Tasnîm Tirkawi, 2e cycle, Université de Montréal
Résumé : La pensée de Simone Weil est riche en références aux textes fondateurs de la cosmogonie occidentale – Homère, Platon ou encore la Bible – qu’elle appréhende à la fois selon sa méthode de lecture, qui consiste en un retour au texte original et à son interprétation, et selon ses méditations rigoureuses qui, partant de la philosophie, se tournent vers des réflexions mystiques. Dans cet article, je montre en quoi Simone Weil conçoit la progression de l’esprit comme un véritable voyage dont l’objectif est l’atteinte d’une connaissance spirituelle du monde. Ce faisant, elle institue une poétique des mouvements de l’âme foncièrement originale qui place la notion de déplacement au centre de l’expérience mystique.
Simone Weil (1909-1943) est une philosophe et mystique française qui a développé une pensée originale sur la connaissance spirituelle au moyen d’une méthode discursive. Si, au cours de sa brève mais riche vie, l’intellectuelle publie quelques textes, elle remplit aussi de nombreux cahiers personnels, parvenus à la connaissance du public post mortem. Les écrits weiliens ne se laissent toutefois pas facilement appréhender, car ils circulent entre différentes traditions spirituelles et disciplines de savoir. En revanche, ils sont toujours guidés par sa quête de vérité absolue. Dans son travail, Weil fait notamment référence à la vérité platonicienne qui est celle de la connaissance intelligible contre les faussetés issues du monde sensible. Elle s’inspire également du mysticisme chrétien et poursuit une vérité qui correspond à la connaissance du divin. Simone Weil élabore de cette façon une approche de la vérité qui lui est propre et qui tente de saisir l’essence du monde et des mouvements de l’âme.
De plus, elle définit la philosophie à la fois comme un mode de penser et d’agir, s’inscrivant ainsi dans la tradition des philosophes grecs. Ses concepts se construisent par l’union de l’élaboration d’idées par l’esprit et l’expérience vécue du corps. Afin d’accéder à la connaissance spirituelle et de se situer dans la vérité, Simone Weil doit faire l’expérience de l’ascension de son âme. Pour cela, la philosophe exploite un itinéraire méthodique qui produit une transformation de l’être et de sa manière de vivre.
Ce sont les mécanismes du mouvement de l’âme que le présent article cherchera à mettre en évidence. Il s’agira de montrer dans quelle mesure l’itinéraire de l’esprit se révèle nécessaire pour atteindre une connaissance spirituelle du monde. Nous verrons que Simone Weil fait usage de nombreuses images représentant les déplacements de l’âme : d’une part, elle propose un cheminement philosophique qui s’appuie sur la tradition platonicienne et, d’autre part, elle explore un voyage mystique qui s’inspire principalement de la spiritualité chrétienne. Enfin, cette philosophe et mystique française construit son interprétation des mécanismes de l’esprit en instituant une poétique des mouvements de l’âme foncièrement originale.
Le parcours philosophique
L’allégorie de la caverne élaborée par Platon1 constitue l’image du cheminement de l’esprit vers la connaissance sur laquelle s’est largement édifiée la tradition de la pensée occidentale. Dans ce court récit, des hommes sont prisonniers dune caverne et n’ont accès qu’à des ombres projetées sur les murs. Pour accéder à la vérité, l’individu doit se libérer de ses chaînes et se hisser hors de la caverne. Platon représente par-là la condition humaine, selon laquelle les êtres humains vivent dans l’illusion. Sortir de ce lieu, c’est-à-dire de cette condition, consiste alors en « l’ascension de l’âme vers le lieu intelligible2 ». Le mode d’action choisi par Platon dans son discours est celui du déplacement, qui est le premier point constitutif de l’accès à la connaissance. Cette image a imprégné nombre d’écrits dans la tradition occidentale, dont ceux de Simone Weil.
Fidèle à la doctrine platonicienne, Weil cherche les causes de l’immobilisme de l’esprit prisonnier des illusions de la caverne. Sa pensée s’articule particulièrement autour du fonctionnement de l’âme et des forces qui la déterminent. Dans le contexte des années 1930, en Europe, les régimes totalitaires à leur apogée exercent une pression sur les individus par leurs discours politiques et sociaux. La philosophe reconnaît donc en premier lieu le poids de l’influence extérieure qui entrave la montée de l’esprit vers la vérité. Weil soutient à ce sujet que c’est le « collectif [qui] est l’objet de toute idolâtrie, [et] qui nous enchaîne à la terre.3 » C’est au moyen d’une logique d’opposition que la philosophe détermine par la suite les prérequis pour accéder à la vérité. Contre l’influence du « gros animal4 », c’est-à-dire de la chose sociale qui élabore des opinions contre la vérité, la solitude de la pensée est requise pour Weil, qui stipule que « la société est la caverne [et que la] solitude est la sortie.5 » La condition de solitude renvoie selon elle à l’impératif selon lequel la raison doit rejeter les idoles créées par le collectif.
