser » (1964), l’autrice fait référence à une autre chanson d’amour écrite par Charles Aznavour, « For me… formidable » (1963). Comme son poème, cette chanson est adressée à un être inaccessible: « tu es for me for me formidable / coup pendable / dans mon utérus » (RST, p. 42), or le dilemme pour le chanteur tient au fait que l’être aimé ne parle pas la même langue. La simplicité des jeux de mots et de la prémisse de la chanson détonne ainsi avec la gravité du sujet traité par la poète, créant une disparité provocante. Le choix de l’adjectif « pendable » n’est pas non plus anodin dans ce poème traitant d’un avortement aux relents d’infanticide, et ajoute à son impudence. Y contribuent aussi les surnoms dont le sujet poétique affuble sa « petite mort curetée » (RST, p. 43), qui cumulent blasphème, familiarité et affection :

mon petit

mon petit christ

mon ostie de tabarnac

mon bébé cadavre

mon fantôme pref (RST, p. 42).

La poète pousse même l’irrévérence jusqu’à faire rimer « placenta » et « téquila », puis, en guise de chute, « placenta / macarena » (RST, p. 44). Cette surenchère transgressive correspond au ton outrageux que prend souvent le grotesque lorsqu’il verse dans le criminel21, « transgressing borders […] with viciously sarcastic and wickedly humorous language and form, as well as with frightening detail22 ». Au grotesque, à l’humour noir, à l’outrage et à la cruauté, dont la rencontre se trouve effectivement au cœur du poème, s’ajoutent les motifs traditionnellement associés au féminin de la parure, du maquillage et du masque que Savoie-Bernard entrelace dans sa danse cruelle :

ton cordon ombilical

mon bébé love

j’en ai fait le plus beau des colliers

mon amour mon aimé

[…] ton sang

je l’ai fait coaguler

dans ma palette de fards

j’en ai maquillé ma bouche

[…] ta chair en lambeaux

j’en ai fait

un tricot

[…] comme j’ai fière allure

dans ton corps

de toi parée

ce soir je serai la plus

belle pour aller danser (RST, p. 41-43)

C’est sans doute le sabbat nocturne des sorcières, dans ses représentations les plus sanglantes, qu’évoque cette danse cannibalesque. Savoie-Bernard mêle la figure de la « faiseuse d’ange » – comme on appelait jadis les avorteuses – à celle de la sorcière croqueuse d’enfants, topos des traités anciens de démonologie23. Ce topos renvoie effectivement à un imaginaire de la sorcellerie diabolique « liée au sabbat nocturne et au maître des enfers, une invention proprement chrétienne datant des XIVe et XVe siècles24 » mis en scène notamment par Anne Hébert dans Les enfants du sabbat (1975). Figure emblématique autant de l’oppression que de la puissance des femmes, la sorcière est associée par de nombreuses féministes à une connaissance précoce de l’anatomie, de la santé et de la fertilité, et donc à un pouvoir des femmes sur leur propre corps. Celles qui au Moyen Âge et à la Renaissance ont été accusées de sorcellerie étaient bien souvent des guérisseuses et des sages-femmes25. À l’époque des grandes chasses aux sorcières, l’infanticide était l’un des crimes commis en plus grand nombre par les femmes26 et constituait une méthode de régulation des naissances : « une autre figure de la contraception, de l’avortement et de l’abandon, c’est-à-dire du refus, plus ou moins conscient, plus ou moins délibéré, de donner la vie27 ». Ainsi la sorcière charrie-t-elle tout un imaginaire symbolique lié au contrôle du corps et aux savoirs occultes du féminin. Pour cette raison, il est significatif que lui soient confiées diverses évocations fantasmatiques de l’infanticide dans le texte de Savoie-Bernard, et notamment dans le poème « au large », qui narre un infanticide perpétré de sang-froid par un couple de sorcières. Même si, dans Royaume scotch tape, « les sorcières / on les brûle » (RST, p. 17), le sujet poétique s’identifie à la figure de la sorcière, revendication dont la valeur emblématique éclaire tout le recueil : « me faire roturière / […] oui me faire sorcière pour construire / mon propre royaume et en découdre avec le vôtre » (RST, p. 11). Accolé à celui de « sorcière », le terme « roturière », lié au système politique féodal, étonne dans Royaume scotch tape. Or, comme l’expose Silvia Federici dans Caliban et la sorcière (1998), sorcières et roturières sont historiquement liées. Federici, qui étudie le processus de l’accumulation primitive du point de vue des femmes, explique comment l’exploitation du corps des femmes – et, plus spécifiquement, de leur ventre – constitue une étape fondatrice du capitalisme :

l’exploitation des femmes a joué un rôle central dans le processus d’accumulation capitaliste, dans la mesure où les femmes ont produit et reproduit la marchandise capitaliste la plus essentielle : la force de travail. […] [L]e corps a été pour les femmes dans la société capitaliste ce que l’usine a été pour les travailleurs salariés : le terrain originel de leur exploitation et de leur résistance, lorsque le corps féminin a été approprié par l’État et les hommes et contraint de fonctionner comme moyen de la reproduction et de l’accumulation du travail28.

