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« Estre engloutie des ondes en chemin » : les voyages de Marie de l’Incarnation entre ciel et terre

Stéphanie Guité-Verret, 2e cycle, Université de Montréal

Résumé : Portant sur la question du voyage en Nouvelle-France dans l’œuvre de l’Ursuline et mystique Marie de l’Incarnation, cet article interroge la question du trajet au-delà du déplacement viatique. Il se penche sur les rapports entre voyage terrestre et voyage spirituel, en étudiant le développement d’une cartographie intérieure, l’acte de fondation pris comme entreprise souffrante, et la question de l’errance. Le trajet que dessine l’œuvre de Marie de l’Incarnation mène à la perte de soi, à une recherche incessante d’un ailleurs, lieu poursuivit par le sujet mystique.


Dans la Relation de 1654, Marie de l’Incarnation (1599-1672), Ursuline et missionnaire en Nouvelle-France, fait le récit d’un rêve. Elle se trouve en la compagnie d’une dame qu’elle ne connaît pas, mais avec qui elle quitte sa « demeure ordinaire1 » pour aller vers un autre lieu. « Mais je ne savais où ni les chemins. Or cependant, je franchissais tous ces obstacles en tirant après moi cette bonne dame » (R, p. 123), écrit l’autrice. Borné d’obstacles, ce lieu inconnu et difficile à traverser demeure l’objet de son aspiration. Avançant à l’aveugle, elle ne doute pas pour autant de sa trajectoire : la confiance avec laquelle elle emprunte ces chemins étrangers et mène à sa suite sa compagne caractérisera son entreprise missionnaire à plus grande échelle. Un premier chemin emprunté mène les deux femmes en une « belle place » gardée par un homme vêtu de blanc « comme on peint les Apôtres ». Au loin, en ce lieu, elles découvrent une église de marbre de style antique, sur laquelle sont assis la Vierge et l’Enfant Jésus. Au bas de cet édifice, un pays de brouillard apparaît, où se dessine une petite église : « Il y avait un chemin étroit pour descendre en ce grand pays. » (R, p. 124) Aussi retrouvons-nous deux chemins dans ce songe : un vers une église terrestre, un autre vers une église divine et immaculée. L’aventure missionnaire est ici décrite comme un cheminement, tandis que le lieu d’où Marie de l’Incarnation observe les deux églises peut s’entendre comme un espace liminal et transitoire. À l’instar de celui-ci, la vie de l’autrice oscille entre les choses du monde terrestre et du monde spirituel.

À travers la question du voyage en Nouvelle-France, cet article interroge cette oscillation dans la Relation de 16542 et dans la correspondance de Marie de l’Incarnation. Nous nous pencherons d’abord sur les paradoxes qu’appelle le voyage et le déplacement chez Marie de l’Incarnation qui vit cloîtrée la plupart du temps3 : comment en effet envisager un trajet dans l’œuvre de l’Ursuline ? Elle y raconte un voyage spirituel qui donne à voir une cartographie de l’intériorité, nous faisant réfléchir d’autres formes de trajet. Nous verrons ensuite, comme le laisse entrevoir le songe de la Vierge et de l’Enfant, que les chemins empruntés, tant réels qu’intérieurs, conduisent l’autrice à la nécessité de fonder un nouveau lieu religieux. Or plutôt que de l’ancrer en ce nouveau territoire, l’acte fondateur conduit Marie de l’Incarnation à la perte, voire à l’anéantissement de soi – topique du courant mystique auquel elle appartient4. Cette question de l’anéantissement nous mènera enfin à étudier la notion d’errance chez l’autrice, dès lors qu’errer permettrait à la mystique de chercher sans cesse un ailleurs où se trouve Dieu, celui en lequel précisément elle désire se perdre. En nous intéressant au voyage en Nouvelle-France, nous découvrons ainsi que l’œuvre de Marie de l’Incarnation est aussi marquée par d’autres trajets, vers soi et vers Dieu.

Voyager « en esprit »

Dans sa correspondance, Marie de l’Incarnation avoue désirer « aller aux extrémitez de la terre, quelques barbares qu’elles soient », expliquant toutefois être recluse : « Je vous écris la nuit, enfermée dans notre chambre comme dans un coffre, à cause du froid […]5. » La spatialité que développe cet extrait oppose deux lieux aux antipodes : les « extrémitez de la terre » et l’espace de la chambre qui est tel « un coffre ». Comment Marie de l’Incarnation peut-elle en effet réaliser son désir de voyager par le monde, lorsque, cloîtrée, elle est plutôt conduite à s’en extirper ? Si nous envisageons Marie de l’Incarnation comme une voyageuse, et ses textes comme des témoignages de l’Histoire et de la découverte de la Nouvelle-France, l’enfermement et l’immobilité de l’Ursuline semblent, de fait, paradoxaux. Comme l’exprime Nicole Pellegrin, le voyage au féminin est soumis à l’impératif « du vœu de ’’stabilité6’’ ». Marie évoque elle-même cette tension entre l’appel du voyage et la restriction de sa condition de moniale cloîtrée. À une religieuse de Tours, en 1653, elle explique dans une lettre qu’on prévoit une mission en Ontario, et qu’elle désire en faire partie : « Je sçay bien que je n’iray pas, mais l’intérêt de la gloire de Dieu dans le gain des âmes me consume, dans l’attente que l’affaire soit au point où on la souhaitte. Je n’iray, dis-je, pas, car ce n’en est ni le temps ni ce qui est convenable à ma condition. » (Lettre CLI, p. 507)