Contre les opinions qui enchaînent l’esprit, le mouvement de la pensée est indispensable. La philosophe affirme en ce sens qu’« on ne peut pas penser sans mouvement.6 » Weil fait référence à l’agir comme condition de la pensée7. Le mouvement du corps qui explore la réalité du monde devient une condition de l’ascension de l’esprit vers la vérité, puisque celle-ci ne peut être atteinte que par une connaissance à la fois intelligible et sensible8.
Sa méthode philosophique accorde ainsi une place importante au corps comme outil permettant d’accéder au vrai. Les perceptions pouvant toutefois être transformées par les passions – la réalité perçue par l’individu est dans ce cas déformée –, Weil en appelle à la maîtrise de soi. Les désirs fluctuants du je constituent en effet selon elle une autre forme d’aliénation de l’esprit causée par l’imagination. La raison s’engage alors dans une quête de vérité par le biais d’un mouvement (c’est-à-dire dans l’interaction du soi avec le monde). La philosophe souligne en outre que « comprendre est toujours un mouvement ascendant; c’est pourquoi la compréhension doit toujours être concrète. (On n’est jamais sorti de la caverne, on en sort).9 » Ce caractère constant du mouvement de l’esprit correspond à l’état de l’être sortant de la caverne.
La méthode discursive de Weil vise donc à une émancipation de l’esprit face aux hétéronomies et aux illusions de l’ego. Des méditations réflexives répétées font ainsi apparaître un deuxième niveau de conscience situé à un niveau plus mystique, qui témoigne d’une progression de l’esprit et que j’aborderai plus en détail dans le prochain point. Il est ici à noter que la philosophe trace et poursuit concrètement une méthode de raisonnement dont l’horizon est la connaissance du Bien. Selon Gabriella Fiori, les carnets de Weil constituent un « grand poème initiatique de la conscience moderne10 ». L’initiation de l’esprit est en outre rattachée à un itinéraire philosophique : d’une part, comme nous venons de le voir, la libération des chaînes constitue la sortie de la caverne et, d’autre part, la contemplation du Bien a lieu dans le monde intelligible. Finalement, au terme du déplacement philosophique de l’esprit selon l’image platonicienne, il y a retour dans la caverne, c’est-à-dire une nouvelle relation de l’être au monde sensible.
Selon l’allégorie de Platon, la sagesse et le comportement vertueux de l’être sont les marques de son retour depuis le monde intelligible. Cette conduite est en outre la prérogative des philosophes puisque seuls ceux qui se sont élevés jusqu’au monde intelligible ont contemplé l’idée du Bien. Or, cette idée, « il faut la voir pour se conduire avec sagesse dans la vie privée et dans la vie publique11 », et ainsi être philosophe. Chez Weil, c’est dans la littérature – qu’elle étudie en tant que science de la pensée – que se devine le parcours de l’esprit jusqu’à la contemplation du Bien. C’est en ce sens qu’elle interprète diverses œuvres littéraires, en vue de discerner si l’esprit qui les a produites a bien effectué une ascension vers le divin avant de se mettre à écrire. Elle mentionne par exemple que « l’Iliade, les tragédies d’Eschyle et celles de Sophocle portent la marque évidente que les poètes qui ont fait cela étaient dans l’état de sainteté.12 » J’évoquerai plus en détail le cas de l’Iliade dans la suite de cet article. Précisons pour le moment que Weil considère tout de même qu’une telle démarche demeure rare. Dans son ouvrage L’Enracinement (1949), elle interpelle ainsi les lecteurs en demandant : « Y a-t-il beaucoup de livres ou d’articles qui donnent l’impression que l’auteur, d’abord avant de commencer à écrire, puis avant de livrer la copie à l’impression, s’est demandé avec une réelle anxiété : ”Est-ce que je suis dans la vérité ?”13 ». Selon ce rigoureux critère, peu d’écrivains détiennent selon elle la connaissance spirituelle nécessaire à l’activité de l’écriture.