Ainsi, à mesure que la population est considérée comme une « force de travail » productrice de richesse, la procréation devient une affaire publique et se voit soumise à une régulation de plus en plus sévère, les autorités sévissant contre les crimes dits « de sorcellerie » que sont l’avortement ou l’infanticide. En ce sens, les chasses aux sorcières ont constitué selon Federici une véritable campagne de répression menée pour briser les révoltes paysannes contre l’institution du servage au Moyen Âge. Si le terme « sorcière » n’apparaît pas textuellement dans « boogie nights au protoxyde d’azote », le mythe de la mangeuse d’enfants n’en plane donc pas moins sur tout le texte, qui exhibe et triture les entrailles du corps maternel. Un certain occultisme teinte d’ailleurs le poème, qui prend peu à peu des allures cérémonielles alors que le sujet lyrique fait des bars de la ville des « autels » (RST, p. 43) où danser « comme on allume un cierge » (RST, p. 44). Les restes du « jamais né » sont aussi transformés, de manière particulièrement irrévérencieuse, en « talismans » et en « porte-bonheur[s] » à « astiqu[er] » (RST, p. 43).

3. Imaginer la violence, instiller une « différance »

Que signifie cette exploration textuelle de la violence chez Chloé Savoie-Bernard ? Loin d’aller de soi, la violence des femmes demeure largement impensée dans l’imaginaire social occidental. Les représentations de femmes violentes ne manquent pourtant pas : ogresses, harpies, sorcières, Ménades, femmes fatales, vampires, Furies, diablesses, mères vengeresses, tueuses, Amazones, succubes, « la figure de la femme violente traverse à sa façon, souvent spectaculaire, tous les genres et toutes les époques de la littérature29 ». Lori Saint-Martin attribue ce paradoxe à une conception figée du féminin :

L’idée persistante selon laquelle la douceur serait inhérente à la nature féminine a pour envers la vision de la femme violente comme un monstre dénaturé […]. En raison autant de son caractère exceptionnel que des tabous qu’elle enfreint, la violence des femmes fascine : elle fait peur, elle attire comme une forme de folie30.

Coline Cardi et Geneviève Pruvost proposent une lecture similaire, identifiant un « double mouvement, en apparence paradoxal, qui, d’un côté, fait de la violence du sexe faible un tabou, passant sous silence des pratiques pourtant récurrentes, ou qui, de l’autre, hypertrophie cette violence pour en stigmatiser la démesure31 ». C’est là un paradoxe qui concerne de près le recueil de Savoie-Bernard. Peut-on se réjouir de voir les écrivaines et leurs personnages s’approprier une violence traditionnellement associée au masculin et qui ne sied pas au sexe dit « faible » ? Dans Royaume scotch tape, le fait de nommer les sorcières, les sirènes, la mère infanticide ou les fées, personnages emblématiques du pouvoir féminin, ancre la violence dans des représentations culturelles communes et offre des repères pour l’appréhender. La violence s’en trouve corollairement atténuée, parce que campée dans un imaginaire fantasmatique : celui des mythes et des contes. Saint-Martin explique que l’une des principales stratégies utilisées pour « “faire passer” la violence » consiste justement à la déréaliser :

l’ironie, l’humour mordant et la parodie, ainsi que la multiplication des niveaux de narration et les stratégies (verbes au conditionnel, modalisateurs semant le doute sur l’action décrite, identités ambiguës), […] brouille[nt] la distinction entre le réel et la fiction d’une part, le rêve et le fantasme de l’autre. Ainsi, la violence devient un jeu, une performance, voire une forme de jouissance. […] le recours aux formes brèves, également fréquent, permet la démultiplication des formes d’agression – et de transgression – possibles ; cette concentration narrative extrême encourage le fantasme, voire le fantastique, les situations limites et l’idée que la violence, qui reste largement impunie, est sans conséquence32.