Le cloître peut se réfléchir comme un huis clos, un non-lieu :  s’il protège le sujet cloîtré de l’extérieur, en l’écartant du monde il l’écarte aussi de l’Histoire, celle des missions, de la Nouvelle-France, qui, pendant que Marie écrit cette lettre à la Mère Ursule, est vécue et mise à l’écrit par les hommes missionnaires à travers forêts, rivières, montagnes et villages amérindiens. Nathalie Freidel a bien analysé ce paradoxe d’une voyageuse cloîtrée : « [c]omment concilier les aspirations missionnaires et l’idéal de claustration conventuelle, réitéré et renforcé par la Contre-Réforme7 ? », questionne-t-elle. Si le cloître prend la forme d’un huis clos, il paraît alors évoluer à part et protégé du monde extérieur. Or sa correspondance permet à Marie de l’Incarnation de maintenir ponctuellement un contact avec la France. Dans ses lettres, elle fait mention des visites courantes que font les Jésuites, les autorités coloniales ou les enfants et les parents autochtones. Pour N. Freidel, Marie de l’Incarnation voyage à travers sa correspondance : « Les lettres ont pour ambition visible de surmonter les contraintes de la ’’condition’’ de l’ursuline, qui lui interdit d’aller mettre la tête sous la hache avec la même liberté que ses homologues masculins8. » Selon la critique, l’« infatigable activité épistolaire [de Marie de l’Incarnation] […] fait du monastère de Québec un lieu de convergence9 » social et économique. Mis-à-part le commerce épistolaire, une autre voie d’échappatoire répond à ce paradoxe du voyage immobile.

À la différence du voyage géographique qu’elle ne pourra réaliser qu’en 1639, puis qui ne pourra se réitérer une fois arrivée en Nouvelle-France, un voyage spirituel est couramment effectué par l’autrice. Celle qui se « prom[ène] en esprit » (R, p. 130) sort des murs du cloître et en dépasse alors les limites. De l’âge de trente-quatre à trente-cinq ans, Marie de l’Incarnation conçoit le désir de partir pour évangéliser :

Mon corps était dans notre monastère, mais mon esprit qui était lié à l’Esprit de Jésus, ne pouvait être enfermé. Cet Esprit me portait en esprit dans les Indes, au Japon, dans l’Amérique, dans l’Orient, dans l’Occident, dans les parties du Canada et dans les Hurons, et dans toute la terre habitable […]. (R, p. 130)

L’esprit, non pas cloîtré, « ne p[eut] être enfermé » ; il semble ici tout à fait libre. Marie de l’Incarnation explique encore dans sa Relation de 1654 que son esprit, avant même de partir pour le Canada, se trouve en fait déjà en ce pays : « Je faisais bien des stations par tout le monde ; mais les parties du Canada étaient ma demeure et mon pays, mon esprit étant tellement hors de moi et abstrait du lieu où était mon corps. » (R, p. 137) Nous observons dans ces deux extraits l’idée mystique de l’âme hors du corps, car liée et emportée par Dieu10. Ici se joignent l’expérience mystique et le voyage en Nouvelle-France : la pratique mystique, consistant à sortir et à se détacher du corps, permet à l’Ursuline de commencer son voyage au Canada avant de réellement quitter la France.

Le terme de « station » utilisé dans le dernier passage (« je faisais bien des stations par tout le monde ») illustre l’entremêlement de la pratique mystique et viatique chez l’autrice. Selon le Dictionnaire de Furetière, ce terme signifie en effet : « Pause, lieu où on s’arreste pour se reposer. Il voyage fort commodément, il a plusieurs amis sur le chemin où il fait des stations, où il se repose tant qu’il veut11. » Station se dit aussi, en termes de géométrie, « du changement des lieux qu’on choisit pour faire des observations. […] Ceux qui font les cartes topographiques des Provinces, font diverses stations sur les eminences pour observer les angles & les distances des villages, & les placer en leur vray lieu12. » Le terme de « station » est ainsi fortement affilié aux domaines du voyage et de la cartographie. Et les nombreuses stations de Marie de l’Incarnation peuvent ainsi rappeler les multiples arrêts du voyage d’Ulysse, tout comme les étapes du chemin de croix du Christ. Déplacement imaginaire plutôt tourné vers les territoires éloignés du monde et voyage hors de soi, cette pulsion vers l’extérieur a son pendant inverse : Marie de l’Incarnation explore également « [ses] replis intérieur[s]13 ». Il est alors intéressant de constater que c’est encore tout un lexique du voyage, du déplacement ou plus largement de la géographie qu’utilise l’autrice pour décrire ses états intérieurs :

[I]l faut passer par de grands travaux intérieurs et extérieurs qui épouvanteraient une âme si on les lui faisait voir avant que de les expérimenter, et même lui feraient quitter tout pour ne pas passer plus avant en ce qu’elle en expérimente, si une vertu secrète ne la soutenait, car il semble que les eaux des tribulations, par où elle a passé par tant de circoncisions spirituelles, aient éteint ce feu qui la consommait si suavement en la partie supérieure de l’âme […]. (R, p. 237)