Si Weil choisit de s’imprégner autant des écrits platoniciens, c’est qu’elle y discerne de manière exemplaire cette ascension vers le Bien qu’elle cherche dans les œuvres littéraires plus contemporaines. Elle considère ainsi que l’inspiration qui a permis au philosophe antique d’écrire le Timée est surnaturelle: « il [Platon] est sorti de la caverne, il a regardé le soleil et il rentré dans la caverne. Le Timée est le livre de l’homme rentré dans la caverne. Ainsi le monde sensible n’y apparaît plus comme une caverne.14 » Cet itinéraire (libération des illusions de la caverne, contemplation du vrai, retour éclairé dans le monde sensible) devient la condition du génie de Platon. Son œuvre est par conséquent la retranscription d’une connaissance située hors de la caverne, c’est-à-dire dans le monde de l’intelligible. C’est le parcours de l’esprit de Platon en tant qu’auteur qui est interprété par la philosophe. L’approche weilienne permet ainsi de mettre en évidence, à travers l’exemple canonique du philosophe par excellence, l’itinéraire que doit suivre tout être en quête de vérité.
Le trajet mystique
À la suite de trois grandes expériences mystiques, la philosophe a subi l’influence de la spiritualité chrétienne dans sa quête de la vérité. Nous avons constaté que la lecture de Platon l’a convaincue que l’élaboration d’une méthode rationnelle est nécessaire pour accéder à la vérité. Weil témoigne de cette expérience de l’esprit qui permet d’avoir un contact avec la connaissance spirituelle en affirmant que, « pour parvenir au-delà du domaine de l’intelligence, il faut l’avoir traversé jusqu’au bout, suivant un chemin tracé avec rigueur, irréprochable. Autrement, on n’est pas au-delà, mais en deçà. […] Le mystère étant ainsi défini, les mystères de la foi sont contrôlables par l’intelligence.15 » Définir ce travail de l’esprit en tant que parcours philosophique permet en outre de mettre en relief l’idée d’un itinéraire méthodique à entreprendre progressivement, au moyen de la raison et pour atteindre la connaissance du vrai. Nous nous intéresserons désormais au trajet mystique que connaît l’âme ayant déjà réalisé l’ascension libératrice de l’esprit hors des illusions de la caverne. Ce trajet constitue par contraste un chemin où l’âme ne peut être la seule force motrice vers la connaissance spirituelle.
Pour accéder à la vision du Bien, qui correspond chez elle au divin, Weil s’appuie de manière importante sur la théologie chrétienne. Selon celle-ci, un lien entre le divin et la souffrance est établi par le biais de la figure du Christ martyr qui incarne la souffrance expiatrice de l’âme. Cette souffrance est essentielle pour Weil, dans la mesure où elle la considère comme un instrument qui consume la partie charnelle de l’âme. Weil marque ainsi la nécessité d’un sacrifice ou un exil de soi (le je) afin de libérer l’âme de son ego et ainsi créer l’espace nécessaire au contact intime avec le transcendant, auquel la raison ne peut prendre part. Cet « usage surnaturel de la souffrance16 » dans le christianisme est donc fortement recherché par Weil en ce qui concerne la recherche d’une vérité hors de ce monde. La mystique affirme en ce sens : « Que je parte, et le créateur et la créature échangeront leurs secrets.17 » L’exil ontologique est donc le choix de l’âme de renoncer au soi. Il se traduit concrètement par la dépossession de toute attache que l’être peut tisser dans le monde (biens matériels, prestige social ou autre), afin que l’amour de Dieu puisse traverser l’être.