Si ces stratégies de réinterprétation de la violence ont été identifiées dans des œuvres de fiction, plusieurs d’entre elles sont également employées dans Royaume scotch tape. Ainsi la violence, dans « boogie nights au protoxyde d’azote », est désamorcée parce que pétrie d’ironie et circonscrite, par l’évocation poétique de la chanson et de la danse, à l’expérimentation esthétique. Sa nature fantasmatique est d’ailleurs inscrite à même le titre du poème, qui l’identifie comme une fabulation née du délire anesthésique provoqué par le protoxyde d’azote, un gaz hilarant. Le recours à l’humour noir produit un effet analogue dans le poème « shower (parents et amis rsvp) ». Voilà qui résonne avec ce qu’avance Éric Fassin au sujet de la représentation fictionnelle de la violence au féminin, qu’il considère comme une performance « purement symbolique » inscrite dans une « logique fantasmatique » – ce qui n’enlève rien à sa puissance, au contraire :

La violence des femmes, telle que le féminisme la revendique, ne pose pas de bombes ; elle ne coupe pas de têtes. En revanche, à défaut de prise d’otages, elle s’empare du langage. Ainsi, la guérilla féministe est bien davantage symbolique, comme pour mieux contrer la violence symbolique inscrite dans la domination masculine. […]. [L]a violence féministe, réponse à la violence de la domination masculine, est d’autant plus efficace […] qu’elle s’inscrit dans ce registre de la performance : elle la défait en la jouant, puisqu’elle lui confère inévitablement une dimension parodique33.

Le sociologue estime que c’est ce rapport privilégié à la performance et au fantasme qui permet à la violence des femmes de « re-signifier […] les rapports de pouvoir […] entre les sexes34 ». Comme l’explique Saint-Martin, les stratégies féminines de réinterprétation de la violence et les explorations textuelles auxquelles elles donnent lieu « pulvérise[nt] les stéréotypes du masculin et du féminin en fracassant la représentation au moyen de mille astuces… rhétoriques » ; ce faisant, elles « ouvrent des brèches dans les relations entre le masculin et le féminin35 ». S’approprier une violence qui, d’ordinaire, « est l’apanage des hommes36 », contribue à troubler le statu quo, et ce, durablement. Selon Cardi et Pruvost, lorsque des femmes renversent les menaces qui pèsent sur elles et s’approprient le pouvoir d’inspirer la crainte, leurs actes ne signent pas une transgression temporaire qui renforce ultimement les hiérarchies en place, mais instillent une « différance » qui peut chambouler le social :

ces représentations d’une domination féminine sans partage […] ne sauraient être lues sous le prisme unique de la domination masculine, autrement dit comme une échappée provisoire, fantasmatique, sanctionnée rapidement par un retour à l’ordre. […] on peut lire ces moments d’irruption de violence féminine (effectifs ou imaginés) comme une forme de « différance » au sens de Derrida, de répétition décalée, qui crée une dissonance qui met au jour la construction de la violence comme typiquement masculine, instaurant une fracture qui peut réorienter le cours des événements37.

En introduisant une variation dans la répétition du même, les actes de violence au féminin déstabilisent les significations et permettent de « réorienter le cours des événements », d’initier une transformation des normes et des hiérarchies.

4. Exhiber le « revers de la médaille »

Or une question demeure au sujet de Royaume scotch tape : pourquoi fantasmer l’interruption de la grossesse comme un geste violent commis envers le fœtus ? Pourquoi, dans une perspective féministe, associer l’avortement à l’infanticide – c’est-à-dire à ce qu’il n’est pas ? C’est là effectivement un terrain glissant, car l’infanticide est porteur d’une lourde charge émotionnelle et est placé « aux marges de l’“irreprésentable”, de l’“innommable”, de l’“impensable”38 ». Une part de réponse est à trouver dans le rapport au sacrifice qui traverse la poésie de Chloé Savoie-Bernard. En évoquant l’infanticide pour poétiser l’avortement, la poète lui rend certainement une part de la douleur et de la perte de repères qui est évacuée des froides procédures chirurgicales telles qu’elles sont racontées notamment dans le poème « beauté formol ». L’avortement constitue en effet une figure inversée de l’infanticide : « l’un est utilisé comme instrument de maîtrise dans un contexte de prise en charge sanitaire […], alors que l’autre est la marque […] [d’]un dérèglement total de l’individu mais aussi de la société qui offre pourtant à cet individu de quoi éviter ce passage à l’acte39 ». Ainsi, rapprocher l’avortement de l’infanticide permet de creuser sa valeur symbolique sacrificielle et ce qu’il implique de tragique, de démesuré et d’irrationnel. Comme l’expose Anne Dufourmantelle, « penser la féminité sous les auspices du sacrifice, c’est aussi penser le rapport de la femme au trauma singulier ou collectif que par cet événement elle révèle » :

Le sacrifice reprend le mauvais scénario fixé par le trauma, mais il l’utilise autrement. Il théâtralise les choses, il brandit le couteau, invoque le destin, revêt les habits de la tragédie. Il rouvre la scène comme on le ferait d’un corps, met à nu les viscères, en détache les ligaments, expose les membres et la peau, détache les articulations. Voilà ce qu’est le vivant, cette chose-là exposée qu’on va sacrifier pour que rien ne se passe plus comme avant40.