Cet extrait dessine pratiquement une carte de l’intériorité. Passer de grands travaux, passer plus avant, passer aussi par les eaux des tribulations : ce sont là des expressions qui réfèrent à des lieux bien tangibles, pouvant être vus, visités et traversés. Le verbe quitter s’inscrit lui aussi dans cette géographie intérieure. Louis Van Delft montre d’ailleurs que se développent à l’époque des cartes spirituelles14 qui se penchent sur les différents lieux et chemins que l’âme peut visiter et emprunter au cours de la vie. On peut donc voir chez Marie de l’Incarnation des traces de cette tendance répandue au XVIIe siècle, tant dans les arts picturaux qu’en littérature, à cartographier, imager, ce qui relève de l’abstrait15.

Le voyage spirituel est réellement vécu et Marie de l’Incarnation le décrit comme un cheminement : le leitmotiv du chemin de croix dans son œuvre est à ce titre éloquent. Les champs sémantiques particuliers à l’expérience viatique et à l’expérience spirituelle sont ainsi interchangés. En effet, lorsque Marie de l’Incarnation décrit son intériorité, elle le fait de manière à construire un espace dans lequel elle se déplace et, bien souvent, se perd : « ce sont des coins, des tours, des labyrinthes que la nature corrompue, qui sont incompréhensibles, et il n’y a que l’Esprit de Dieu qui connaisse ces voies. » (R, p. 179)

Le terme « travaux », utilisé dans le précédent extrait en un sens mystique (les « travaux intérieurs »), s’observe également dans certains passages racontant le voyage en bateau. Dans une lettre à son frère, Marie de l’Incarnation écrit « non que nous n’ayons souffert de grands travaux durant trois mois de navigation parmi les orages et les tempêtes, qui pour treize cens lieues que nous avions à faire, nous en ont fait faire plus de deux mille. » (Lettre XL, p. 88) Quel que soit le voyage entrepris, qu’il soit géographique ou spirituel, il est toujours synonyme de travaux, d’épreuves. L’expression des « eaux de tribulations » mérite aussi que nous nous y attardions : dans la Relation de 1654, la traversée de trois mois en mer est une expérience nécessairement structurante pour l’Ursuline. Elle est d’autant plus importante que Marie de l’Incarnation et tout l’équipage crurent y mourir. L’autrice décrit ainsi le moment, évoqué plus tôt, où le navire faillit frapper un iceberg : « Je vis cette horrible glace. La brune nous empêcha d’en voir la cime. Ce que je vis me parut épouvantable, et je n’eusse jamais cru que la mer eut pu porter une si lourde masse sans couler à fond. C’est que nous avions été jetés par les tempêtes du côté du Nord. » (R, p. 165) Cet extrait, « dynamique, tout en mouvement et quasiment baroque dans son esthétique16 », dramatise le voyage, produisant un véritable récit qui captive le lecteur, mobilisant plusieurs topoï des relations de voyage jésuites : la narratrice craint la mer, rencontre un glacier, connaît des tempêtes et frôle la mort. Le navire va aussi errer au risque de périr : « nous fîmes environ soixante lieues sur les rochers sans en pouvoir sortir » (R, p. 166), explique la narratrice. La présence de ces topoï se comprend bien lorsque l’on sait que Marie de l’Incarnation a lu attentivement les relations de voyage jésuites, avant et après son arrivée au Canada17.

Le rapport indissociable entre ce que l’autrice vit extérieurement et intérieurement est ce qui nous semble être le plus intéressant dans ce récit de la traversée. La rencontre avec le glacier est l’occasion de réaliser qu’elle est disposée à mourir : « […] mon esprit se trouvait en un dépouillement de mourir ou de vivre. Toute ma pente était dans l’accomplissement des volontés de Dieu qui, dans toutes les apparences, s’allait effectuer par notre mort » (R, p. 165), écrit-elle. Le voyage se présente, pour la narratrice, comme le meilleur moyen de se rapprocher du divin. C’est seulement ainsi qu’elle pourra passer si près de la mort, qui est au fond l’état le plus rapproché du complet anéantissement de soi recherché par le sujet mystique. En effet, comme l’explique Louis Cognet, l’union mystique consiste à rechercher « la véritable fusion de l’essence divine et de l’essence de l’homme18 ». L’âme, en ce sens, « doit donc tendre vers un oubli d’elle-même si parfait que seul l’exprime le terme d’anéantissement. À partir de là se construit tout une mystique du néant, dont les formules s’imprègnent d’un annihilationnisme souvent vertigineux19 ». Pour Marie de l’Incarnation, la mort n’est donc pas à craindre, puisqu’elle ne promet qu’une réunion plus rapide avec Dieu20. Dans une lettre adressée au Père Le Jeune, elle exprime n’avoir pas peur de la mort qu’elle pourrait rencontrer au cours de son voyage :

Hélas ! que diriés-vous, mon R. Père si sa divine Majesté disposait les affaires en sorte que nous eussions bien tost le courage et le moyen de vous aller trouver. Je vous diray que si telle est la volonté de Dieu, qu’il n’y a rien en ce monde qui m’en puisse empescher, quand mesme je devrois estre engloutie des ondes en chemin. (Lettre XXVI, p. 60)