Dans cette optique, Weil offre une clé d’accès au divin en affirmant qu’il faut « se déraciner socialement et végétativement. S’exiler de toute patrie terrestre. […] Mais en se déracinant on cherche plus de réel.18 » Le détachement total de l’âme au monde, ou l’exil hors de la caverne, est également présenté dans les récits de certains saints chrétiens (Weil admire notamment la mendicité de Saint-François) qui rajoutent au mode de vie philosophique antique un sens surnaturel. C’est ainsi que la philosophe interprète leur cheminement mystique : s’exiler par l’âme des prestiges du monde demande de s’enraciner dans des valeurs issues du monde surnaturel. Le passage suivant, issu des carnets weiliens, illustre cette idée : « Saint-Paul : soyez enracinés dans la charité pour avoir la force de saisir, comme tous les saints, ce qu’est la longueur et la largeur, la hauteur et la profondeur… Être enraciné dans l’absence de lieu.19 » Il y a donc dans la pensée de Weil une lecture du déplacement de l’âme à deux niveaux de réalité. Dans le monde immanent et terrestre, un détachement de l’âme est requis afin de rejoindre et de ressentir le monde surnaturel qui est « une réalité non-spatiale infiniment plus grande que la totalité de l’espace20 ». Ce chemin de l’exil spirituel permet à l’être de s’ancrer dans des valeurs divines. En raison de cette double appartenance de l’esprit, il appert à Weil qu’il faut « prendre le sentiment d’être chez soi dans l’exil.21 »
Toutefois, si dans la pensée mystique de Weil ce travail de l’âme permet effectivement de sortir spirituellement de la caverne, l’âme ne peut emprunter de chemin menant au monde céleste. Le trajet mystique expose alors un autre mode d’ascension vers le divin, par lequel l’âme doit être prise et élevée : « Nous ne pouvons pas faire même un pas vers le ciel. La direction verticale nous est interdite. Mais si nous regardons longtemps le ciel, Dieu descend et nous enlève. Il nous enlève facilement.22 ». L’âme humaine n’a pas la capacité de s’élever jusqu’aux cieux, mais elle peut tout de même espérer voir la venue du divin à l’être. Il s’agit de la grâce qui transforme l’être et lui dévoile une réalité dénudée – vraie – du monde. Or cette descente du divin ne peut avoir lieu qu’à la suite d’une supplication de la part de l’âme. Tout le désir de l’être et l’attention de son âme doivent être orientés vers le céleste (« si nous regardons longtemps le ciel »). L’amour surnaturel que reçoit l’âme et qui la transforme lui permet alors d’habiter le monde avec le regard du divin, soit de lire la beauté dans la condition et la misère humaines. L’interprétation que donne Weil de L’Iliade est ainsi celle du trajet mystique préalable de l’auteur qui lui aurait permis de produire l’œuvre littéraire. La mystique reconnaît dans l’écriture d’Homère une approche surnaturelle du monde. Elle note : « Iliade. Seul l’amour de Dieu peut permettre à une âme de discerner aussi lucidement, aussi froidement l’horreur de la misère humaine sans perdre la tendresse ni la sérénité23. »
En somme, le trajet mystique de l’âme mis en place dans la pensée weilienne renverse l’idée de l’exil originel présent dans le christianisme. Selon la Genèse, l’être humain a été chassé du jardin d’Éden pour avoir enfreint les règles de Dieu (GN 03). L’idée de l’expulsion et de l’attente d’un retour au lieu originel imprègne dès lors la spiritualité chrétienne. Ce sentiment explique que de nombreux mystiques chrétiens ont chanté la mort avec les mots de la nostalgie et de la délivrance. Un poème de la religieuse espagnole Thérèse d’Avila en offre un exemple : « Qu’ils sont durs cet exil, / Cette prison et ces fers / Où mon âme est enchaînée ! / La seule espérance d’être délivrée / Me cause un tourment si cruel / Que je me meurs de ne point mourir !24 » L’état d’exil en ce monde renvoie au rapport à la mort comme le retour attendu. Weil fait écho à cette tradition mystique en écrivant que « la mort est ce qui a été donné de plus précieux à l’homme. […] Après la mort, l’amour.25 » La philosophe opère toutefois une subversion par rapport à ce sentiment de souffrance que ressent typiquement le mystique chrétien. Selon elle, le trajet méthodique de l’âme vers le monde spirituel est en effet la condition qui permet de connaître un retour au monde sensible dégagé de tout sentiment d’exil et de souffrance pour habiter pleinement ce monde. Il y a donc chez Weil une réinterprétation du discours chrétien qui voit dans l’exil d’Adam et Ève une damnation pour leurs descendants, réinterprétation qui, selon la thèse de Massimiliano Marianelli, fait correspondre ce discours à « un humanisme universaliste26 », c’est-à-dire à une vision qui assemble les mythes et les spiritualités du monde pour bâtir un sens commun à l’humanité. Cette vision du monde correspond ainsi à l’idée de la patrie universelle issue de la philosophie stoïcienne27. Afin d’illustrer cette représentation, qui produit le sentiment d’appartenance au monde pour l’âme, Weil s’appuie sur le mythe d’Ulysse. Tout comme le héros homérique ne reconnaissait pas sa terre natale lors de son retour, l’âme doit être particulièrement attentive pour se reconnaître en lieu familier.