Cette conception résonne particulièrement avec les fantasmes d’infanticide que donne à lire Savoie-Bernard, qui s’empare du réel pour se l’approprier et en exacerber la violence de manière spectaculaire et parfois sinistrement festive. Ce faisant, l’autrice expose l’envers de l’ordre social, l’envers de la fête perpétuelle que constitue le régime hétéropatriarcal. Il y a là une manière de concentrer la charge symbolique d’une expérience traumatique du corps, de mettre le doigt dans la blessure et de la triturer longuement jusqu’à ce que le sang gicle. Dans « boogie nights », la voix poétique performe incessamment le meurtre de son « bébé love » pour le ramener à la chaleur du corps maternel, dont elle expose les entrailles. Le délire anesthésique soustrait ainsi des limbes son « fantôme pref » et le maintient, le temps d’une danse, dans un entre-deux spectral. La présence des morts parmi les vivants se manifeste également dans le poème par le biais d’une chosification du fœtus avorté, mentionnée plus haut :

tes réminiscences

ne sont-elles pas mes talismans

mes porte-bonheur

ces blessures que je creuserai

que j’astiquerai

que je langerai

[…] je te bercerai ma tendre blessure

ma gale inlassablement arrachée (RST, p. 43).

Une réification de l’enfant mort se produit également dans « beauté formol » : « cette / beauté / qui rampe jusqu’à vous / […] mettez-la dans le même formol que mon enfant mort / je les déposerai tous deux sur la crédence de teck dans le salon / les embrasserai tous les jours comme on frotte une patte de lapin » (RST, p. 23-24). Évoquant une fois encore la sorcellerie, le motif du talisman se répète enfin dans « camp de fortune » sous la forme de « petites morts / réensanglantées / fanfaronnantes / […] plac[ées] dans / la bibliothèque / sur [le] lit / entre des bibelots » (RST, p. 35). Liée à une visée commémorative, cette iconicisation récurrente de l’enfant mort relève plus largement d’une démarche de visibilisation du corps meurtri, d’une poétique de monstration de la blessure qui traverse Royaume scotch tape. Le corps, chez Savoie-Bernard, porte effectivement la trace de ses souffrances et de ses deuils, et ne s’en purge jamais complètement.

Ainsi l’autrice creuse-t-elle la question de l’avortement via une représentation poétique véritablement plurivoque. D’une part, elle fouille la douleur et les sentiments paradoxaux, généralement peu abordés, que laisse cet événement traumatique. En n’occultant pas les tiraillements et les cicatrices qui demeurent, la poète met en lumière la charge que représente la gestion de la contraception et des grossesses non prévues, qui repose encore principalement sur les femmes dans la sexualité hétérosexuelle41. Dans le poème « la galère bis », par exemple, le trauma de l’avortement s’inscrit dans une circularité :

ça va aller qu’elle me dit tout ira bien un jour nous aurons une grande maison toutes ensemble au bord de l’eau […] nos avortons sortiront des limbes pour jouer à la marelle main dans la main avec les enfants que nous aurons partout pataugeront les vivants et les morts nous serons de très bonnes mères et nous partagerons une belle grande famille elle me dit un jour ça arrivera pendant que nous marchons jusqu’à chez morgentaler parce qu’aujourd’hui comme toutes mes amies à tour de rôle comme toutes celles qui se croyaient infertiles aujourd’hui c’est mon tour et bientôt c’est moi qui l’accueillerai dans mes bras lorsque son utérus sera vidé j’essuierai ses larmes (RST, p. 72).

Le fantasme de la maison hantée où se mêlent les vivants et les morts tient ici aussi d’une poétique de monstration de la blessure, où les souffrances et les deuils, portés sur soi et inscrits sur la peau, sont partie intégrante du vivant. D’autre part, l’humour et le ton léger employés par l’autrice pour traiter de l’avortement contribuent cependant à en atténuer la charge symbolique dans Royaume scotch tape, où les filles avortées sont si nombreuses qu’il s’en trouve banalisé. Dans « la galère bis », l’expérience partagée de l’avortement, inscrite dans un récit collectif, est le point de départ d’une chaîne de solidarité entre les « amies ». Tour à tour, elles s’épaulent en réinventant leur existence et en imaginant un avenir collectif. La référence à la série télévisée québécoise La galère (2007-2013), qui raconte l’histoire de quatre amies emménageant dans une maison avec leurs enfants, loin des hommes, allège par ailleurs le ton du poème. Sans occulter les stigmates qu’il laisse, Savoie-Bernard contribue donc à resignifier le stigmate qui pèse encore sur l’avortement.