Elle est couramment en quête de sacrifices et de souffrances, mais aussi de dangers : « il me semble qu’au milieu des dangers je seray plus seure et plus tranquille sur la mer que sur la terre » (Lettre XXXVII, p. 81), dit-elle dans une lettre à son frère, quelques jours avant son départ. Le quête d’anéantissement de soi s’opère donc au cours de la traversée, mais également dans l’idée même du voyage au Canada :

Le Canada concrétise pour ainsi dire ce « hors de soi », mais non pas parce qu’il offrirait une surabondance de nature, un excès d’extériorité. Projeté dans ce dehors nouveau et inconnu, l’esprit reconnaît plutôt du même coup le néant de moi. Le Canada ouvre pour ainsi dire l’espace concret où la reconnaissance de ce rien est possible21.

Seul le Canada pourra en effet offrir à Marie de l’Incarnation un territoire où se sacrifier, s’anéantir. Nous observons par conséquent que le voyage en Amérique ne peut être réfléchi en dehors du cadre mystique dans lequel il se réalise.

Un édifice de croix

Dans le songe de la Relation de 1654 par lequel nous avons entamé cette réflexion, Marie semble élue par la Vierge : « Il me semblait qu’elle lui [Jésus] parlait de ce pays et de moi et qu’elle avait quelque dessein à mon sujet », raconte-t-elle. Des passages semblables suivent celui-ci : « elle se retourna vers son Fils et lui parlait encore intérieurement, et j’entendais en mon esprit qu’elle avait du dessin pour moi, duquel elle lui parlait » (R, p. 124) ; et encore, « elle recommença de parler de moi comme auparavant » (R, p. 125). La répétition de cet entretien de la Vierge et de Jésus au sujet de Marie de l’Incarnation renforce l’idée qu’elle a été choisie pour un grand projet. Quelque temps après ce rêve, l’Ursuline a une vision : Dieu lui fait voir en esprit ce grand pays (celui du rêve précédent) et lui dit ensuite que cette terre qu’il lui a représentée est le Canada et qu’elle y doit aller faire une maison pour Jésus et Marie. Ces rêves et ces visions sont certes caractéristiques du courant mystique22 dans lequel s’inscrit Marie de l’Incarnation, mais ils rapprochent aussi la Relation des récits de fondation.

Il y a chez l’autrice ce que nous pourrions appeler une architecturalisation du territoire23. Comme l’indique cette vision où Jésus lui dit d’aller construire une église, la question de la fondation, chez Marie de l’Incarnation, est souvent envisagée à travers celle de l’édification (au sens architectural du terme) : « Je ne regarde pas le présent mais l’avenir, m’estimant heureuse d’être employée dans le fondement d’un si grand édifice […]. » (Lettre CLI, p. 507). C’est toujours à travers la construction d’un édifice, communément une église, que peut s’envisager l’établissement du Canada. Dans la Relation de 1654, Marie raconte avoir eu un autre songe, avant celui plus concret où la Vierge lui montre l’église au travers de la brume :

[…] j’avais pâti une occupation imaginaire. Il me sembla que j’étais en une rue ou ville toute neuve, en laquelle il y avait un bâtiment d’une merveilleuse grandeur. Tout ce que je pus découvrir à mes yeux était que ce bâtiment était tout construit, en lieu de pierres, de personnes crucifiées. Les uns ne l’étaient qu’à mi-jambes, les autres un peu plus haut, les autres à mi-corps, les autres en tout le corps, et chacun avait une croix qu’ils tenaient selon qu’ils étaient crucifiés. Mais il n’y avait que ceux qui étaient crucifiés par tout le corps qui la tinssent de bonne grâce. Je trouvais cela si beau et si ravissant que je n’en pouvais ôter ma vue. (R, p. 158)

Dans cette « ville toute neuve », un bâtiment est construit au prix de la crucifixion des habitants. La fondation et, nécessairement, l’édification, apparaissent indissociables de la souffrance et du sacrifice. Or l’Ursuline est toujours favorable aux croix : aussi ceux qui sont crucifiés « en tout le corps » sont-ils ici les plus heureux. La merveille et le ravissement qu’évoque cette scène à l’autrice nous montre bien le désir sacrificiel qui l’habite, et qui la hisse presque au rang de sainte : « Pour bien goûter la vocation du Canada, il faut de nécessité mourir à tout ; et si l’âme ne s’efforce de le faire, Dieu le fait luy-même, et se rend inexorable à la nature, pour la réduire à cette mort, qui par une espèce de nécessité l’élève à une sainteté éminente. » (Lettre LVIII, p. 140-141)

Si être sainte, c’est être héroïne de la chrétienté24, cette idée de sainteté ne concorde pas avec l’ethos25 d’humilité qui caractérise l’œuvre de Marie de l’Incarnation. En ce sens, elle nous apparaît assez surprenante sous sa plume. En effet, l’Ursuline dit n’« écrire qu’en Esprit humilié » (R, p. 75). L’humiliation est sans cesse réitérée à même le texte ou s’exprime à travers des commentaires autodépréciatifs : Marie de l’Incarnation se dit par exemple « la plus basse et vile créature qui soit sous le ciel » (R, p. 187). Il y a là un paradoxe intéressant entre cette posture qu’adopte l’autrice et l’inscription d’« une sainteté éminente ». Cette tension entre héroïsme et humiliation se retrouve dans une lettre qu’elle adresse en 1648 à la Mère Ursule de Sainte-Catherine :