C’est parce qu’il peut être aimé par nous, c’est parce qu’il est beau que l’univers est une patrie. C’est notre unique patrie ici-bas. Cette pensée est l’essence de la sagesse des stoïciens. Nous avons une patrie céleste. […] Nous nous sentons ici-bas étrangers, déracinés, en exil. De même Ulysse, que des marins avaient transporté pendant son sommeil, s’éveillait dans un pays inconnu, et désirait Ithaque d’un désir qui lui déchirait l’âme. Soudain Athéna lui dessilla les yeux, et il s’aperçut qu’il était dans Ithaque. De même tout homme qui désire infatigablement sa patrie, qui n’est distrait de son désir ni par Calypso ni par les Sirènes, s’aperçoit soudain un jour qu’il est dans sa patrie.28
On peut aussi noter que le sens de l’errance telle que conçue dans l’épopée d’Homère présente des similitudes avec le trajet de l’âme dans la lecture mystique de Weil : la souffrance de l’exil et de l’errance, la supplication nécessaire envers le divin, et finalement le retour accordé de l’être transformé dans sa patrie. Une dimension religieuse y est fondamentale selon l’analyse faite par Normand Doiron, qui affirme que « toute l’épopée [homérique] vise à démontrer cette équivalence de l’errance et de la supplication.29 » Enfin, le passage de Attente de Dieu cité plus haut montre également une notion fondamentale de la pensée de Weil, selon laquelle le beau est condition de subversion du sentiment d’exil, mais aussi élan métaphysique de l’âme vers la connaissance spirituelle.
Les voies de l’âme
Le détachement face au monde, puis l’amour surnaturel du divin, sont les conséquences des parcours philosophique et mystique de l’âme. L’être qui retourne dans le monde sensible de la caverne est alors nécessairement transformé dans son rapport au monde et dans le regard qu’il porte sur la réalité et les objets qui l’entourent. Selon la pensée de Weil, pour qui « les choses créées ont pour essence d’être des intermédiaires […] vers Dieu30 », les choses du monde ne sont plus des fins en soi à rechercher, mais uniquement des moyens permettant l’ascension de l’être vers le monde surnaturel. Cette fonction intermédiaire des objets du monde témoigne alors du besoin de l’âme de traverser des seuils dans son ascension vers la connaissance divine pour prendre un élan qui l’actionne vers la vérité. On l’a vu, la conception weilienne unit la pensée platonicienne et la spiritualité monothéiste. D’une part, concevoir les choses du monde comme des moyens menant vers le divin est seulement accessible à l’être qui a reçu la grâce divine (suite au parcours que nous avons déterminé précédemment, la foi étant définie par Weil comme le résultat de l’intelligence, le parcours philosophique, et de l’amour, le désir mystique31) : « seul celui qui aime Dieu d’un amour surnaturel peut regarder les moyens seulement comme des moyens.32 » D’autre part, Weil trouve dans le Banquet de Platon la représentation de la fonction et de l’essence des choses du monde. La philosophe définit en effet les choses du monde selon leur qualité de μεταξύ [metaxu]. Ce terme, issu de l’œuvre antique, permet à Platon de qualifier le rôle d’Éros, le dieu de l’amour : « Éros est un intermédiaire entre le mortel et l’immortel33 ». Il n’est donc par nature ni trop bas ni trop haut (les metaxu weiliens ne correspondent ni aux bassesses du monde ni aux choses sacrées). De plus, la fonction d’Éros est d’unir les hommes au divin, puisque, « comme il se trouve à mi-chemin entre les dieux et les hommes, il contribue à remplir l’intervalle, pour faire en sorte que chaque partie soit liée aux autres dans l’univers.34 » C’est en reprenant précisément les caractéristiques du dieu grec de l’amour que Weil représente la nature et la fonction de tout objet intermédiaire en ce monde. L’amour, Éros, pour le divin, devient en outre un principe fondamental chez Weil, car il permet à l’âme de construire des liens entre le monde sensible et le monde surnaturel.