Les situations les plus funestes sont ainsi transformées par la poète en occasion de rire, de se réjouir et de se prendre la main pour danser « la ronde » (RST, p. 48). Dans son recueil, les corps féminins sont meurtris et désacralisés. De ce fait, l’envers de la fête, le revers du bonheur ordinaire qui tisse l’ordre social sont mis en lumière, et ce, au-delà de l’expérience de la maternité et de la gestion de la fertilité qui incombe aux femmes. Aussi, dans le poème « mes sœurs sont des perles irrégulières », la poète rappelle la violence subie à travers l’histoire par les femmes. Or cette commémoration, elle aussi, se fait fête : la poète se propose effectivement de célébrer le destin de celles qui sont peu encensées, à savoir les créatrices suicidées qui marquent son univers référentiel. La poète ne se fait donc pas que trouble-fête, elle prolonge aussi les réjouissances, les tord et les détourne pour proposer des célébrations nouvelles :

mais je suis l’amphore et force la mémoire

le temps ne se divulgue

que par vos bouches les reines ont faim

en sacrament les sorcières plus encore

c’est nous qui créons la ronde (RST, p. 48)

L’histoire de ces « perles irrégulières » que la poète présente dans les « aspérités » (RST, p. 48) qui font leur unicité se construit avant tout de manière intertextuelle. Avec ses « reines » et ses « sorcières » qui « ont faim », la poète fait écho aux doléances et aux revendications articulées par Denise Boucher dans Les fées ont soif (1978). Elle poursuit également l’entreprise amorcée par Marie Uguay dans un poème de « L’Outre-vie » (1979), qui prend en charge une souffrance féminine transhistorique, universelle et longtemps maintenue sous silence42, et dont Savoie-Bernard cite le premier vers. La locutrice qui « force la mémoire » s’attache ainsi à mettre en lumière ce qu’elle pose comme le « revers / de la médaille » (RST, p. 50), l’envers de l’histoire. La remémoration proposée est celle du destin tragique de créatrices – Virginia Woolf, Sylvia Plath, Muriel Guilbault, Nelly Arcan et Fabbie Barthélémy – qui ont choisi de mettre fin à leurs jours et qui, telles les sorcières, sont remémorées dans l’imaginaire social comme des victimes de l’oppression de leur époque. En renvoyant au « passé détruit et calciné des femmes » à travers le symbole vivant qu’en est la sorcière, l’autrice fait signe à la « nostalgie d’une histoire des femmes, occultée […] au profit de l’histoire de l’humanité, c’est-à-dire de l’homme43 » qui circule dans une littérature féministe persuadée de l’existence de grandes devancières étouffées puis oubliées. Cet exercice d’admiration participe donc d’une mythification des écrivaines convoquées44. La locutrice les désigne d’ailleurs comme « mes emmas mes aimées / mes ophélies / mes muses incomparables » (RST, p. 50), les élevant au panthéon des grandes suicidées de la littérature occidentale auprès d’Emma Bovary et de l’Ophélie de Shakespeare. C’est à l’aliénation et à l’entrave que Savoie-Bernard associe le sort des créatrices, dont la parole est muselée : « les voix les plus fortes de ma génération / se sont noyées dans les nuits noires / affamées par l’hystérie la plus pure » (RST, p. 50). Ces traits convergent vers la figure de la sorcière, largement resignifiée par les féministes comme une protestataire à la « voix » trop « fort[e] », étouffée dans « les nuits noires » de l’ordre patriarcal, et dont la prétendue folie brille dans l’imaginaire collectif comme un signe du génie créateur des femmes « irrégulières ».

En reprenant l’image du tissage qui traverse Royaume scotch tape comme un leitmotiv, la locutrice célèbre cette filiation mortifère dans toute sa lourdeur, et s’y inscrit elle aussi : « notre hystérie est une robe pailletée / chaque sequin cousu par l’une de nous » (RST, p. 50). C’est donc dans une poétique de monstration de la blessure que s’inscrit cette commémoration de la violence subie par ses « muses », devoir de mémoire que la locutrice prolonge en la triturant telle une « gale inlassablement arrachée » (RST, p. 43). Se drapant dans leur legs funeste, elle conserve ses muses « à jamais […] en travers / de la gorge » pour les « embaumer contre [s]on palais » (RST, p. 50). Ces images, tout comme celles qui iconisent l’enfant mort dans Royaume scotch tape, le transformant en bibelot ou talisman, témoignent d’un rapport à la blessure à la fois cérémonial, commémoratif et muséal. La voix poétique appelle par ailleurs « fabbie », « muriel », « virginia », « sylvia » et « nelly » par leur petit nom, et fait d’elles des « sœurs » (RST, p. 48) et des « amies » (RST, p. 50). Établissant avec elles un rapport affectif, elle substitue à la filiation verticale et généalogique des filiations horizontales, choisies, si mortifères soient-elles, comme en témoigne la ronde que forment le sujet lyrique et ses muses, qui composent un « nous ». Ses sœurs de papier sont en outre, comme elle, des « filles » : c’est en employant ce syntagme que la locutrice les interpelle et revendique leur héritage : « moi je choisis le revers / de la médaille les filles » (RST, p. 50) ; « je reste ici / les filles // juste ici » (RST, p. 51).