Pour moy, je vous le dis franchement, je n’ay peur de rien, et quoy que je sois la plus misérable du monde, je suis prête et me sens dans la disposition d’aller aux extrémitez de la terre, quelques barbares qu’elles soient, si l’on m’y veut envoyer : Mais je ne suis pas digne de si grandes choses. (Lettre CXVII, p. 356)

Son courage, son absence de peur, sa volonté d’aller jusqu’aux confins du monde tracent son portrait en grande exploratrice. Aussitôt énoncé, cet élan se voit pourtant rabattu par l’autrice qui affirme n’être pas à la hauteur d’une telle mission. Si l’entreprise sainte se caractérise par le sacrifice et la souffrance, nous comprenons mieux la place qu’en fait Marie dans son récit. Dans une lettre qu’elle adresse à la Mère Jeanne-Françoise Le Vassor, l’autrice écrit : « Nous voions néanmoins ici [au Canada] une espèce de nécessité de devenir sainte ; ou il faut mourir, ou y prêter consentement. » (Lettre LII, p. 122) En effet, le Canada, en raison des difficultés qu’il fait traverser à Marie, exige qu’elle s’élève ainsi aux plus hautes vertus. Trajet vers les terres inconnues ou trajet vers les voies de l’intériorité, il s’agit toujours pour Marie de l’Incarnation de se perdre : l’édification en Nouvelle-France, appelant au sacrifice, apparaît alors le projet par excellence de la quête mystique qui habite l’autrice.

L’errance : au carrefour des écrits viatiques et mystiques

Réfléchir à la question du voyage chez Marie de l’Incarnation nécessite enfin de s’attarder à l’appellation de « Relation » que portent ses deux textes de 1633 et de 1654. Au XVIIe siècle, une « Relation, se dit particulierement des adventures des Voyageurs, des observations qu’ils font dans leurs Voyages26 ». Il est étonnant que le texte autobiographique de la Relation de 1654 porte ce titre alors qu’il est d’abord et avant tout présenté comme un écrit spirituel27. En fait, l’identité générique exprime concrètement la mince frontière entre l’autobiographie spirituelle et la relation de voyage qui se trouve dans ces textes. Plutôt que d’opposer ces deux formes d’écrits, il nous apparaît ainsi plus fécond de penser leur entrecroisement.

Le récit mystique et le récit viatique, particulièrement ceux des missionnaires en Nouvelle-France, partagent bon nombre de topoï. Ces deux écrits cherchent à communiquer une expérience difficilement transmissible par le langage : « tous ces textes butent, dans des proportions et à des titres très divers, sur ’’l’indicible’’, indicible sauvage ou divin28 », explique Isabelle Landy-Houillon. La relation de voyage et l’écrit mystique doivent aussi tous deux composer avec l’incroyance potentielle de leur lecteur, incroyance devant l’extraordinaire, devant l’inconnu. « Il le faudrait expérimenter pour le croire » (R, p. 167), dit Marie de l’Incarnation. La véracité du propos est alors primordiale et réitérée : l’autrice explique ainsi ne dire que ce que l’Esprit lui dicte de dire (R, p. 75). Les deux genres d’écrits placent au centre de leur récit la rencontre avec l’altérité : l’Autre étant d’une part le sauvage dans les récits de voyage en Nouvelle-France29, d’autre part Dieu dans les textes mystiques. Ils partagent aussi, comme l’explique Vincent Grégoire, le topos du naufrage : « le ’’naufrage mystique’’ confine clairement, par sa terminologie et son imagerie, au naufrage réel, même si celui-ci a en l’occurrence été évité de justesse30. » Il observe aussi que l’autrice joue couramment sur les deux sens du terme « abyme » (abyme des eaux et abyme de l’âme). Déjà, en 1626, dans une lettre adressée à son confesseur de l’époque, Marie de l’Incarnation décrivait ainsi son rapport à Dieu : « Cette Majesté étoit à mon égard comme une grande et vaste mer qui, venant à rompre ses bornes, me couvroit, m’inondoit et m’enveloppoit de toutes parts. » (Lettre I, p. 1) La mer apparaît dès lors exprimer cet infini du divin dans lequel Marie de l’Incarnation cherche à se perdre, à errer. Car la mer, c’est cette absence de borne et de frontière, lieu paradigmatique, peut-être, où penser l’expérience mystique.

L’œuvre de Marie de l’Incarnation thématise plus largement l’errance. Elle quitte d’abord son rôle de mère pour entrer dans les ordres à Tours ; elle traverse ensuite l’océan pendant plusieurs mois, vers les terres inconnues du Canada. Dans un cadre chrétien, l’errance évoque évidemment le nomadisme du Christ ou encore celui de saint Paul, et ne saurait par conséquent avoir la connotation négative que peut évoquer le terme dans la littérature profane de l’époque31. L’errance est ainsi justifiée lorsqu’elle

est mue par les impératifs d’une mission, par un appel de Dieu. Pour le chrétien, le chemin de la vie, selon la figure de l’homo viator, est une route faite d’épreuves et de détours. Étape obligée du pèlerin en quête de signes célestes, l’errance prend alors une dimension initiatique ou positive : elle donne l’accès à une réalité supérieure32.