Les metaxu – terme grec que l’on pourrait traduire en français par celui d’ « intermédiaires » –, sont nécessaires à l’âme dans sa condition humaine puisqu’ils permettent un passage progressif vers la sortie de la caverne. Il faut que l’être soit au monde, c’est-à-dire qu’il s’ancre dans sa réalité, pour qu’il y ait ensuite possibilité de détachement de l’âme. Le caractère transitoire des metaxu explique que Weil les compare aux ponts des Grecs : les ponts ont la double caractéristique de séparer deux rives et d’offrir un passage qui les relie. Les metaxu, ou le monde sensible en général, portent principalement ce double attribut (séparation et lien) dans la pensée weilienne : « ce monde est la porte fermée. C’est une barrière. Et, en même temps, c’est le passage.35 » D’une part, le monde sensible et le monde surnaturel en tant que deux réalités pour l’âme ne pourraient avoir une existence propre sans la rupture qui les divise et qui les rend visibles. D’autre part, la métaphore du pont met en évidence l’impératif du déplacement de l’âme; le pont existe seulement pour être traversé et pour situer l’âme dans l’activité vers – rejoignant – le divin. Les chemins qu’il faut sans cesse emprunter renvoient par ailleurs à l’impératif du mouvement de l’être, qui permet de ne pas rester prisonnier des chaînes de la caverne en s’arrêtant sur des idoles. L’âme se déplace pour trouver des chemins spirituels conduisant au divin, et ce déplacement marque le point de bascule entre la foi et l’idolâtrie. Dans le même ordre d’idées, Martin Heidegger note que « la véritable crise de l’habitation réside en ceci que les mortels en sont toujours à chercher l’être de l’habitation et qu’il leur faut d’abord apprendre à habiter.36 » Comme le philosophe allemand, Weil estime que l’âme doit faire prévaloir la transformation de sa manière de vivre sur toute construction de système de connaissance.
Habiter le monde, y exister, s’accomplit donc chez Weil par le mouvement de l’âme vers la connaissance spirituelle. De plus, elle trace la voie d’un apprentissage de l’esprit, un parcours à suivre qui permet d’habiter l’univers, c’est-à-dire que l’âme est présente à la fois dans le monde terrestre par l’importance qu’elle accorde aux metaxu, et enracinée dans le monde surnaturel par l’amour divin. Il faut noter cependant le caractère progressif du mouvement d’ascension de l’âme : l’expérience mystique du détachement total et final requiert un enracinement préalable au monde sensible. L’exil hors des réalités du monde imposé par des forces extérieures constitue selon Weil un exil destructeur, comme par exemple dans le cas de réfugiés forcés de se séparer de leurs patrie et famille. Cette violence du dehors ne correspond aucunement à l’expérience mystique qui est proprement le fruit de forces intérieures, mais, au contraire, vient s’y opposer et constitue un crime. Le passage que constituent les metaxu requiert la présence des deux rives. Les besoins de l’âme terrestre (collectivité, sécurité, tradition, etc. selon Weil) doivent être satisfaits pour vivre pleinement dans le monde sensible et, de là se crée la possibilité de détacher son âme de cette première rive afin de cheminer jusqu’au surnaturel.
Finalement, le premier et le plus fort objet digne d’Éros, l’amour, est la beauté. Dans la conception platonicienne, l’érotisme est la séduction du corps en tant que principe d’impulsion de l’âme qui permet de rejoindre le monde des Idées. Weil s’imprègne en outre de la pensée de Platon pour concevoir la mécanique de « la beauté [qui] séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu’à l’âme.37 » La beauté a donc pour caractéristique d’exercer une force d’attraction sur l’âme qui la mène vers le Bien, soit Dieu, selon les mystiques. Normand Doiron explique en ce sens que « cela fait partie de la nature même du Beau que de provoquer le mouvement, d’entraîner, de transporter : déplacement d’autant plus nécessaire que la beauté se trouve loin, hors de ce monde.38 » La beauté produit donc de l’énergie, un élan, dans l’âme. Les êtres œuvrent ainsi dans le monde à la recherche du Beau, ce qui explique par exemple le succès des marchés du luxe ou de l’art, qui ne répondent pas à un besoin vital de l’individu. Le beau n’est donc pas metaxu, il n’est pas un moyen, mais il est la finalité désirée par les êtres.