Enfin, l’autrice reprend d’ailleurs le schéma du précédent poème dans « testament », où la voix poétique s’inscrit parmi les « filles » sacrifiées :

emballez mon cadavre de papiers de soie

et fêtez-moi aux shooters vodka jell-o

crachez ensuite sur ma tombe des morviats en forme d’amarante

je compte sur vous fleurissez ma tombe les filles (RST, p. 30)

La locutrice envisage effectivement son propre décès comme l’occasion d’une cérémonie funéraire joyeuse et profanatrice qui culmine en un appel à la solidarité au féminin. C’est là l’esprit du Royaume scotch tape de Savoie-Bernard, où les « filles », combattives et résilientes, essuient des revers et des chutes, mais toujours pansent leurs blessures, se relèvent et reprennent leur chemin parsemé d’embûches. Rieuses dans leurs « friables palaces de gencives et de dentelles » (RST, p. 15), elles se rafistolent avec leur souveraine irrévérence, et sont capables, par le pouvoir de leur rire, de se réinventer à foison.

*

« Lorsque la fête est submergée par la cruauté, la frénésie, l’orgie, l’institution se lézarde45 », écrit Wunenburger. C’est à ce phénomène que s’intéresse cet article. Dans Royaume scotch tape, Chloé Savoie-Bernard retourne la représentation doxique de la fête pour montrer le « revers / de la médaille » (RST, p. 50), l’envers de célébrations qui, comme le shower de bébé, contribuent à la reconduction de l’ordre hétéropatriarcal. Sa posture a en cela fort à voir avec celle de la « feminist killjoy », la figure de la « rabat-joie féministe » proposée par Sara Ahmed. La conscience féministe d’Ahmed naît d’ailleurs « autour de la table familiale », où on l’accuse de tuer la joie des autres, de « gâch[er]46 » un moment de bonheur en exprimant des préoccupations féministes. Interrompre les « joies » patriarcales pour exposer la souffrance, le sexisme et le racisme sur lesquels elles reposent, telle est l’entreprise de la rabat-joie féministe d’Ahmed.

Dans Royaume scotch tape, Savoie-Bernard dénonce elle aussi les ravages causés par cette fête perpétuelle que constitue le régime hétéropatriarcal, de même que le sort de celles et ceux qui en font les frais. Les célébrations poétiques profanatrices, dionysiaques et franchement effrayantes qu’elle donne à lire ont été l’occasion d’une réflexion sur une violence au féminin parfois jubilatoire, et sur sa capacité à déstabiliser durablement les rapports de pouvoirs traditionnels. La représentation plurivoque de l’avortement, souvent associé à l’infanticide dans Royaume scotch tape, a aussi fait l’objet d’une attention soutenue. En effet, la poète s’attache paradoxalement à creuser les blessures liées à l’avortement tout en le normalisant, voire en le banalisant. Le renversement des festivités se fait ainsi lui-même festif dans le recueil, transformant douleurs et tragédies en occasion de festoyer, de commémorer des souffrances du passé et d’honorer des devancières occultées. Entretenant un rapport à la blessure à la fois cérémonial, commémoratif et muséal, Savoie-Bernard ne se fait donc pas que trouble-fête : elle s’empare aussi des célébrations pour les détourner, proposant des réjouissances et des célébrations inédites.

Comme le formule France Théoret, « [l]es femmes qui écrivent créent une brèche, une rupture47 ». Sans cesse à creuser, cette brèche, si infime soit-elle, semble être là pour rester. Espérons que des « shooters vodka jell-o » et des « cocktails colorés » « placenta / tequila48 » qui s’y écoulent croîtront, un jour, des amarantes.

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  1. Marguerite Duras, Moderato cantabile, Paris, Éditions de Minuit, 1994 [1958], (« Poche »), p. 109.

  2. Jean-Jacques Wunenburger, La fête, le jeu et le sacré, Paris, Éditions Universitaires, 1977, (« Encyclopédie universitaire »), p. 64.

  3. Ibidem, p. 12.

  4. Chloé Savoie-Bernard, Royaume scotch tape, Montréal, L’Hexagone, 2015, p. 65. Désormais RST suivi du numéro de la page.

  5. « Baby showers are distinctly coded in ways that mask their performative and ritual functions. A shower is a performance that compels its attendees to participate in the production of its meaning, thus making the event appear agenda-free. The shower is also a ritual that works to discipline the attending fertile cis-gender female bodies in preparation for motherhood. As a whole, the baby shower operates as a ritual performance, performed by the kinship networks of pregnant women, training fertile childless women to enter into the social economy of motherhood, conditioning them to value motherhood as a desirable social role and to regenerate the system itself. » (Marcelle Kosman, « Rules of the Baby Shower. On the Ritual Disciplining of the Female Body », GUTS, 2015.)