Pour Judith Sribnai, « quoique l’ursuline lutte contre tout pour fonder un couvent, marquer un lieu où l’on se reconnaît, et qu’elle-même soit passée à l’histoire comme fondatrice, la Nouvelle-France reste néanmoins un lieu impossible à habiter33. » Si nous avancions qu’en se « promenant en esprit », le voyage de Marie de l’Incarnation commençait bien avant son départ physique pour la Nouvelle-France, Judith Sribnai fait pour sa part remarquer que le récit de la Relation de 1654 s’ouvre « par une double absence de la narratrice34 ». Par-là, elle laisse entrevoir que l’expérience viatique débuterait dès l’incipit de l’autobiographie. Marie de l’Incarnation raconte en effet qu’à l’âge de sept ans, elle fait un rêve où Dieu se présente à elle alors qu’elle joue dans la cour d’école et lui demande : « Voulez-vous être à moi ? », à quoi elle répond « Oui. » (R, p. 11) Ainsi,

Marie de l’Incarnation n’a jamais été de ce monde : enfant, elle n’est pas, pour ses contemporains, citoyenne ou personne à part entière. L’entrée dans l’âge de raison est marquée par une initiation non à l’adolescence ou à l’âge adulte, mais par un renoncement : ’’voulez-vous être à moi’’ – la narratrice est au seigneur, à lui et en lui, et donc plus (au lieu d’énonciation, au monde laïque)35.

Outre le voyage en Nouvelle-France et le voyage spirituel, l’œuvre de Marie de l’Incarnation en laisserait donc penser un autre, dont la destination est Dieu. Débutant dès l’âge de sept ans, il amène à concevoir la vie de Marie comme une longue errance. Ni entièrement dans le monde ni encore réunie avec Dieu, elle se situe dans cet entre-deux, ce lieu de passage qui « constitue l’expérience première du chrétien36 ».

Quand bien même le voyage débute si tôt pour la narratrice, il ne prend non plus fin avec l’arrivée au Canada. Peut-être pourrions-nous dire que les stations dont parle l’autrice, notamment la station qu’est le Canada, ne sont en fait qu’un arrêt bref et nécessaire dans le monde. Michel de Certeau écrit dans La fable mystique :

Il y a aussi des esprits pour qui le travail de l’infini consiste à refuser successivement tout lieu singulier. Ils passent le temps à se « délier » des identifications locales. Cette passion du déliement (de l’ab-solu) réitère à chaque étape le geste qui dit : « ce n’est pas ça », « ce n’est pas ça », sans fin, jusqu’à ce que les fores manquent. Ce geste était le ressort de la vie mystique. Un fin mot le désignait, un « rien » de l’Autre, un terme infini, commun et indéfiniment répété : « Dieu »37.

De Certeau exprime mieux que quiconque cette absence au monde des mystiques, ce voyage de l’âme qui n’a de fin que lorsque celle-ci rejoint enfin le Dieu qu’elle aura poursuivi de tout son vivant. La mystique permet ainsi, selon nous, de mieux saisir les paradoxes entourant le voyage chez Marie de l’Incarnation : bien que cloîtrée, elle peut voyager spirituellement ; bien qu’impliquée dans des entreprises temporelles telles que l’édification, elle trouve là un moyen de souffrir qui répond à son désir d’anéantissement de soi ; bien qu’elle s’établisse en Nouvelle-France, ce n’est là qu’un arrêt au cours d’un plus vaste voyage qui ne se terminera qu’en l’Autre monde.

L’œuvre de Marie de l’Incarnation demande par conséquent de réfléchir au voyage de multiples façons : voyage en Nouvelle-France, voyage dans les territoires intérieurs, voyage spirituel, « en esprit » vers des territoires désirés, rêvés, enfin voyage vers Dieu. Par sa recherche « sans fin » d’un ailleurs, l’œuvre de Marie de l’Incarnation témoigne d’un désir de s’extirper du monde. Paradoxalement, cette pulsion mystique, qui la pousse hors d’elle-même et du temps, l’amène aussi à partir pour la Nouvelle-France, dont elle deviendra une importante figure historique, une figure de la fondation. La mystique sait qu’en ce nouveau territoire de croix et d’épines se trouve la possibilité d’un grand sacrifice de soi. Ce sacrifice, constamment recherché, témoigne ainsi d’un désir d’humiliation, de perte, voire de destruction de soi. L’œuvre de Marie de l’Incarnation nous amène à penser le trajet sur un chemin infini, emprunté par un sujet toujours mouvant. L’autrice, dans un va-et-vient qui fait fi des frontières, voyage sur les eaux océaniques, sur les voies intérieures et les terres imaginaires ; et à travers ces déplacements continus, elle cherche à se transformer de manière à devenir Autre, c’est-à-dire et ne faire qu’un avec l’altérité suprême, Dieu.