Comme elle [la beauté] est l’unique finalité, elle est présente dans toutes les poursuites humaines. Bien que toutes pourchassent seulement des moyens, car tout ce qui existe ici-bas est seulement moyen, la beauté leur donne un éclat qui les colore de finalité. Autrement il ne pourrait pas y avoir désir, ni par conséquent énergie dans la poursuite.39
L’utilisation du principe platonicien à partir d’une pensée mystique permet alors de présenter une voie de contact avec le divin puisque le beau s’appréhende à la fois par les sensations du corps et par le sentiment, mais ne peut toutefois s’expliquer par l’intelligible. L’attraction créée par le beau devient alors un mode choisi par le divin pour s’emparer de l’âme : Weil donne ainsi l’image d’un « labyrinthe40 » dont la beauté en est l’entrée qui séduit l’âme. Celle-ci se perd dans ce labyrinthe jusqu’à atteindre Dieu, au centre, qui la mange; l’âme en ressort finalement métamorphosée. Or, cette transfiguration de l’âme est précisément le cœur et le but du parcours spirituel : une rencontre paroxystique avec le divin qui va transformer le rapport, dès lors divinisé, de l’âme au monde. Toutefois, si ce sentiment mystique dans l’âme est rendu possible par l’attrait de la beauté, celle-ci a une fonction plus large. Étant le reflet du surnaturel tout en existant dans le monde sensible, sa présence joue également un rôle de réminiscence d’une nature originelle, qu’elle rend visible et sensible pour l’âme. Cette double nature du beau attire de façon irrésistible, car « la beauté [est le] seul être du monde intelligible qui apparaît aux sens. Elle excite le désir. (Autrement elle n’apparaîtrait pas aux sens). L’amour et la beauté, enfants du ciel et de la terre.41 » Le beau crée alors une brèche dans les illusions de la caverne, ce qui peut mener à l’impulsion de l’ascension vers le divin. Avoir un contact spirituel et sensible avec la beauté constitue donc l’élan de l’âme vers le monde surnaturel.
Face à la vraie beauté42, l’attitude de l’âme est celle de la contemplation. Le beau est donc ascétique, il ne peut être soumis à la jouissance ou à la possession, qui sont des passions de l’ego. Au contraire, le beau produit un désir dans l’âme, sans finalité autre que son existence : « Nous désirons que cela soit43 », point. Il y a donc un renoncement de l’âme dans son imagination et dans son désir intime, puisque l’attraction envers le corps que provoque la beauté ne doit pas conduire à sa possession. Cette distance constituante de la contemplation devient le modèle à suivre pour l’âme qui veut parvenir à la véritable connaissance spirituelle. Dans l’attente devant la beauté, il faut « rester immobile et s’unir à ce qu’on désire et dont on ne s’approche pas. On s’unit à Dieu ainsi : on ne peut pas s’en approcher. La distance est l’âme du beau.44 » Le parcours philosophique puis mystique de l’âme dépouille l’être de son attachement au monde terrestre, pour lui permettre d’observer la séparation ontologique des deux réalités et pour désirer uniquement une union avec le divin. La seule immobilité de l’âme est donc celle de l’orientation de son désir qui est la condition de son ascension finale, au terme d’un parcours méthodique, vers le surnaturel.
La quête de vérité chez Simone Weil prend en définitive l’allure d’une montée en spirale : des mêmes concepts se retrouvent au fil de l’ascension, mais sont découverts différemment par l’âme qui dans sa progression regarde le monde autrement. Par ailleurs, pour connaître la connaissance spirituelle, un itinéraire doit être entrepris par la totalité de l’être; la raison effectue un parcours philosophique et l’âme désire l’ascension mystique qui en transforme les modalités d’habitation et le rapport au monde sensible. La pensée de Simone Weil témoigne donc de cette expérience qui doit être vécue. L’intellectuelle n’accomplit pas ce trajet en l’absence de limites propres à l’imagination, mais convoque tout son être et confronte son âme aux lois de l’univers. Elle identifie dans ce sens une « distinction entre ceux qui restent dans la caverne, ferment les yeux et imaginent le voyage, et ceux qui le font. Réel et imaginaire aussi dans le spirituel, et là aussi la nécessité fait la différence.45 » C’est finalement son regard sur le monde et l’interprétation des œuvres humaines qui seront modifiés : tout est alors une métaphore, à entendre comme transport, vers le divin. En cela, Simone Weil s’appuie sur des concepts philosophiques de Platon, le mythe de l’Odyssée d’Homère et de nombreuses autres formes de production humaines dont cet article a donné un aperçu, afin de tracer le chemin à parcourir en vue d’accéder à un savoir spirituel et de recevoir la grâce. Une poétique des mouvements de l’âme est présente dans sa pensée. De la même façon qu’elle regarde l’âme qui agit derrière les œuvres littéraires, nous pouvons finalement reconnaître dans l’écriture de Simone Weil le mouvement de son âme engagée dans la connaissance surnaturelle.