  6. Anthologie de l’humour noir, Éd. André Breton, Paris, Sagittaire, 1940, p. 135 et 212.

  7. Lucie Joubert, Le carquois de velours. L’ironie au féminin dans la littérature québécoise (1960-1980), Montréal, L’Hexagone, 1998, (« Essais littéraires »), p. 17 et 18.

  8. Baby & Cie, « Baby Shower : les règles d’or ! », Baby & Cie, 2019.

  9. Jean-Jacques Wunenburger, op. cit., p. 66.

  10. Geneviève Sicotte, Le festin lu. Le repas chez Flaubert, Zola et Huysmans, Montréal, Liber, 1999, (« Petite collection »), p. 272.

  11. Ibidem, p. 271.

  12. « Le corps des femmes est une cuisine, elle est le ventre qui porte l’enfant au chaud au creux de sa matrice, un four au sein duquel elle mène le fœtus à son terme. » (Lydie Bodiou, « De l’utilité du ventre des femmes. Lectures médicales du corps féminin », in Francis Prost, Jérôme Wilgaux, (éds.). Penser et représenter le corps dans l’Antiquité, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, (« Histoire »), par. 24.)

  13. Le Brun Annie, « L’humour noir », in Ferdinand Alquié, (éd.). Entretiens sur le surréalisme, Éd. Ferdinand Alquié, La Haye, Mouton, 1968, (« Décades du Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle »), p. 99‑124, p. 104.

  14. Anne Dufourmantelle, La femme et le sacrifice. D’Antigone à la femme d’à côté, Paris, Denoël, 2007, (« Empreinte »), p. 9.

  15. Evelyne Ledoux-Beaugrand, Imaginaires de la filiation. La mélancolisation du lien dans la littérature contemporaine des femmes, thèse de doctorat, Université de Montréal, 2010, p. 398.

  16. Mary Russo, The Female Grotesque. Risk, Excess, and Modernity, New York, Routledge, 2009 [1995], p. 12.

  17. Ibidem, p. 1.

  18. Christine Klein-Lataud, « La nourricriture ou l’écriture d’Hélène Cixous, de Chantal Chawaf et d’Annie Leclerc », in Suzanne Lamy, Irène Pages, (éds.). Féminité, subversion, écriture, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1983, (« Études littéraires »), p. 93‑106, p. 98.

  19. Hélène Cixous, Annie Leclerc et Madeleine Gagnon, La venue à l’écriture, Paris, Union générale d’éditions, 1977, (« Série Féminin futur »), p. 96.

  20. Le recueil de Chloé Savoie-Bernard déploie une intertextualité foisonnante. Puisant abondamment dans la culture populaire, la poète s’inscrit dans un vaste héritage littéraire qu’elle interroge, détourne et transforme. Théorisé d’abord par Julia Kristeva et le groupe Tel Quel, le concept d’intertextualité renvoie à une « [r]elation de coprésence entre deux ou plusieurs textes » se caractérisant le plus souvent par « la présence effective d’un texte dans un autre ». (Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, (« Poétique »), p. 8.)

  21. Paula Ruth Gilbert, Violence and the Female Imagination. Quebec’s Women Writers Re-Frame Gender in North American Cultures, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2006, p. 151.

  22. Ibidem, p. 321.

  23. « Toute la littérature traitant des chasses aux sorcières se préoccupe particulièrement de ce qui pouvait se passer durant les “Sabbats des sorcières”. Mangeait-on des nouveau-nés non baptisés ? Pratiquait-on la bestialité ? Y avait-il des orgies ? Ainsi allait leur imagination fertile. » (Barbara Ehrenreich et Deirdre English, Sorcières, sages-femmes et infirmières. Une histoire des femmes et de la médecine, Trad. Catherine Germain et Lorraine Brown, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1976 [1973], (« Maternité »), p. 34‑35.)

  24. Alex Gagnon, « Des bûchers au cinéma. La sorcellerie dans tous ses états », MuseMedusa, 2017.

  25. « [L]es femmes ont toujours été des guérisseuses : médecins sans diplômes et anatomistes. Elles furent à la fois avorteuses, infirmières et conseillères médicales. Elles furent pharmaciennes, cultivant les plantes médicinales et échangeant entre elles les secrets de leurs divers usages. Elles furent aussi sages-femmes, voyageant de maisons en maisons, de village en village. » (Barbara Ehrenreich et Deirdre English, op. cit., p. 15.)

  26. Alex Gagnon, La communauté du dehors. Imaginaire social et représentations du crime au Québec (XIXe-XXesiècle), thèse de doctorat, Université de Montréal, 2016, p. 24.

  27. Florence Bellivier, « Infanticide », in Michela Marzano, (éd.). Dictionnaire de la violence, Paris, PUF, 2011, (« Dictionnaires Quaridge »), p. 696‑702, p. 700.

  28. Silvia Federici, Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Trad. Julien Guazzini et le collectif Senonevero, Genève, Entremonde, 2014 [1998], (« Rupture »), p. 14 et 29.