Bibliographie

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CERTEAU, Michel de, La fable mystique. XVIe-XVIIe siècle, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1987.

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  1. Marie Guyart dite de l’Incarnation, Relation de 1654, Éd. Alessandra Ferraro, Montréal, Boréal, 2016, p. 123. Dorénavant, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle R, suivi du numéro de la page.

  2. Marie de l’Incarnation a écrit deux relations, une en 1633, partiellement perdue, et une en 1654 : cette dernière nous intéressera davantage, étant rédigée après l’arrivée en Nouvelle-France.

  3. En 1639, Marie de l’Incarnation quitte le cloître des Ursulines de Tours, où elle était entrée pour se faire tardivement moniale en 1631. Elle se rend alors en Nouvelle-France afin de fonder là-bas un nouveau couvent pour cet ordre religieux, où elle vivra cloîtrée jusqu’à la fin de sa vie.

  4. Sur les topiques des textes mystiques des XVIe et XVIIe siècles, nous référons principalement à Michel de Certeau (La fable mystique. XVIe-XVIIe siècle, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1987.), Jacques Le Brun (Sœur et amante. Les biographies spirituelles féminines du XVIIe siècle, Genève, Librairie Droz, coll. « Titre courant », 2013.) et Louis Cognet (« Le mysticisme en France au XVIIe siècle », in Crépuscule des mystiques : Bossue – Fénélon, Paris, Desclée, coll. « Bibliothèque de théologie », 1991 [1958], p. 16‑50.). Voir aussi Mino Bergamo, La science des saints. Le discours mystique au XVIIe siècle en France, Grenoble, Jérôme Millon, 1992.

  5. Marie Guyart dite de l’Incarnation, Correspondance, Éd. Guy-Marie Oury, Solesmes, Abbaye Saint-Pierre, 1971, p. 356. Dorénavant, les références à cet ouvrage seront indiquées entre parenthèses, dans le corps du texte, par le numéro de la lettre, suivi du numéro de la page.

  6. Nicole Pellegrin, « La Clôture en voyage (fin XVIe-début XVIIIe siècle) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2008, p. 77‑98, p. 79.

  7. Nathalie Freidel, « Marie de l’Incarnation, voyageuse immobile en Nouvelle-France », Dix-septième siècle, août 2016, p. 533‑546, p. 534.

  8. Ibidem, p. 533.

  9. Ibidem, p. 533.

  10. En effet, comme l’exprime Pierre Nepveu, « [l]’état mystique ouvre un espace où s’affrontent deux mouvements contraires : d’un côté, l’intériorité est envahie, victime de forces extérieures, étrangères, qui la réduisent à l’abjection et au rien ; de l’autre, l’intériorité se projette « hors de soi », l’esprit s’évade, voit, imagine. » Voir Pierre Nepveu, « Admirable néant », in Intérieurs du Nouveau Monde, Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 1998, p. 31‑41, p. 34.

  11. Antoine Furetière, Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690.

  12. Ibidem.

  13. Lucie Desjardins, Marie-Christine Pioffet et Roxanne Roy, « Présentation », in L’errance au XVIIe siècle, Tübingen, Narr Francke Attempto, coll. « Biblio 17 », 2017, p. 9‑21, p. 10.

  14. Van Delft donne l’exemple du Mapp shewing the Order & Causes of Salvation & Damnation, dessiné par John Bunyan. On y voit notamment l’illustration de la damnation par des flammes et des monstres, et de la rédemption par des dessins d’angelots et de lumière. « La cartographie morale », in Littérature et anthropologie. Nature humaine et caractère à l’âge classique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Perspectives littéraires », 1993, p. 71.

  15. Van Delft explique que pour le moraliste classique, savoir vivre, c’est savoir s’orienter, c’est « savoir la carte ». Pour aider l’homme à mieux se conduire dans le monde, le moraliste développe ce que le critique a nommé une « cartographie morale » ( Ibidem, p. 65‑86.). Les lieux de cette dernière sont d’abord les caractères humains, les autres voyageurs que l’homo viator rencontrera au cours du périple qu’est sa vie, mais aussi des situations, telles que les différents âges de la vie, ou « d’autres lieux qui jalonnent le parcours existentiel : ainsi les divers sentiments, les passions, l’adversité, le cercle décrit par la roue de Fortune, la mort. » ( Ibidem, p. 67.). Si Van Delft, en tant que spécialiste des moralistes, s’intéresse aux cartes morales, développées dans le domaine laïc, il s’arrête aussi sur les cartes du domaine spirituel. Il les distingue selon leur registre : les cartes spirituelles ont comme fin de guider le chrétien entre le Bien et le Mal, de l’amener vers Dieu en lui faisant éviter les chemins de la tentation, alors que les cartes laïques, adressées aux mondains, sont plutôt tournées vers des préoccupations temporelles.

  16. Vincent Grégoire et Centre d’études Marie-de-l’Incarnation, « Le passage de l’Atlantique : une traversée pleine de ”traverses” », in Femme, mystique et missionnaire. Marie Guyart de l’Incarnation, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Religions, cultures et sociétés »,2001, p. 7‑24, p. 18.