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Platon, La République, Trad. Georges Leroux, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2016, Livre VII.↩
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Ibidem., Livre VII, 517 b.↩
-
Simone Weil, La pesanteur et la grâce, Paris, Plon, 2014 [1947], p. 248.↩
-
Platon, op. cit., Livre VI, 493 a-d.↩
-
Simone Weil, op. cit., p. 181.↩
-
Simone Weil, Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1997, Cahier 3, p. 330.↩
-
Ibidem., Cahier 3, p. 330.↩
-
Par exemple, elle note : « Caverne. … ωστε μενειν [”de façon à rester immobiles”]. Immobiles. Passivité. Activité comme condition de connaissance (cf. Maine de Biran). Le mouvement du corps est nécessaire à la perception. Nous sommes aux choses intelligibles comme un paralysé complet serait aux sensations. », in Ibidem., Cahier VII, p. 444.↩
-
Ibidem., Cahier I, p. 106.↩
-
Gabriella Fiori, « S. Weil : le langage d’une écriture », in Monique Broc-Lapeyre, (éd.). Recherches sur la philosophie et le langage. Simone Weil et les langues, Paris, Vrin, 1991, p. 119‑125, p. 121.↩
-
Platon, op. cit., Livre VII, 517 c.↩
-
Simone Weil, L’enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1999 [1957], p. 1174.↩
-
Ibidem, p. 1191.↩
-
Simone Weil, La source grecque, Paris, Gallimard, coll. « Espoir », 1953, p. 119.↩
-
Simone Weil, op. cit., Cahier XIV, p. 173.↩
-
Ibidem., Cahier VII, p. 64.↩
-
Simone Weil, op. cit., p. 95.↩
-
Ibidem, p. 91.↩
-
Simone Weil, Cahiers, II, Paris, Plon, 1972, p. 207.↩
-
Simone Weil, op. cit., Cahier VIII, p. 85.↩
-
Simone Weil, op. cit., p. 91.↩
-
Simone Weil, Attente de Dieu, Paris, La Colombe, 1950, p. 194.↩
-
Simone Weil, op. cit., Cahier XIV, p. 190.↩
-
Gaston Kempfner, La philosophie mystique de Simone Weil, Paris, La Colombe, 1960, p. 24.↩
-
Simone Weil, op. cit., p. 152.↩
-
Marianelli Massimiliano, « Les mythes, voies implicites vers le divin », in Emmanuel Gabellieri, L’Yvonnet François, (éds.). Simone Weil, Paris, Les Cahiers de l’Herne, 2014, p. 323‑329, p. 323.↩
-
« Est une cité un groupe d’êtres soumis aux mêmes lois. Or le monde est un groupe d’êtres soumis aux mêmes lois, c’est-à-dire à la loi de la Raison. Donc le monde est une Cité (IV, 4) [Marc-Aurèle]. Ce raisonnement était traditionnel dans le stoïcisme », in Pierre Hadot, La Citadelle intérieure. Introduction aux « Pensées » de Marc Aurèle, Paris, Fayard, 1992, p. 58.↩
-
Simone Weil, op. cit., p. 179.↩
-
Normand Doiron, Errance et méthode. Interpréter le déplacement d’Ulysse à Socrate, Paris ; Québec, Vrin ; Presses de l’Université Laval, 2011, p. 9.↩
-
Simone Weil, op. cit., p. 229.↩
-
« La foi, c’est l’expérience que l’intelligence est éclairée par l’amour » in Ibidem, p. 229↩
-
Ibidem, p. 229.↩
-
Platon, Le Banquet, Trad. Luc Brisson, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2007, p. 202‑203a.↩
-
Ibidem, p. 202‑203a.↩
-
Simone Weil, op. cit., p. 228.↩
-
Martin Heidegger, Essais et conférences, Trad. André Préau, Paris, Gallimard, coll. « Essais », 1958 [1954], p. 193.↩
-
Simone Weil, op. cit., p. 233.↩
-
Normand Doiron, op. cit., p. 126.↩
-
Simone Weil, op. cit., p. 169‑170.↩
-
Ibidem, p. 166‑167.↩
-
Simone Weil, op. cit., Cahier VII, p. 444.↩
-
Weil oppose toujours l’« ersatz » de ses concepts, ici un art démoniaque.↩
-
Simone Weil, op. cit., p. 234.↩
-
Ibidem, p. 234.↩
-
Simone Weil, op. cit., Cahier VII, p. 445.↩
Tasnîm Tirkawi est étudiante à la maîtrise en littérature comparée à l’Université de Montréal. Elle rédige actuellement un mémoire portant sur l’écriture des carnets chez Simone Weil sous la direction de Terry Cochran. Elle a récemment publié « La poétique de l’espace : une topographie de la mémoire du trauma dans Peut-Être Esther de Katja Petrovskaïa » dans la revue Postures.