  29. Raphaëlle Guidée, « “Unsex me!” Littérature et violence politique des femmes », in Coline Cardi, Geneviève Pruvost, (éds.). Penser la violence des femmes, Paris, La Découverte, 2012, (« Sciences humaines »), p. 388‑399, p. 388.

  30. Lori Saint-Martin, « De la rhétorique et de la violence », Voix et Images, Vol. 32 / 1, 2006, p. 152‑156, p. 154.

  31. « Introduction générale », in Coline Cardi, Geneviève Pruvost, (éds.). Penser la violence des femmes, Éds. Coline Cardi et Geneviève Pruvost, Paris, La Découverte, 2012, (« Sciences humaines »), p. 13‑64, p. 13.

  32. Lori Saint-Martin, op. cit., p. 156.

  33. Éric Fassin, « Représenter la violence des femmes. Performance et fantasme », in Coline Cardi, Geneviève Pruvost, (éds.). Penser la violence des femmes, Éds. Coline Cardi et Geneviève Pruvost, Paris, La Découverte, 2012, (« Sciences humaines »), p. 346‑348.

  34. Ibidem, p. 344.

  35. Lori Saint-Martin, op. cit., p. 152.

  36. Éric Fassin, op. cit., p. 343.

  37. « Introduction générale », op. cit., p. 51.

  38. Florence Bellivier, op. cit., p. 686.

  39. Ibidem, p. 701.

  40. Anne Dufourmantelle, op. cit., p. 12 et 58.

  41. Si la légalisation de l’avortement et la libéralisation de la contraception ont permis « la dissociation de la sexualité des risques de grossesse, ce qui a constitué un puissant levier de l’émancipation féminine et a libéré la sexualité de la majorité des femmes (et des hommes) de la crainte d’une maternité non prévue et d’une maternité subie », ces avancées « n’ont pas pour autant opéré une déconnection totale entre sexualité et objectif reproductif […] [et] n’[ont] pas fait disparaître l’asymétrie entre les sexes, comme le montrent les différentes enquêtes sur la sexualité aujourd’hui ». (Armelle Andro, Laurence Bachmann, Nathalie Bajos, [et al.], « La sexualité des femmes. Le plaisir contraint », Nouvelles Questions Féministes, Vol. 29 / 3, 2010, p. 4, 6 et 7.)

  42. « Je suis l’amphore / je vous porte dans vos silences historiques / dans vos cloîtres dans vos fenêtres d’inquiétude / dans vos gestes séculiers / […] incises    enflées mutilées / seules / privées du monde et du corps ». Dans le poème suivant, Uguay évoque d’ailleurs les sorcières en nommant les « anciennes cérémonies de feu et d’éther / les mythologies ancestrales et les haines / qui ont lynché notre désir / brûlé nos corps / pour qu’il n’en rester plus qu’une permanente souffrance ». (Marie Uguay, Poèmes, Montréal, Boréal, 2005, (« Boréal compact »), p. 54 et 56.)

  43. Lori Saint-Martin, « Figures de la sorcière dans l’écriture des femmes au Québec », in Contre-voix. Essais de critique au féminin, Québec, Nuit blanche, 1997, (« Essais critiques »), p. 165‑189, p. 180 et 177.

  44. Savoie-Bernard ne relève d’ailleurs de ces figures que les traits les plus clichés, les peignant dans les lieux qui constellent leur légende : Nelly Arcan est immortalisée « au parc laf [et] sur la terrasse du bily kun » (RST, p. 49), dans ce microcosme branché du Plateau et du Quartier latin où sont campés ses récits, alors que Sylvia Plath regarde « gonfler dans le four » (RST, p. 49) qui lui sera fatal, les biscuits qu’elle laisse à ses enfants avant de s’enlever la vie.

  45. Jean-Jacques Wunenburger, op. cit., p. 13.

  46. Sara Ahmed, « Les rabat-joie féministes (et autres sujets obstinés) », Cahiers du genre, Vol. 2 / 53, Trad. Oristelle Bonis, Éd. L’Harmattan, 2012, p. 77-98, p. 85 et 79.

  47. France Théoret, « Le féminisme. Passion de la parole et de la connaissance », Spirale, 2005, p. 18‑19, p. 18.

  48. RST, p. 30, 48 et 41, respectivement.


Camille Anctil-Raymond a déposé un mémoire de maîtrise en littératures de langue française à l’Université de Montréal, lequel porte sur la resignification performative de l’injure dans la poésie de Catherine Lalonde, Chloé Savoie-Bernard et Josée Yvon. Elle est auxiliaire de recherche pour le projet La littérature québécoise contemporaine à l’épreuve de l’Histoire et membre du comité scientifique de la revue de critique étudiante Fémur. Ses champs d’intérêt sont la littérature québécoise contemporaine, les études féministes et l’écriture des femmes.

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