  17. Voir, par exemple, la « Lettre XIV » : « Vous sçavez que voicy la meilleure saison pour ce voyage, car comme le païs est très-mauvais, ainsi que témoigne la Relation, il seroit bon de prendre les habitudes avant l’hiver. » (p. 34). Voir encore la « Lettre LXXIII » (p. 196), la « Lettre CLXXIX » (p. 602) ou la « Lettre CXCV » (p. 658).

  18. Louis Cognet, op. cit., p. 23.

  19. Ibidem, p. 25.

  20. Dans sa correspondance, l’autrice exprime cette idée avec un enthousiasme surprenant : « Ah, mon Dieu! Quand dans mon fond je ne veuille ni vie ni mort, quand je pense néanmoins à la mort, ou que j’en entens parler, mon cœur s’épanouit et se dilate, parceque c’est elle qui me doit délivrer de ce moy-même, qui me nuit plus que toutes les choses du monde. » (Lettre CLXXVI, p. 594)

  21. Pierre Nepveu, op. cit., p. 38‑39.

  22. Linda Timmermans, dans ses recherches sur les femmes mystiques, explique, par exemple, que « [l]es autobiographies de Thérèse d’Avila, de Marguerite-Marie Alacoque, d’Antoinette Bourignon, de Mme Guyon, la biographie de Mme Acarie par Duval, les lettres de Marie de l’Incarnation, et de bien d’autres, abondent de récits détaillant les « ’songe »’, les visions, les révélations, les directives divines portant sur le contenu ou les modalités de la mission confiée à chacune ». Voir Linda Timmermans, « Mystique et apostolat féminin », in L’accès des femmes à la culture sous l’Ancien Régime, Paris, Honoré Champion, 1993, (« Bibliothèque littéraire de la Rennaissance »), p. 501‑537, p. 519.

  23. À ce propos, il est intéressant de noter que Marie-Christine Pioffet souligne la « fréquence dans les Relations des images appartenant au registre architectural ». Voir Marie-Christine Pioffet, « La Nouvelle-France dans l’imaginaire jésuite : terra doloris ou Jérusalem céleste ? », in Jesuit accounts of the colonial Americas: intercultural transfers, intellectual disputes, and textualities, Toronto, University of Toronto Press, coll. « UCLA Clark Memorial Library series », 2014, p. 326‑343, p. 335‑336.

  24. Voir, par exemple, Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1975, p. 325‑331.

  25. Nous entendons cette notion dans le sens plus actuel que lui donne l’analyse du discours, c’est-à-dire d’ethos discursif, « lié à l’énonciation même », distinct de l’ethos extérieur ou extradiscursif. Voir Dominique Maingueneau, « L’èthos : un articulateur », COnTEXTES. Revue de sociologie de la littérature, 2013, par. 6.

  26. Antoine Furetière, op. cit.

  27. Voir le prologue de l’autrice, qui porte le titre de « Jésus, Maria, Joseph » : « M’ayant été commandé de celui qui me tient la place de Dieu pour me diriger dans ses voies de mettre par écrit ce qui me sera possible des grâces et faveurs que sa divine Majesté m’a faites dans le don d’oraison qu’il lui a plu me donner, je commancerai mon obéissance pour son honneur et sa plus grande gloire, au nom du suradorable Verbe Incarné mon céleste et divin Époux. » (R, p. 9)

  28. Isabelle Landy-Houillon, « Marie de l’Incarnation et les Jésuites : une exception culturelle ? », in Femme, mystique et missionnaire: Marie Guyart de l’Incarnation, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Religions, cultures et sociétés », 2001, p. 69‑97, p. 70.

  29. Au sujet de la « différence entre françois et sauvages » chez Marie de l’Incarnation, par exemple, voir la Lettre LXXX, p. 221.

  30. Vincent Grégoire et Centre d’études Marie-de-l’Incarnation, op. cit., p. 21.

  31. Lucie Desjardins et Marie-Christine Pioffet expliquent en effet que « dans la langue de l’époque, le mot fait souvent couple avec le concept d’erreur, au point de former un binôme synonymique. Errer, c’est bien sûr encore déambuler sans itinéraire précis, hésiter, puis se tromper. En vertu d’une étymologie latine commune (errare), le mot « erreur », au sens de tromperie, qui se surimpose à l’idée de déplacement erratique, se voit conférer une connotation négative à partir de la fin du XVIe siècle. » Les romans comiques de l’époque sont donnés comme exemples de cette conception de l’errance. Voir Lucie Desjardins, Marie-Christine Pioffet et Roxanne Roy, op. cit., p. 10.

  32. Ibidem, p. 12.

  33. Judith Sribnai, « ”Païs flotant & incertain” : quitter, traverser, habiter dans les écrits de Marie de l’Incarnation », Université du Québec à Montréal, 2019.

  34. Ibidem.

  35. Ibidem.

  36. Ibidem.

  37. Michel de Certeau, op. cit., p. 400.


Stéphanie Guité-Verret est candidate à la maîtrise au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal. Son mémoire, dirigé par Judith Sribnai, porte sur les paradoxes de l’énonciation personnelle mystique et féminine au XVIIe siècle dans les récits autobiographiques de Marie de l’Incarnation et de Madame Guyon. Elle est aussi co-rédactrice en chef de la revue étudiante de critique littéraire de l’Université de Montréal, Fémur.

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